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Insiang (Lino Brocka - 1976) https://forum.plan-sequence.com/insiang-lino-brocka-1976-t15844.html |
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Auteur: | Tom [ 27 Sep 2012, 22:58 ] |
Sujet du message: | Insiang (Lino Brocka - 1976) |
Bindonvilles de Manille. La jeune Insiang se retrouve à vivre seule avec sa mère, qui a chassé la belle-famille des lieux. Lorsque la vieille femme ramène chez elle le truand qui lui sert d'amant, la vie de l'adolescente devient un enfer. C'est marrant, pour chaque pays inconnu y a comme un film estampillé du label "à voir pour se donner l'impression d'avoir fait ses devoirs". Voilà, Insiang c'est ça, le film-phillipin-à-voir, et franchement de loin ça donnait pas envie : descriptions des bidonvilles sur un mode tristoune, ça fleurait le pensum social assommant. Mais si le film insiste beaucoup sur l'importance de ce décor particulier (à travers son générique qui fait la visite), il n'en fait pas l'enjeu central. Le ton est en fait moins pathétique que tragique : nous présentant d'abord le chaos du lieu et de la famille, Brocka évide rapidement (c'est d'ailleurs le premier geste du film, chasser la belle-famille) pour faire émerger des personnages dont la configuration apparaît très vite évidente d'un point de vue dramaturgique, chacun s'inscrivant à une place logique façon théâtre antique. C'est du coup limite un huis-clos que le film met en scène, celui de la cabane laissée à son trio de personnages (le truand, la mère, la fille), le bidonville jouant le rôle de caisse de résonance à la violence des échanges interne, de remous alentours qui se charge régulièrement de faire avancer le récit (les tentatives de fuite, les bouches-à-oreille, les vengeances...). C'est néanmoins surtout autour de son héroïne que le film se construit, autour de ce qu'elle dégage : dans un univers chaos, brouillon, misérable, bordélique, avachi, elle est approchée comme la dernière figure droite, noble (elle est d'ailleurs, je trouve, souvent éclairée avec un soin qui n'est pas celui du reste du film). Une sorte de pureté digne émane du perso, sa discrétion immobile fait contraste avec l'univers de mouvement et de cris qui tourne autour d'elle ; et elle gagne, dans l'avancée du récit, un charisme froid, presque sociopathique, qui peut évoquer certaines héroïnes vengeresses de séries B. Donc voilà, si on passe sur quelques vrais défauts (la bonne demi-heure avant de rentrer dans le vif récit surtout, ou encore l'intro au symbolisme lourd, les moments autour des garçons moins passionnants, une certaine mollesse dans les scènes de rue...), c'est vraiment une bonne surprise, assez loin du film naturaliste-social-larmoyant qu'on pouvait imaginer. D'ailleurs, en mettant en scène une quasi-tragédie avec un matériau qui vibre d'un réalisme cru (le bidonville est criant de vérité, d'ailleurs ça doit être un vrai), Brocka donne à son film un goût assez original. Le vrai seul gros reproche, finalement, que j'adresserais au film, c'est sa dernière scène. Pas qu'elle soit honteuse en soi, mais elle échoue à peu près tout ce que le film avait entrepris : Au point que je me demande si elle a pas été rajoutée après coup, par censure ou ordre, ou quoique ce soit d'autre. Ça fait illusion parce qu'elle est très bien foutue (bien jouée, bien écrite, bien menée), mais ça fout vraiment un coup à la cohérence du film, au final. EDIT - Et bien apparemment, c'est effectivement dû à la censure : Bon, mais ça n'explique pas ce qui devait à la base servir de fin. La copie cinémathèque (vu qu'il me semble qu'il y en existe plus que deux au monde) : plutôt bonne qualité, mais projection en 1.37, quand partout on parle de 1.66. Je sais pas qui a raison, mais j'ai en effet souvent eu l'impression d'avoir trop d'image. |
Auteur: | Gontrand [ 30 Sep 2015, 22:04 ] |
Sujet du message: | Re: Insiang (Lino Brocka - 1976) |
Insiang (Hilda Coronel) est une jeune fille de 19-21 ans qui vit dans un bidonville pauvre de Manille, situé en bordure d'océan. Son allure à la fois virginale et revêche se remarque dans cet univers, où les femmes sont dans une position ambigüe, travaillant durement et régulièrement (comme commerçantes ou maraichères) et détenant dès lors un pouvoir financier important, mais exposées à ce qui,dans le meilleur des cas, est du hacélement sexuel régulier..tandis quand les hommes sont eux à cheval entre le prolétariat ni vraiment paysan ni vraiment ouvrier (impressionnante séquence d'ouverture dans un abattoir , très proche de 'Killer of Sheeps' de Burnett sorti juste après)le chômage, le trafic, ou bien partis travailler loin, sans que l'on sache s'ils ne reviennent pas car ils ont quitté leur famille ou bien parce qu'ils se sacrifient pour elle). Son père est inconnu, elle est élevée seule par sa mère, Tonya (Mona Lisa, une actrice qui rappelle Simone Signoret ou de Bette Davis), une femme dure, cassante jusqu'au sadisme, à la fois crainte et moquée dans le quartier. Tonya exploite sans vergogne sa fille comme blanchiseuse, puis comme domestique et nettoyeuse de toilette, l'enferme pour contrôler sa sexualité. Tonya gagne de l'argent en participant à un circuit de jeux clandestins. Tonya est en fait en couple avec son partenaire de jeux, Dado, un homme beaucoup plus jeune, hyper-viril, mi-prolétaire, mi-caïd mafieux, le mâle-alpha type, qui bizarrement ne souffre pas d'être notoirement le gigolo d'une vieille. Magré le flicage de sa mère, Insiang sort avec, un mec qui a un homme aux manières de rebelle marginal de cinéma à la Jame Dean, franc et intègre; mais qui est en fait plutôt pleutre, fasciné par Dado qui le brime régulièrement. Au début du film Tonya héberge sa belle-famille, mais son frère a disparu. Quand sa belle-soeur (qui a une allure plus bourgesoise que Tonya) ne peut plus payer, elle est chasséé sans ménahement, ses enfants en bas-âge mis à nus dans la rue car leurs vêtements appartiennet à la marâtre. Il s'agît en fait de faire place à Dado, qui vient occuper la place vacante et s'installe chez les deux femmes, Tonya espère ainsi assouvir sa passion sexuelle. Paradoxe, le mystère du film provient de son immédiate proximité avec notre culture cinéphile européenne, de sa familiarité déçues envers les conventions qui sont les mêmes que le nôtres (chrétiennes, mais également un marxisme déjà en crise, et qui survit en se repliant dans le sociologisme), du romanesque assumé mais aussi mis à l'épreuve d'une trame narrative nerveuse et dense qui empêche de s'attarder (aucune scène qui ne fasse pas progresser l'action, même quand un oeil voyeur est dilué lentement pas la nuit) et laisse l'oubli envelopper tout, y compris le souvenir d'avoir été puissant et pervers, transforme la mort en effet de ce qui ne peut être causé que par l'inconscient - un équivalent narratif de ce qui, sans destin, dépuillé de soné volution serait uniquement la morale. Au début le film apparaît fassbinderien et brechtien : les personnages énoncent eux-même le sens de leur action et la morale qui les résume. Il s'agît d'un des efficaces procédé de distanciation. La lucidité politique exige l'acceptation d'une forme d'abandon, à la fois moins mortel et plus monotone que l'absurde, avec l'idée que sans l'épreuve d'une déception intimement personnelle- sexuelle- la société, dans ce qu'elle a de neutre et dans ce qui la soumet à des lois tant écrites que non-écrites, ne serait même pas vue. A la fin il bascule dans un expressionisme, qui doit beaucoup à Hitchcock (Psychose) ou à Nicholas Ray, où la lucidité psychologique est comme prélevée sur le baroque des situations, elle vide de l'intérieur, soumet à une logique de pourrissement et d'usure, par un procédé de compensation complexe entre ce que les personnages comprennent et ce qu'ils avouent. Attitude rare: le cinéaste ne croit en fait pas au désespoir de ses personnages, qui déconstruisent plus l'histoire que le metteur en scène ne le fait lui-même. D'habitude, c'est l'inverse . Ce qui est fonctionnellement sociologique dans le réel, est transposé dans le récit sous forme d'ironie et de raillerie: ainsi le cinéma (lieu à la fois du viol et de la révélation de l'impuissance) est opposé à la télé-réalité -c'est ; ce qui était au Philippine le divertissement des déclassés dans les années 1970 est semble-t-il devenu celui de la classe moyenne européenne 35 ans plus tard , mais ici elle est encore un discours auquel l'aliéné est le seul à pouvoir donner son juste nom, qui lui manque, et qui devient alors impossible à croire - car son public n'a même plus besoin de la voir pour la raconter). Superbe musique, presque à la Michael Nyman mais en plus épurée (par un compositeur qui s'appelle Minda D. Azarcon), acteurs d'un professionnalisme étonnant, qui évoquent deux cynismes contraires (tant le pédagogisme cruel d'un Mankiewicz et l'autoritarisme compassionnel d'un Fassbinder), on réalise toute la complexité de la culture et l'industrie cinématographique des Philippines (ce qui chez Brillante Mendoza a pu passer pour une singularité individuelle provocante et cruelle est en fait l'avatar d'une tradition à la fois politiquement marginale et populaire, qui lui donnait depuis longtemps un contenu) Grand filmqui invite à voir d'autres Lino Brocka (et il y en a beaucoup). |
Auteur: | Gontrand [ 30 Sep 2015, 22:09 ] |
Sujet du message: | Re: Insiang (Lino Brocka - 1976) |
Tom a écrit: Le vrai seul gros reproche, finalement, que j'adresserais au film, c'est sa dernière scène. Pas qu'elle soit honteuse en soi, mais elle échoue à peu près tout ce que le film avait entrepris : Au point que je me demande si elle a pas été rajoutée après coup, par censure ou ordre, ou quoique ce soit d'autre. Ça fait illusion parce qu'elle est très bien foutue (bien jouée, bien écrite, bien menée), mais ça fout vraiment un coup à la cohérence du film, au final. EDIT - Et bien apparemment, c'est effectivement dû à la censure : Bon, mais ça n'explique pas ce qui devait à la base servir de fin. Personnellement je n'ai pas trouvé la fin bancale Au passage, cette fin a inspiré Oshima pour la fin de Furyo (et par ailleurs le personnage d'Insiang n'est pas sans ressemblance avec celui de Rosamund Pike dans le dernier Fincher, et celui de Dado avec celui d'Affleck) |
Auteur: | Gontrand [ 01 Oct 2015, 22:23 ] |
Sujet du message: | Re: Insiang (Lino Brocka - 1976) |
Tom a écrit: Le vrai seul gros reproche, finalement, que j'adresserais au film, c'est sa dernière scène. Pas qu'elle soit honteuse en soi, mais elle échoue à peu près tout ce que le film avait entrepris : Au point que je me demande si elle a pas été rajoutée après coup, par censure ou ordre, ou quoique ce soit d'autre. Ça fait illusion parce qu'elle est très bien foutue (bien jouée, bien écrite, bien menée), mais ça fout vraiment un coup à la cohérence du film, au final. Il y a une très belle idée, Brocka filme la reconnaissance de l'autre non pas comme un objectif vers lequel on tend, une assomption d'une transcendance, cette reconnaissance est au contraire quelque chose d'originaire, de spontanément présent, mais de quasi-traumatisant. Cette reconnaissance est un sens qui n'évolue pas, n'a pas de devenir. Elle cache qu'elle s'est reconnue dans sa fille sans le chercher, ce qui est la logique de la domination (faire croire à un devenir de la reconnaissance). C'est la violence qui est au contraire un travail et est mise en branle (et échoue dans le fin qu'elle se fixe) |
Auteur: | Art Core [ 02 Oct 2015, 07:27 ] |
Sujet du message: | Re: Insiang (Lino Brocka - 1976) |
Merci Gontrand de tenter de faire revenir Tom ! |
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