Forum de FilmDeCulte
https://forum.plan-sequence.com/

Kippour (Amos Gitaï - 2000)
https://forum.plan-sequence.com/kippour-amos-gitai-2000-t15382.html
Page 1 sur 1

Auteur:  Tom [ 17 Avr 2012, 02:56 ]
Sujet du message:  Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Kippur (כיפור) en VO.

Image

La guerre du Kippour vu au sein d'une unité de secouristes.


C’est un film de guerre malin qui cache bien son jeu. Déjà parce qu’à première vue, sa personnalité tient surtout à sa façon d’accoler au genre un plaisir d’esthète : les séduisantes envolées plastiques de Gitaï ne sont pas dénuées d’emphase (plans-séquences à gogo pas toujours nécessaires), voire de ridicule (la scène de peinture, limite). Ensuite parce que le rythme paraît linéaire, l’approche désinvestie, l’ensemble réduit à une reconstitution de luxe... Les qualités de Kippour sont moins évidentes que cela, et plus discrètes. Son dispositif tient de la lame de fond, agissant sournoisement, sur la longueur, avec une redoutable efficacité.


On a vite fait de prendre pour maladresse ou bizarrerie un décalage travaillé dès le début du film. C’est une « drôle de guerre » : elle n’a pas vraiment de commencement, on y débarque à l’improviste. Les personnages principaux ne sont ni motivés, ni dégoûtés de partir : ils ne semblent pas se rendre compte du danger des combats alentours. Ils débarquent dans une section puis en repartent parce qu’ils ne l’aiment pas : on a l’impression qu’ils pourraient tout aussi bien déserter, et que personne ne s’en rendrait compte.

Cette façon étrange de ne pas introduire cette guerre mène à un paradoxe : sur un pitch qui devrait déchaîner l’horreur et l’émotion (le suivi des secouristes, et les blessés graves auxquels ils vont être confrontés), Gitaï conserve une approche très neutre, très factuelle. L’affect n’est pas nié (ce n’est pas un film-de-guerre-qui-rend-ses-soldats-glacials), il est juste absent. On ne verra par exemple jamais ce champ-contrechamp fondamental du genre, qui confronte le regard d'un soldat à l’horreur qu’il a vu. Ce qui est quand même dingue pour un récit qui passe son temps le nez dans un amas de blessés ! La personnalité singulière du film se bâtit ainsi, par l’accumulation d’anomalies et d’omissions qu’on ne détecte pas consciemment, mais qui entretiennent l’impression que « quelque chose cloche ». Au point que lorsqu’une figure imposée du genre ramène soudain ses sabots (le soldat hystérique qui tient à évacuer les morts, lors de la première opération), elle sonne comme une paradoxale "fausse note" dans cet ensemble atonal.

Le rythme général est du même tonneau. Un personnage fait tout penaud un constat, au milieu du film : « on perd la notion du temps ». C’est vraiment le principe : cette narration est fondée sur une répétitivité presque morne, qui tend à brouiller entre les scènes le lien causal, géographique, dramaturgique (ne privilégiant pas spécialement la mission sur le terrain, mais tout autant les virées en hélicoptère qui l’encadrent, par exemple). Parce qu’elle ne nous a jamais réellement été présentée, parce qu’on ne l’a pas vu débuter, la guerre alentours est au diapason : elle n’est qu’une imagerie globale et indéfinie. Aucune information stratégique, aucune idée de la bataille qui se mène, ennemi indiscernable dans les paysages endormis aux fumées vagues : les tanks paumés et statiques, dans les plans larges, sembleraient presque avoir poussé à même le décor, comme des champignons. L'enchaînement-même des séquences fonctionne ainsi : à l’insert ingénieux d’un songe qui peine à s’effacer au réveil, succède une longue séquence d’embourbement qui pourrait être tout autant réalité que cauchemar. Pas un cauchemar atroce, opératique : à l’image de l’ensemble du film (neutre, dépassionné, diurne, lisible), il est avant tout cauchemar parce qu'il est banalement laborieux, pesant, boueux, pénible à force d’impuissance...


L’horreur anti-spectaculaire et dépassionnée de Kippour grandit ainsi : souterrainement, en sourdine, dépression rongeant progressivement, calmement, couche par couche. Et lorsque, dans la scène finale, la violence explose, le spectateur est mûr : tout comme les personnages, se pensant insensible, il se prend soudain tout le désespoir du film en pleine poire.

Le Gitaï à la virtuosité ostentatoire que j'avais découvert dans Désengagement était séduisant, mais cette sobriété fourbe à l'effet long terme fonctionne très bien aussi. Si quelqu'un a des pistes pour le reste de la filmo, je suis preneur.

Auteur:  Mickey Willis [ 24 Juil 2014, 12:15 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Tom a écrit:
Si quelqu'un a des pistes pour le reste de la filmo, je suis preneur.


Tu t'es pas fait le tryptique "Kippour/Eden/Kedma" ?

Film assez destabilisant en tout cas, j'ajouterai à ce que tu dis que c'est un film de guerre sans ennemi: on ne voit pas les attaques des armées syriennes et egyptiennes, pas même leur soldat, les affrontements semblent loin alors même qu'on nous invite à penser qu'on se trouve au coeur de la bataille, on a l'impression que les véhicules avancent au hasard, que ça tourne en rond.

De la guerre, les personnages n'en auront finalement que les résidus: des champs de bataille abandonnés, des corps calcinés, des cadavres. Je pense que l'apparente passivité des personnages vient de là: ils ne reçoivent de cette guerre qu'une accumulation grandissante de corps blessés, sans moyen d'agir, ne pouvant simplement réparer ce qu'ils peuvent. Et lorsque le blessé meurt dans leurs mains, faute de pouvoir le ramener jusqu'à l'hélicoptère, figés dans la boue et cédant presque à la folie, c'est de leur point de vue le moyen de montrer que c'est tout un conflit qui s'enlise, dont l'unique conséquence n'est qu'une succession de cadavres.

En tout cas j'ai beaucoup aimé aussi, et j'enchainerai probablement sur Eden.

Auteur:  Karloff [ 24 Juil 2014, 12:51 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Un de mes films de guerre préféré, que tu traverse hébété comme le personnage principal.

Auteur:  Gontrand [ 24 Juil 2014, 13:53 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Pas un "film de guerre", mais 'Journal de Campagne', son documentaire sur la guerre du Liban où il regarde la situation politique israélienne en 1981 puis ce qui se passe juste derrière la ligne de front à mesure que l'armée remonte vers Beyrouth au moment des combats en 1982, est très intéressant, justement parce qu'il montre les Palestiniens en refusant d'en faire des "ennemis", et qu'il tire partie de son passé de militaire pour questionner l'armée israélienne. Son cinéma de fiction m'a moins convaincu, mais je pense qu'il se définit en creux par rapport à ce documentaire. En effet dans Kippour on ne voit pas grand chose à part les aller-retour de l'hélicoptère et l'équipage qui devient lui-même blessé, mais montrer des "ennemis" dans la fiction n'aurait aucun sens après un documentaire qui justement refuse cette configuration.

Auteur:  Tom [ 24 Juil 2014, 14:02 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Tiens marrant Mickey, j'y repensais ce matin. Effectivement pour l'absence d'ennemi, j'y avais pas fait gaffe mais ça me semble totalement évident maintenant que tu le dis.

Je savais pas du tout que c'était le début d'une trilogie (je connais vraiment pas du tout la filmo), j'irai peut-être voir du coup (quoique j'aimerais vraiment bien savoir ce qu'il a fait de meilleur au-delà de ça, s'il y a des fans.

Je me demande si le doc dont tu parles, Gontrand, n'est pas celui qui était sur le DVD, je vais vérifier ce soir si c'est celui-là.

Auteur:  Gontrand [ 24 Juil 2014, 14:03 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Oui il y a eu un coffret DVD des documentaires sorti il y a une quinzaine d'années, avec ce film et "Baït" entre autre.

Auteur:  Gontrand [ 24 Juil 2014, 14:17 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Ce qui m'avait impressionné dans "Kippour", c'est le début et la fin.
Les personnages qui discutent mollement de Marcuse, qu'il ne sont pas sûr de comprendre entièrement ou pas, dans la voiture avant d'aller au combat avec la même résignation que l'on éprouve pour "l'entrée dans le monde du travail", et le médecin touché à la tête qui s'assoit et fait froidement le diagnostic de sa blessure à la fin avant de ne plus parler.

Auteur:  Mickey Willis [ 24 Juil 2014, 14:22 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Gontrand a écrit:
Pas un "film de guerre", mais 'Journal de Campagne', son documentaire sur la guerre du Liban où il regarde la situation politique israélienne en 1981 puis ce qui se passe juste derrière la ligne de front à mesure que l'armée remonte vers Beyrouth au moment des combats en 1982, est très intéressant, justement parce qu'il montre les Palestiniens en refusant d'en faire des "ennemis", et qu'il tire partie de son passé de militaire pour questionner l'armée israélienne.


Ah bah ça m'interesse bien ça, tiens.

Auteur:  Karloff [ 24 Juil 2014, 14:22 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

J'ai eu une période Amos Gitaï. Ces films, même les chiants, sont toujours très intéressants.

Auteur:  Mickey Willis [ 24 Juil 2014, 14:26 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Tom a écrit:
Je savais pas du tout que c'était le début d'une trilogie (je connais vraiment pas du tout la filmo), j'irai peut-être voir du coup (quoique j'aimerais vraiment bien savoir ce qu'il a fait de meilleur au-delà de ça, s'il y a des fans.


Je connais pas tellement non plus (vu 3 films je crois), je suis pas certain qu'on puisse parler de véritable trilogie, mais en tout cas ce seraient 3 films sortis coup sur coup et qui navigueraient autours de thèmes proches. Wikipedia désigne ces trois films comme la "trilogie des événements historiques décisifs pour Israël" en tous cas, à voir ce que ça vaut, ça me semble pas définit si nettement que ça.

Auteur:  Karloff [ 24 Juil 2014, 15:00 ]
Sujet du message:  Re: Kippour (Amos Gitaï - 2000)

Eden et Kedma sont plus sur la naissance du pays, le premier sur le rêve du sionisme, le second sur la concrétisation militaire de ce dernier - et c'est le film qui explique le mieux les racines du conflit israélo-palestinien à mon sens, avec l'incroyable et sublime tirade illuminée finale.

Page 1 sur 1 Heures au format UTC + 1 heure
Powered by phpBB® Forum Software © phpBB Group
http://www.phpbb.com/