Du départ du Che de Cuba à son arrivée à La Paz, des premières embuscades tendues à l'armée jusqu'à la dernière journée du Che, le film suit celui-ci pas à pas et fait renaître sa voix à travers son Journal.Documentaire déstabilisant, qui me laisse la même impression que le projet télévisuel de Rossellini dont j'avais eu un aperçu, et dont il partage un certain nombre de principes. En effet, tous les signes semblent avant tout aller dans le sens d'une lisibilité maximum, d'un déroulé factuel à la neutralité (ou du moins à la sobriété) assumée, qu'aucun point de vue ne souhaite ostensiblement percer (voix dépassionnées et blancheur du ton, aucune digression s'écartant des faits, sources de documentation scrupuleusement respectées). Sans que je ne connaisse rien des volontés de Dindo, on se retrouve ainsi avec ce qui pourrait se poser en idéal de documentaire télévisé : tout droit à l'essence de l'Histoire, dans une ultra-limpidité bienvenue. Cependant, sur la longueur, dans l'expérience de la vision, quelque chose de joli naît de ce projet a priori très sec, et vient donc complexifier le tableau...
Dindo ne se confronte pas réellement au présent, mais ne reconstitue pas vraiment non plus : il passe par la revisite stricte des décors où les évènements ont eu lieu (non sans parfois y projeter un regard reliquaire, d'ailleurs). D'une part, il les filme comme il les capturerait presque au moment des faits (filmés à la bonne heure de la journée, imageant même quelquefois la marche des guérilleros), et de l'autre il n'en évacue pas les marques du présent (les personnes interviewées, par exemple). Racontant l'arrivée des hommes dans un village et la peur des habitants, il filme ainsi les visages des familles l'observant suspicieuses derrière leur porte, visiblement tout aussi réservées devant le spectacle d'une équipe de tournage.
A ce mariage des temporalités (auquel s'ajoute un trouble : d'une époque à l'autre, quasiment rien n'a changé) s'appose un enjeu spatial : le fait d'être un film presque uniquement composé de paysages. Variation sans fin sur ce même décor bolivien rouge et vert soumis à tous les temps, le film dessine à sa façon, par l'abstraction de ce décor ressassé, les contours d'une aventure mentale : l'avancée racontée semble se faire surplace existentiel, comme pour imager qu'à travers ce parcours laborieux se joue une marche droite vers la mort. C'est typiquement le genre d'entre-deux qui me fait douter : la revisite des lieux (des forêts, donc forcément vides) explique concrètement le pourquoi de ces plans absents, au-delà de tout geste artistique. Mais, malgré tout, on ne peut nier l'effet particulier de cette succession de vues sans vie, qui fait émerger du film un parfum sensible de solitude. Tout comme les guérilleros isolés entendent à la radio les remous diplomatiques gigantesques que leur simple présence sur le territoire provoque, le spectateur ne fait que contempler le calme indifférent des paysages vides, au moment où la voix lui raconte les affrontements, la souffrance, la mort, et la tension qui y ont lieu : effet fantôme qui nous fait partager l'expérience étrange que vit le groupe, mais qui donne aussi à la mémoire un caractère d'empreinte tenace, invisible mais persistante.
On a donc au final un documentaire particulier, qui tout en se refusant à poétiser le Che, en sublime finalement d'autant plus la figure en voulant tout voir comme à travers ses propres yeux et ses propres mots, avec une rigueur de pèlerin. Je reste dubitatif sur tout ce que j'ai pu recevoir à la vision : si j'ai bien compris, le style de Dindo est le même, film après film, et non le résultat de ce qui pourrait ici passer pour une démarche esthétique propre à cette histoire. Je n'exclue donc pas que ce que j'ai ressenti soit l'effet du hasard.