Encore une belle réussite pour Michel Franco. Un drame sombre et pourtant d'une grande douceur qui déploie son arène avec beaucoup de finesse et de sensibilité. Ce que j'aime beaucoup chez Franco c'est cette manière de toujours raconter en soustraction. On est toujours actif devant ses films parce que ce que l'on n'est jamais sûr de ce que l'on voit, de ce que ça dissimule ou révèle des personnages. Comme l'explique très bien François Bégaudeau dans son podcast sur le film, le film c'est dans l'anfractuosité créee par la collision de ces drames cumulés que se jouent la complexité et les mystères des personnages. Et j'aime comment la mise en scène vient appuyer ce propos en étant, à l'inverse totale, d'une limpidité parfaite, d'un minimalisme totale toute en plans fixes nous laissant explorer le visage des personnages pour essayer d'en révéler leurs secrets (qu'il est sublime d'ailleurs le profil de Jessica Chastain).
On pourrait résumer le film en disant que c'est un film où un personnage ne se souvient plus et où un autre personnage se souvient trop et ne parvient pas à oublier. Grand film sur la mémoire qui débute par ses mots "I remember" et qui interroge le présent à l'orée du passé. Un personnage est absolument obligé d'exister dans le présent, n'as pas d'autre choix et en face son opposé, un personnage qui a littéralement construit sa vie sur les ruines d'un passé traumatique. Et cette cette rencontre là qui est sublime. Ce moment où ils parviennent à exister ensemble dans cet espace temporel commun. Et le tout avec une délicatesse vraiment magnifique.
J'ai aussi beaucoup d'admiration pour la complexité de ce que raconte le film notamment à travers ses personnages secondaires, tous admirables. Le personnage de la soeur par exemple qui porte en elle toute la douleur d'une jeunesse gâchée par les excès de sa soeur et par un secret qu'elle porte en elle et dont elle ne peut se libérer. Tout ça sans rien ne dire, juste dans les gestes, dans son inquiétude constante dans son visage. Pareil pour cette manière de parler de classe, de différence de richesse comme une différence de mentalité. Cette façon qu'a le beau-frère de dire "we don't talk about this in this house" comme si des sujets étaient proscrits dans un certain cercle social. Et la mère bien sûr (jouée par la revenante Jessica Harper) toute en hypocrisie et en déni (elle rappelle en cela de manière surprenant la belle-mère de Christine Angot dans son dernier film).
Tout cela crée un film à la fois d'une simplicité désarmante au rythme nonchalant mais en même temps d'une folle densité tant il se passe des choses dans les silences, dans les plans, dans les visages. Quelques moments vraiment sublimes (Saul qui ne sait plus quelle est la porte de la chambre) et une fin d'une douceur et d'une simplicité bouleversante. Ca faisait longtemps que je n'avais pas aussi entendu une chanson si bien utilisé dans un film, en l'occurence le très célèbre A whiter shaed of pale de Procol Arum dont le romantisme sied parfaitement au film. Peter Skarsgaard et Jessica Chastain sont fabuleux et le film est vraiment très beau.
5/6