Michael Cimino
[elle est un peu courte, malheureusement, cette interview, j'ai presque plus parlé que lui]
Objectif-Cinéma - Quelles sont les sources historiques de La Porte du Paradis ? Quelle est la part de réalité ?
Il y a deux ou trois événements authentiques dans le film, mais il y a une grosse part de fiction. Je suis étonné de voir son succès et le nombre de fans vingt-cinq ans après, vous savez. Moi-même, je ne l’ai pas revu depuis bien longtemps, je ne pensais pas qu’il survivrait ainsi.
Objectif-Cinéma - On a dit tout et n'importe quoi sur le « désastre Heaven's Gate ». On a parlé de faillite, on vous a dit ruiné, etc. Qu'avez-vous fait le lendemain de la sortie du film ?
Et bien contrairement à ce qu'on peut penser, je me suis remis immédiatement à travailler, tout simplement. Vous savez, le cinéma est un art laborieux qui se décompose en plusieurs moments - notamment les premiers, l'écriture, la préparation, la recherche de financements également... Tout cela peut être très long. J'ai finalement très vite travaillé sur L'Année du dragon, et le laps de temps entre les deux films n'est pas si long. Il y a eu quelques projets, abandonnés ou repoussés, puis ce scénario d'Oliver Stone que j'ai réalisé pour Dino de Laurentiis.
Objectif-Cinéma - Avant L'Année du dragon sort Le Pape de Greenwich Village, pour lequel le site Imbd vous crédite comme co-réalisateur aux côtés de Stuart Rosenberg. Qu'avez-vous fait exactement sur ce film ?
(La question semble gêner Michael Cimino, et plus encore sa productrice qui assiste à l'entretien) Hum... Rien. Vous savez, je connaissais Mickey Rourke depuis peu de temps, deux ou trois ans, je crois. Il avait joué dans La Porte du Paradis, où il est fabuleux, c'était son premier rôle. Comme beaucoup d'autres acteurs d'ailleurs. Christopher Walken aussi débutait sur ce film, après avoir beaucoup joué au théâtre. (La productrice le regarde étonnée) Euh... Non, il avait déjà joué dans mon précédent film, en effet, Voyage au bout de l'enfer (ndlr : pour lequel il a d'ailleurs eu l'oscar du second rôle).
Le Pape de Greenwich Village était l'un des premiers grands rôles de Mickey. Je crois qu'il était un peu inquiet, et il m'a téléphoné à un moment pour que je vienne le soutenir un jour ou deux sur le tournage, mais je n'ai touché à rien, je n'ai absolument pas travaillé sur ce film.
Objectif-Cinéma - Quels sont aujourd'hui vos rapports avec Mickey Rourke ? Comment l'avez-vous rencontré ?
Nous sommes encore en contact, aujourd'hui, nous sommes amis (ndlr : l'acteur et le cinéaste se ressemblent étrangement). Mickey était tout jeune sur La Porte du paradis, un peu inexpérimenté, mais déjà fabuleux. Je me souviens qu'il avait très peur de cette scène où il doit mourir, et il refusait de la tourner, retardait le plus possible le moment où il devait tomber, le corps criblé de balles. C'était très drôle.
Objectif-Cinéma - Considérez-vous La Porte du Paradis comme votre meilleur film ?
Mon meilleur film, c'est le prochain. C'est toujours le prochain. Si je pensais que mon meilleur film était derrière moi, il y a longtemps que j'aurais arrêté le cinéma. J'ai toujours l'ambition, l'espoir, de faire mieux.
Objectif-Cinéma - Vous voulez que je vous dise quel est votre meilleur film ?
(Cimino, jusque là un peu fatigué, semble soudaine s'illuminer) Oui, dites-moi !
Objectif-Cinéma - Et bien on dit souvent que Voyage au bout de l'enfer ou La Porte du paradis sont vos meilleurs films, mais d'un point de vue très personnel, mon préféré reste The Sunchaser.
Vraiment ? Vous parlez sérieusement ? Vous êtes la première personne à me dire ça. Vous savez, le tournage a été très dur, nous n'avions pas beaucoup d'argent, et le film a été assez mal reçu - sauf en France où il a d'ailleurs été sélectionné au Festival de Cannes. Pourquoi aimez-vous donc tant ce film ?
Objectif-Cinéma - Parce qu'il me semble plus personnel que vos précédents. Il comporte sans doute des défauts, mais j'ai l'impression de vous voir lorsque je vois le film. Puis votre façon de filmer l'ouest américain est absolument unique, ce film est majestueux.
Oui... Ok... Mais au delà de ça, qu'est-ce qui vous touche, vous Anthony, autant dans ce film ? Pourquoi ? Quelle symbolique y voyez-vous ?
Objectif-Cinéma - Pour moi, le film raconte un voyage triple. Pas seulement celui des personnages, mais aussi celui du cinéma vers ses racines. Une sorte de recherche d'une pureté originelle qui se trouverait dans les grands espaces fordiens de l'ouest américain. Pour survivre, pour se retrouver, le cinéma doit se purifier, retourner à ses origines de l’âge d’or hollywoodien. Et ce voyage converge dans le film avec celui que doit faire l'Amérique afin elle aussi de se purifier : retourner à ses origines, retrouver le sens profond de ses vraies valeurs, retrouver cette innocence, cette foi, cette beauté, qu'elle a perdu aujourd'hui (ce drapeau américain qui apparaît dans le rétroviseur). Ces trois voyages (intime, cinématographique et historique) se confondent pour donner un portrait magnifique - qui me touche personnellement pour les avoir visités -, des paysages américains. Voila pourquoi j'aime tant le film, parce que ce voyage initiatique et purificateur sur les traces du passé est aussi le notre.
C'est incroyable... Vous êtes la première personne que je rencontre à aimer et à comprendre aussi bien le film... Merci. Merci infiniment !... C'est dommage, nous avons peu de temps... Il faut passer à la question suivante.
Objectif-Cinéma - Euh... Là, j'avoue que je ne sais plus quoi dire !
(Il rit)
Objectif-Cinéma - Quels sont aujourd'hui vos projets ? On parle depuis quelques années d'une adaptation de La Condition Humaine, de Malraux.
J'y pense très exactement depuis le tournage de La Porte du paradis, vous savez. Je suis en pleine écriture du scénario, j'ai trouvé plusieurs financements, notamment en France. C'est difficile, je n'ai pas tourné depuis neuf ans, depuis The Sunchaser, justement. Ce sera un très gros film, très proche de La Porte du paradis. J'espère commencer le tournage d'ici la fin de l'année, peut être. Je croise les doigts.
Objectif-Cinéma – Je ne demande jamais ça mais… Vous accepteriez de me signer un autographe ?
Uniquement si vous m’en signez un également.
Objectif-Cinéma – Vous parlez sérieusement ?
Absolument, je ne plaisante pas du tout, vous êtes la première personne à me dire tout ça sur Sunchaser. Si je vous donne mon autographe, je veux le votre en échange !
Entretien réalisé par Anthony Sitruk
3 Juillet 2005
|