En ce qui concerne la généalogie de Tarkovski, je n'ai que peu de connaissances, étant encore plus béotien dans le domaine du cinéma que dans le reste (où ça ne va pas chercher bien loin non plus : p), mais à la lecture du temps scellé, de son journal, etc etc... il apparaît que Tarkovski avait un respect certain pour Mizoguchi (et le cinéma asiatique en général). L'importance de Parajdanov dans la vie de Tarkovski, si elle n'est pas à l'origine de sa vocation, est remarquable quant à l'évolution de son cinéma, et à l'exigence qu'il s'est (se sont) imposés.
Cette exigence, que l'on peut interpréter comme de la suffisance, vient d'une intransigeance certaine quant à la source de la création artistique:
Tarkovski a écrit:
" L'objectif du réalisateur est de recréer la vie: son mouvement, ses contradictions, ses tendances, ses conflits. Et son devoir est de révéler la moindre goutte de vérité qu'il découvre, même si cela peut déplaire à certains. Un artiste peut certes s'égarer, mais même ses erreurs sont intéressantes si elles sont sincères, car elles reflètent la réalité d'un monde intérieur, a quête et le combat nés du monde extérieur qui l'entoure. Et qui possède jamais la vérité ? Toute discussion sur ce qui doit ou qui ne doit pas être montré, ne peut être qu'une tentative mesquine et immorale visant à déformer la réalité." (le temps scellé, p. 175).
et à une interrogation profonde du cinéma comme médium jeune, et encore non-formé:
Tarkovski a écrit:
"Selon moi, le cinéma ira en s'écartant non seulement de la littérature, mais aussi d'autres arts voisins pour gagner une autonomie de plus en plus grande. Une évolution qui ne s'opère pas assez vite à mon goût (...) des siècles de tradition théatrale, à l'évidence, ont produit un nombre inouï de clichés qui ont malheureusement trouvé refuge dans le cinéma (...) les chefs d'oeuvre naissent du désir d'exprimer quelque idéal. Et c'est à la lumière de cet idéal qu'apparaissent les visions et les sensations de l'artiste. S'il aime la vie, s'il ressent comme un besoin débordant de la connaître, de la changer, de l'améliorer, de la rendre plus précieuse, alors il n'y a pas de danger à ce que la réalité passe par le filtre des visions subjectives et des états d'âmes de l'auteur. le résultat en sera toujours un effort spirituel vers une plus grande perfection de l'homme, une vision du monde qui nous séduira par l'harmonie de ses sentiments et de ses pensées, par sa dignité et sa lucidité." (le temps scellé p. 28
Cette injonction, par son caractère exclusive et sa nature proprement titanesque est une des clés de compréhension de cette oeuvre, et ce qui permet de faire peut être un peu de débroussaillage dans le monceau d'influences que l'on peut dégager chez Tarkovski :
Tarkovski a écrit:
"Je veux maintenir l'exigence de qualité comme atlas soutenait la terre sur ses épaules. Il aurait pu, fatigué de le porter, laisser tomber son fardeau. Mais il a continué de le porter. C'est d'ailleurs ce qui est le plus frappant dans cette légende: non pas le fait qu'il ait soutenu la terre pendant un temps très long, mais que, bien que trompé, il ne l'ait pas laissé tomber et ait continué à la porter... (...)" (le temps scellé p.6)
Cette exigence et cette volonté de perpétuer, de continuer malgré une inévitable tromperie, faillite, est également ce qui fonde l'oeuvre de Hesse, que Tarkovski admirait et dont il se sentait particulièrement proche (plus que de Dostoievski par exemple). Il y a beaucoup à chercher dans le rapport de Tarkovski avec les autres arts, et tout particulièrement avec la littérature qu'il tenait en haute estime.
J'aurai tendance à taxer le qualificatif Tarkovskien de fourre tout journalistique également, vu la diversité des œuvres que l'on a regroupé sous cette étiquette. J'ai un peu l'impression que dès qu'il y a un questionnement un peu "élaboré" tendant vers le religieux, une certaine complexité, une forme travaillée, Bingo, c'est Tarkovski à l'influence. D'autant plus que les réalisateurs que l'on dénomme Tarkovskien sont souvent des fortes personnalités, qui incarnent un peu les fleurons d'un certain cinéma d'auteur (ce qui aurait prodigieusement agacé le principal intéressé)
C'est surement la résonance entre l'exigence imposée à l'artiste, au questionnement du médium-cinéma et la vigueur avec laquelle Tarkovski évoque le fait religieux: «L'homme moderne se trouve à la croisée de deux chemins. Il a un dilemme à résoudre : soit continuer son existence de consommateur aveugle, soumis aux progrès impitoyables des technologies nouvelles et de l'accumulation des biens matériels, soit trouver la voie vers une responsabilité spirituelle, qui pourrait bien s'avérer à la fin une réalité salvatrice non seulement pour lui-même mais pour la société tout entière. Autrement dit, retourner à Dieu.» qui fait que son ombre plane, aussi imposante, sur bien des cinéastes contemporains.