Tom a écrit:
Brr, Ilouchechka, les extraits que tu mets me rappellent pourquoi j'aimais par lire Tarkosvki...
Huhu, c'est vrai que c'est pas une lecture foncièrement sexy, mais ça passe. Et, comme tu le dis plus tard dans ton message, c'est fou à quel point tout ce que Tarkovski produisait dans le cadre de son oeuvre (écrits, films, interviews etc...) était marqué du sceau de la croisade. Russe de son état, il était pourtant loin d'être le dernier à savoir faire la fête. Du coup, ce décalage entre la personne et ses créations me semblent à même d'apporter des réponses sur 'idée que Tarko se faisait de l'Art, quelque chose de pur, la seule chose à même de pouvoir évoquer l'Amour, la Beauté. Ce n'était pas du tout un pratiquant de l'ironie, façon Kubrick/je vous offre une leçon, mais plutôt une posture fervente, de prière, quasiment, qui influe directement sur la façon de parler au spectateur.
La conclusion tu temps scellé est émouvante (enfin, je trouve) à ce titre:
"le fond du problème est que nous vivons dans le monde que nous imaginons, dans le monde que nous créons, et que nous dépendons de ses défauts quand nous pourrions dépendre de ses qualités.
En dernière confidence: l'humanité n'a jamais rien crée de désintéressé, si ce n'est l'image artistique. Et peut-être que toute l'activité humaine trouve sons sens dans la création d'oeuvres d'art, dans l'acte créateur absurde et gratuit. Peut être même est-ce en cela que nous avons été crées à l'image et à la ressemblance de Dieu, c'est à dire capable de créer ?
Je voudrais enfin, pour clore ce livre, dévoiler un espoir caché. J'aimerais que tous ceux qui auront été convaincus par ces pages, même si ce n'est qu'en partie, et à qui je n'ai rien dissimulé, soient devenus maintenant pour moi comme des alliés, des âmes soeurs."Tom a écrit:
Mais si Tarkovski est une clé pour ça, c'est peut-être d'abord dans le sens où, malgré les référents orthodoxes multiples, il filme en panthéiste : tout chez lui peut être l'outil d'une révélation spirituelle. Du coup c'est un peu la boîte à outil parfaite pour les préoccupations de tout un pan du cinéma contemporain...
C'est la névrose propre à Tarkovksi : pour trouver Dieu, ne filme pas le ciel, filme la boue.
Et ça, en sus d'être particulièrement chrétien, est aussi quelque chose qui se retrouve dans la littérature russe, et notamment (fondamentalement même) chez Dostoïevski. Cela se répercute directement dans l'oeuvre de Tarkovski, La terre, le poids de la gravité, la boue, la salissure sont omniprésents, tout comme les mouvements de caméras, généralement lents, bien que continus ; Il y a une pesanteur, liée à a nature même de l'image offerte, d'autant plus vivace, vivante, qu'elle est contrebalancée par un appel, une volonté de transcendance. Si mes souvenirs ne me trahissent pas, dès
l'enfance d'ivan, on a un film qui s'ouvre à hauteur du sol, avec la mère (voire au fonds d'un puits) et qui finit sur une course folle, vue d'en haut. (il y a surement pas mal d'onanisme dans ce que je viens d'écrire, mais je pense que l'idée est plus ou moins intelligible)
Tom a écrit:
C'est d'ailleurs assez frappant. Je peux montrer énormément d'extraits très classes de cinéma moderne à mes élèves, le premier qui les "réveille" (c'est vraiment le mot... qui leur parle vraiment, qui les intrigue, les émeut, pas juste de manière froide), c'est les extraits de Tarkovski. Comme si tout d'un coup il y avait une porte qui leur permettait d'entrer dans un cinéma qu'il jugent habituellement strictement cérébral (et au mieux séduisant, dans cette intelligence).
Sérieux ? C'est fou puisque l'on pourrait croire que c'est justement un ciné froid, très cérébral (je me suis fait insulter plus d'une fois lors de projections de Stalker par exemple : p
Tom a écrit:
Le cinéma classique, c'est un cinéma croyant : même dans le malheur, le monde a un sens, il n'y a rien de gratuit, chaque élément est un signe, si un mec tousse il va mourir, si le soleil se lève tout se résout, le familier et l'univers avancent à l'unisson, le monde s'emboîte parfaitement. C'est un cinéma qui croit en Dieu.
Le cinéma moderne, c'est un monde qui ne croit plus : le regard ne va pas imaginer un monde derrière la porte, mais le regard au contraire bute contre ce qu'on filme (qu'on examine, sous toutes les coutures) et rebondit en point d'interrogation vers le spectateur amené à se questionner, la caméra interroge un monde opaque, dé-linéarisé, dé-construit, les personnages n'ont plus de but, ils errent (le cinéma de "voyants" de Deleuze). Plus rien n'a de sens, et c'est cela qu'on observe.
Et bien l'apport de Tarkovski, dans tout cela, ne serait-ce pas de ramener l'impression d'un Dieu autrement ? Continuer à filmer le monde d'une manière qui en interroge le mystère, l'opacité fascinante, tout en retrouvant ce pouvoir d'évocation perdu, cette impression que l'univers est "habité" ? Aller directement palper la transcendance, lui trouver une forme propre, plutôt que de l'acter en filmant un monde tenu par un ordre narratif divin ou tout est à sa place, comme chez les classiques ? En gros, s'il plaît tant à mes élèves, n'est-ce pas parce qu'à travers lui, il peuvent retrouver, autrement, une forme de croyance qui meurt (et qui ne renait qu') avec le cinéma (néo-)classique ?
C'est sexy ce que tu dis là !
(le cinéma de "voyants" de Deleuze) qu'est-ce ? Et comment tu définis un cinéma néo-classique (au delà de simples repères temporels), je vois à quoi cela s'apparente en peinture, musique etc... mais au ciné, je n'ai qu'une vague idée
C'est marrant d'ailleurs que Malick, considéré comme le plus religieux des cinéastes (et moderne également) aujourd'hui, revêt une certaine forme de panthéisme mais qui est totalement différente de Tarkovski. C'est un cinéma de la perte, de l'abandon, du deuil, mais où l'on appelle frénétiquement au Beau, où l'on filme vers le haut.