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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 23:07 
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Tarkovski évoque ou pressent un danger de regarder la réalité par le filtre de visions subjectives et des états d'âmes... si l'auteur n'aime pas la vie, s'il ne ressent pas le besoin débordant de le connaître, de le changer, de l'améliorer, de la rendre plus précieuse... (et ça il me semble c'est tout un autre pan du cinéma moderne - qui n'a retenu que la jouissance ou la puissance de regarder la réalité par le filtre de la vision subjective et les états d'âmes... mais sans la question de l'amour et du désir de changer, sans endosser de responsabilité par rapport à la réalité)


Très juste. Ca réconcilie bien le relativisme du subjectivisme et le besoin d'un absolu qui transcende l'individu. (désolé pour cette phrase pompeuse :oops: , mais ça a le mérite de condenser).


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 23:31 
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Brr, Ilouchechka, les extraits que tu mets me rappellent pourquoi j'aimais par lire Tarkosvki...
Désolé, mes retours vont pas avoir la rigueur de vos réflexions, il est tard !

Ilouchechka a écrit:
Cette injonction, par son caractère exclusive et sa nature proprement titanesque est une des clés de compréhension de cette oeuvre

Ça je suis d'accord. On est pas très loin d'une démarche à la Bresson ou à la Rossellini, où il y a une auto-suspicion constante de contournement, de fioriture, de "pêché" en quelque sorte (trois cinéastes très religieux, d'ailleurs), et où il y a l'idée qu'il y a au bout de cette recherche un absolu, un rapport à l'art enfin pur. Ce qui frappe par ailleurs, chez les trois, c'est une absence totale d'humour dans les films, mais aussi dans la démarche artistique : on est dans un chemin de croisade.

La monumentalité qui ressort de cette auto-exigence je la retrouve pour le coup assez clairement chez Bela Tarr et d'autres - peut-être parfois un peu viciée d'ailleurs, pas loin d'un sérieux d'enterrement confinant à la posture.


Ilouchechka a écrit:
«L'homme moderne se trouve à la croisée de deux chemins. Il a un dilemme à résoudre : soit continuer son existence de consommateur aveugle, soumis aux progrès impitoyables des technologies nouvelles et de l'accumulation des biens matériels, soit trouver la voie vers une responsabilité spirituelle, qui pourrait bien s'avérer à la fin une réalité salvatrice non seulement pour lui-même mais pour la société tout entière. Autrement dit, retourner à Dieu.» qui fait que son ombre plane, aussi imposante, sur bien des cinéastes contemporains.

Tout à fait, même si je ne sais pas si la question de Dieu que le cinéma contemporain a hérité de Tarkoski a transité via cette auto-exigence (via la reproduction d'une telle démarche artistique). On a effectivement un retour généralisé du mysticisme et d'un besoin de transcendance (pas forcément religieuse), avec tout ce que ça trimballe, y compris son corolaire kitsch (le new age). Mais si Tarkovski est une clé pour ça, c'est peut-être d'abord dans le sens où, malgré les référents orthodoxes multiples, il filme en panthéiste : tout chez lui peut être l'outil d'une révélation spirituelle. Du coup c'est un peu la boîte à outil parfaite pour les préoccupations de tout un pan du cinéma contemporain...

Pour prendre l'exemple d'un Lars Von Trier, je trouve Tarkovski moins présent dans sa filmo récente (où il s'invite par flashs ostentatoires) que dans sa filmo des années 90-2000 : la conviction que c'est à travers la forme la plus sale, la plus crade, qu'on va réussir à trouver une forme de transcendance. C'est la névrose propre à Tarkovksi : pour trouver Dieu, ne filme pas le ciel, filme la boue.

Karloff a écrit:
Mon Tarkovski préféré, le Miroir, est si fécond d'un point de vue narratif qu'il a presque à lui seul initié une nouvelle manière elliptique de raconter un récit personnel et fragmenté au cinéma. (il devait pas être le premier). En un sens, il est le "premier" hypnotiseur total du cinéma

Grave d'accord. Et pas seulement parce que c'est le meilleur (ça c'est le ressenti de chacun), mais surtout parce que c'est l’acmé des recherches de sa filmo : c'est le crash-test, le film sans filet, on enlève le récit, la linéarité, et on regarde si ce cinéma qu'il a modelé fonctionne. Mais moi j'aimerais justement bien comprendre à quoi ça tient exactement cet hypnotisme (= ce qu'il reste), en quoi ça diffère d'autres cinéastes de l'époque qui peuvent jouer d'un envoutement voisin, comme Antonioni.

Sinon effectivement, le Solaris de Soderbergh n'a rien de "tarkovskien", mais de toute façon je crois que personne ne l'avait avancé. C'est un tout autre trip.

Baptiste a écrit:
Au-delà du mysticisme (Sokourov a beaucoup pensé à Tarkovski quand il a filmé, notamment Faust), je pense que ce qui séduit, cette fois sur le plan formel, c'est cet usage du plan séquence de façon extensive, qui peut facilement "faire moderne" chez un jeune auteur qui voudrait se démarquer, cette irruption brute de vie dans le film qui va à l'encontre du cinéma classique. De ce point de vue là, je suis persuadé que Cuaron a vu Le Sacrifice avant de faire Les fils de l'homme.

Tu parles d'une façon particulière de faire des plans-séquences (pas compris ce dont tu parlais pour l'irruption de la vie), ou juste du fait qu'ils durent et donnent à voir explicitement cette durée ? Parce que je le trouve moins violent (plus discret) sur ce point que Kalatozov, par exemple.

Harry White a écrit:
Tarkovski évoque ou pressent un danger de regarder la réalité par le filtre de visions subjectives et des états d'âmes... si l'auteur n'aime pas la vie, s'il ne ressent pas le besoin débordant de le connaître, de le changer, de l'améliorer, de la rendre plus précieuse... (et ça il me semble c'est tout un autre pan du cinéma moderne - qui n'a retenu que la jouissance ou la puissance de regarder la réalité par le filtre de la vision subjective et les états d'âmes... mais sans la question de l'amour et du désir de changer, sans endosser de responsabilité par rapport à la réalité)

En gros, tu veux dire qu'il a rendu le cinéma moderne sexy, quoi !
C'est d'ailleurs assez frappant. Je peux montrer énormément d'extraits très classes de cinéma moderne à mes élèves, le premier qui les "réveille" (c'est vraiment le mot... qui leur parle vraiment, qui les intrigue, les émeut, pas juste de manière froide), c'est les extraits de Tarkovski. Comme si tout d'un coup il y avait une porte qui leur permettait d'entrer dans un cinéma qu'il jugent habituellement strictement cérébral (et au mieux séduisant, dans cette intelligence).


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 23:51 
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En repensant à ce dernier truc sur la réception des films, et à la question de Dieu et du mysticisme dont parle Ilouchechka.

Le cinéma classique, c'est un cinéma croyant : même dans le malheur, le monde a un sens, il n'y a rien de gratuit, chaque élément est un signe, si un mec tousse il va mourir, si le soleil se lève tout se résout, le familier et l'univers avancent à l'unisson, le monde s'emboîte parfaitement. C'est un cinéma qui croit en Dieu.

Le cinéma moderne, c'est un monde qui ne croit plus : le regard ne va pas imaginer un monde derrière la porte, mais le regard au contraire bute contre ce qu'on filme (qu'on examine, sous toutes les coutures) et rebondit en point d'interrogation vers le spectateur amené à se questionner, la caméra interroge un monde opaque, dé-linéarisé, dé-construit, les personnages n'ont plus de but, ils errent (le cinéma de "voyants" de Deleuze). Plus rien n'a de sens, et c'est cela qu'on observe.

Et bien l'apport de Tarkovski, dans tout cela, ne serait-ce pas de ramener l'impression d'un Dieu autrement ? Continuer à filmer le monde d'une manière qui en interroge le mystère, l'opacité fascinante, tout en retrouvant ce pouvoir d'évocation perdu, cette impression que l'univers est "habité" ? Aller directement palper la transcendance, lui trouver une forme propre, plutôt que de l'acter en filmant un monde tenu par un ordre narratif divin ou tout est à sa place, comme chez les classiques ? En gros, s'il plaît tant à mes élèves, n'est-ce pas parce qu'à travers lui, il peuvent retrouver, autrement, une forme de croyance qui meurt (et qui ne renait qu') avec le cinéma (néo-)classique ?


Bon je sens que ça se touche la nouille sévère là, j'arrête là pour ce soir.

(mais néanmoins ça me trotte dans la tête, cette idée)


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MessagePosté: 26 Aoû 2014, 23:30 
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Tom a écrit:
Brr, Ilouchechka, les extraits que tu mets me rappellent pourquoi j'aimais par lire Tarkosvki...


Huhu, c'est vrai que c'est pas une lecture foncièrement sexy, mais ça passe. Et, comme tu le dis plus tard dans ton message, c'est fou à quel point tout ce que Tarkovski produisait dans le cadre de son oeuvre (écrits, films, interviews etc...) était marqué du sceau de la croisade. Russe de son état, il était pourtant loin d'être le dernier à savoir faire la fête. Du coup, ce décalage entre la personne et ses créations me semblent à même d'apporter des réponses sur 'idée que Tarko se faisait de l'Art, quelque chose de pur, la seule chose à même de pouvoir évoquer l'Amour, la Beauté. Ce n'était pas du tout un pratiquant de l'ironie, façon Kubrick/je vous offre une leçon, mais plutôt une posture fervente, de prière, quasiment, qui influe directement sur la façon de parler au spectateur.

La conclusion tu temps scellé est émouvante (enfin, je trouve) à ce titre: "le fond du problème est que nous vivons dans le monde que nous imaginons, dans le monde que nous créons, et que nous dépendons de ses défauts quand nous pourrions dépendre de ses qualités.
En dernière confidence: l'humanité n'a jamais rien crée de désintéressé, si ce n'est l'image artistique. Et peut-être que toute l'activité humaine trouve sons sens dans la création d'oeuvres d'art, dans l'acte créateur absurde et gratuit. Peut être même est-ce en cela que nous avons été crées à l'image et à la ressemblance de Dieu, c'est à dire capable de créer ?
Je voudrais enfin, pour clore ce livre, dévoiler un espoir caché. J'aimerais que tous ceux qui auront été convaincus par ces pages, même si ce n'est qu'en partie, et à qui je n'ai rien dissimulé, soient devenus maintenant pour moi comme des alliés, des âmes soeurs."


Tom a écrit:
Mais si Tarkovski est une clé pour ça, c'est peut-être d'abord dans le sens où, malgré les référents orthodoxes multiples, il filme en panthéiste : tout chez lui peut être l'outil d'une révélation spirituelle. Du coup c'est un peu la boîte à outil parfaite pour les préoccupations de tout un pan du cinéma contemporain...

C'est la névrose propre à Tarkovksi : pour trouver Dieu, ne filme pas le ciel, filme la boue.


Et ça, en sus d'être particulièrement chrétien, est aussi quelque chose qui se retrouve dans la littérature russe, et notamment (fondamentalement même) chez Dostoïevski. Cela se répercute directement dans l'oeuvre de Tarkovski, La terre, le poids de la gravité, la boue, la salissure sont omniprésents, tout comme les mouvements de caméras, généralement lents, bien que continus ; Il y a une pesanteur, liée à a nature même de l'image offerte, d'autant plus vivace, vivante, qu'elle est contrebalancée par un appel, une volonté de transcendance. Si mes souvenirs ne me trahissent pas, dès l'enfance d'ivan, on a un film qui s'ouvre à hauteur du sol, avec la mère (voire au fonds d'un puits) et qui finit sur une course folle, vue d'en haut. (il y a surement pas mal d'onanisme dans ce que je viens d'écrire, mais je pense que l'idée est plus ou moins intelligible)

Tom a écrit:
C'est d'ailleurs assez frappant. Je peux montrer énormément d'extraits très classes de cinéma moderne à mes élèves, le premier qui les "réveille" (c'est vraiment le mot... qui leur parle vraiment, qui les intrigue, les émeut, pas juste de manière froide), c'est les extraits de Tarkovski. Comme si tout d'un coup il y avait une porte qui leur permettait d'entrer dans un cinéma qu'il jugent habituellement strictement cérébral (et au mieux séduisant, dans cette intelligence).


Sérieux ? C'est fou puisque l'on pourrait croire que c'est justement un ciné froid, très cérébral (je me suis fait insulter plus d'une fois lors de projections de Stalker par exemple : p

Tom a écrit:
Le cinéma classique, c'est un cinéma croyant : même dans le malheur, le monde a un sens, il n'y a rien de gratuit, chaque élément est un signe, si un mec tousse il va mourir, si le soleil se lève tout se résout, le familier et l'univers avancent à l'unisson, le monde s'emboîte parfaitement. C'est un cinéma qui croit en Dieu.

Le cinéma moderne, c'est un monde qui ne croit plus : le regard ne va pas imaginer un monde derrière la porte, mais le regard au contraire bute contre ce qu'on filme (qu'on examine, sous toutes les coutures) et rebondit en point d'interrogation vers le spectateur amené à se questionner, la caméra interroge un monde opaque, dé-linéarisé, dé-construit, les personnages n'ont plus de but, ils errent (le cinéma de "voyants" de Deleuze). Plus rien n'a de sens, et c'est cela qu'on observe.

Et bien l'apport de Tarkovski, dans tout cela, ne serait-ce pas de ramener l'impression d'un Dieu autrement ? Continuer à filmer le monde d'une manière qui en interroge le mystère, l'opacité fascinante, tout en retrouvant ce pouvoir d'évocation perdu, cette impression que l'univers est "habité" ? Aller directement palper la transcendance, lui trouver une forme propre, plutôt que de l'acter en filmant un monde tenu par un ordre narratif divin ou tout est à sa place, comme chez les classiques ? En gros, s'il plaît tant à mes élèves, n'est-ce pas parce qu'à travers lui, il peuvent retrouver, autrement, une forme de croyance qui meurt (et qui ne renait qu') avec le cinéma (néo-)classique ?


C'est sexy ce que tu dis là !

(le cinéma de "voyants" de Deleuze) qu'est-ce ? Et comment tu définis un cinéma néo-classique (au delà de simples repères temporels), je vois à quoi cela s'apparente en peinture, musique etc... mais au ciné, je n'ai qu'une vague idée :oops:

C'est marrant d'ailleurs que Malick, considéré comme le plus religieux des cinéastes (et moderne également) aujourd'hui, revêt une certaine forme de panthéisme mais qui est totalement différente de Tarkovski. C'est un cinéma de la perte, de l'abandon, du deuil, mais où l'on appelle frénétiquement au Beau, où l'on filme vers le haut.

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ART: Ça mène à l'hôpital. A quoi ça sert, puisqu'on le remplace par la mécanique qui fait mieux et plus vite.


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MessagePosté: 27 Aoû 2014, 11:15 
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Tom a écrit:
on est dans un chemin de croisade.
Ilouchechka a écrit:
c'est fou à quel point tout ce que Tarkovski produisait dans le cadre de son oeuvre (écrits, films, interviews etc...) était marqué du sceau de la croisade.
Qu'entendez-vous par croisade ? Je ne le vois pas du tout comme ça.

Tarkovski a écrit:
Tous mes films, d'une façon ou d'une autre, répètent que les hommes ne sont pas seuls et abandonnés dans un univers vide, mais qu'ils sont reliés par d'innombrables liens au passé et à l'avenir, et que chaque individu noue par son destin un lien avec le destin humain en général. Cet espoir que chaque vie et que chaque acte ait un sens, augmente de façon incalculable la responsabilité de l'individu à l'égard du cours général de la vie.
Tarkovski a écrit:
Pour être libre, il suffit de l'être, sans en demander l'autorisation à personne. Il faut se faire une hypothèse sur son propre destin et s'y tenir, sans se soumettre ni céder aux circonstances. Une telle liberté exige de l'homme de véritables ressources intérieures, un niveau élevé de conscience individuelle, et le sens de la responsabilité devant lui-même et par là devant les autres.
La tragédie est hélas que nous ne savons pas être libres. Nous réclamons une liberté qui doit coûter à l'autre mais sans rien lui abandonner en échange, voyant déjà là comme une entrave à nos libertés et à nos droits individuels. Nous sommes tous caractérisés aujourd'hui par un extraordinaire égoïsme. Or ce n'est pas cela la liberté. La liberté signifie plutôt apprendre à ne rien demander à la vie ni à ceux qui nous entourent, à être exigeant envers soi-même et généreux envers les autres. La liberté est dans le sacrifice au nom de l'amour.

Lorsqu'il écrit ça, il n'est en croisade pour ou contre rien. Il ne fait qu'exprimer l'exigence qu'il se donne. Il exprime ce qui le guide, lui. Sans l'imposer à personne. Je ne vois pas un croisé.

Trakovski a écrit:
En dernière confidence: l'humanité n'a jamais rien crée de désintéressé, si ce n'est l'image artistique. Et peut-être que toute l'activité humaine trouve sons sens dans la création d'oeuvres d'art, dans l'acte créateur absurde et gratuit.
Contrairement à toi, Tom, j'ai été très ému, stimulé par mes premières lectures de Tarkovski, il y a très longtemps. Je trouve cette "confidence"... très belle : partage d'une faiblesse terrible et d'un espoir démesuré. Le penser, l'écrire c'est déjà un partage que je trouve très touchant, une ouverture et une confiance en le lecteur qui est très impressionnante. Mais qu'il l'ait fait - dans son art à lui, le cinéma, art du 20ième siècle, art où le geste gratuit est particulièrement mis en danger par la nature même de la fabrication et de la diffusion et de diffusion - qu'il soit parvenu à rester fidèle à cette très haute idée, ca m'émeut vraiment.
C'est peut-être là que Tarkovski, dans son oeuvre, donne à sentir quelque chose de très rare "l'acte créateur absurde et gratuit", au cinéma. Quels autres cinéastes post-Tarkovski ont maintenu cette exigence, cette haute idée de l'art, et cette générosité à travers toute leur oeuvre, comme lui l'a fait ? Peut-être pour ça que son ombre plan encore aussi ?


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MessagePosté: 27 Aoû 2014, 11:48 
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Ilouchechka a écrit:
C'est marrant d'ailleurs que Malick, considéré comme le plus religieux des cinéastes (et moderne également) aujourd'hui, revêt une certaine forme de panthéisme mais qui est totalement différente de Tarkovski. C'est un cinéma de la perte, de l'abandon, du deuil, mais où l'on appelle frénétiquement au Beau, où l'on filme vers le haut.

Je vois deux périodes pour Malick. Ce n'est que récemment qu'il filme "vers le haut" comme tu dis. Je ne vois pas ça dans ses premiers films.
Le cinéma de Tarkovski est un appel frénétique au Beau aussi, mais qui contrairement aux derniers films de Malick, n'a jamais perdu la tension entre cet appel à la Beauté et ce qui l'en empêche. Pour Malick, plus rien ne semble entravé cet appel... et ça devient tout de suite beaucoup moins intéressant.

Dans les héritiers de Tarkovski, il y aurait deux fils spirituels qui ont suivis des voies diamétralement opposés : Bela Tarr et Terrence Malick.
Quand Bela Tarr dit que "Le cheval de Turin" est son dernier film - il ne dit rien d'autre, je crois, qu'après avoir fait ce film-là, il est arrivé au bout de son travail esthétique, de sa quête de sens (qui au départ était une sentiment de non-sens), pour lui, il est arrivé au bout, il a trouvé une réponse - il n'y a pas de sens - sa recherche de sens s'arrête - et donc faire des films aussi. Il ne peut plus partager la raison même pour laquelle il faisait des films... Il n'y a plus de tension.
A l'opposé, Malick semble dire j'ai trouvé le grand sens - la grande lumière - Dieu -.... et son cinéma, même si ces films restent des objets qui me fascinent, semble aussi vidé de la raison d'être qui habitait ses premiers films...
Tarr et Malick pour moi, ont, comme Tarkovski fait des films qui ne décrivaient pas le monde, mais qui racontait leur rapport et leur découverte de la vie, de l'homme, de la spiritualité... qui racontaient le mouvement de l'âme qui cherche un sens, leur cinéma transpire ce mouvement.
Impression de deux cinéastes qui ont continué à porter les questionnements philosophiques, religieux, humains, esthétiques et cinématographique de Tarkovski, qui se sont radicalisés dans des directions philosophique et religieux et esthétiques opposés, et qui aujourd'hui, ont tous les deux perdus la tension première d'où partaient leur questionnement.


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MessagePosté: 27 Aoû 2014, 13:26 
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Ilouchechka a écrit:
Et ça, en sus d'être particulièrement chrétien, est aussi quelque chose qui se retrouve dans la littérature russe, et notamment (fondamentalement même) chez Dostoïevski. Cela se répercute directement dans l'oeuvre de Tarkovski, La terre, le poids de la gravité, la boue, la salissure sont omniprésents, tout comme les mouvements de caméras, généralement lents, bien que continus ; Il y a une pesanteur, liée à a nature même de l'image offerte, d'autant plus vivace, vivante, qu'elle est contrebalancée par un appel, une volonté de transcendance.

Ça rejoint un peu ce que dit Harry sur Malick, qui aurait fait sauter ce poids et cette résistance... Je ne savais pas que c'était quelque chose d'ancré dans la patrimoine russe. Enfin on voit bien que Tarkovksi et Mikhalkov reprennent le flambeau d'une obsession de "l'âme russe", liée entre autre à la terre par delà la valse des régimes, et qui triturait déjà le muet, mais j'avais jamais fait le rapprochement.

Ilouchechka a écrit:
Sérieux ? C'est fou puisque l'on pourrait croire que c'est justement un ciné froid, très cérébral (je me suis fait insulter plus d'une fois lors de projections de Stalker par exemple : p

Projections à qui, tiens ? Stalker est peut-être un peu violent pour un premier contact, mais je suis surpris que ça t'étonnes, pour le reste. Un des extraits que je passe, c'est l'incendie du Miroir, et il n'y a rien à conceptualiser là dedans (mais si le plan-séquence, et ce sur quoi il s'attarde, est assez abscons) : y a une capacité de sidération immédiate, quelque chose de l'ordre de l'image-totem. Ils ne reçoivent pas ça comme quelque chose de cérébral, comme quelque chose à décoder.

Ilouchechka a écrit:
(le cinéma de "voyants" de Deleuze) qu'est-ce ?

Dans son dyptique "L'image-mouvement" / "L'image-temps" (qu'on peut comprendre, grossièrement, comme "cinéma classique" / "cinéma moderne"), il utilise ce terme pour décrire la mutation qui s'opère au sortir de la guerre, lorsque se brise ce qu'il appelle le "schème sensori-moteur" (le fait que le temps s'incarne toujours, jusqu'ici, dans le mouvement et donc dans l'action). C'est un peu chaud à résumer sans trahir (surtout que j'ai pas tout lu, héhé), donc juste un extrait :

Au lieu de représenter un réel déjà déchiffré, le néo-réalisme visait ainsi un réel à déchiffrer, toujours ambigu ; c'est pourquoi le plan-séquence tendait à remplacer le montage des représentations. (...) Il se passe quelque chose dans le cinéma moderne qui n'est ni plus beau, ni plus profond, ni plus vrai que dans le cinéma classique mais seulement autre. C'est que le schème sensori-moteur ne s'exerce plus, mais n'est pas davantage dépassé, surmonté. Il est brisé du dedans. Des personnages pris dans des situations optiques ou sonores, se trouvent condamnés à l'errance ou à la balade. Ce sont de purs voyants.


Ilouchechka a écrit:
Et comment tu définis un cinéma néo-classique (au delà de simples repères temporels), je vois à quoi cela s'apparente en peinture, musique etc... mais au ciné, je n'ai qu'une vague idée :oops:

Mmm, on arrive sur un terrain sans réel consensus théorique, donc ce qui suit ne va être que ma propre définition, avec ce que ça implique de caricature... Grosso-modo, pour moi, le néoclassicisme est d'abord la volonté inconsciente, et la capacité, à refaire du cinéma classique (et non un cinéma qui fait référence au cinéma classique, comme celui des maniéristes), sans pour autant se rendre aveugles aux mutations que le cinéma a subi entre temps (= sans photocopier le cinéma des années 40).

Tel que je le vois, le néo-classicisme retrouve certains principes primordiaux du cinéma classique : immersion, identification, signifiance du monde, relative transparence de la mise en scène (au sens où elle ne veut pas que le spectateur ait conscience d'elle, de ses opérations)...

Mais entre temps, plusieurs paramètres ont changé. Des motifs et formes du cinéma moderne qui ont été ingérés et digérés, certes, mais pas que. Dans les films hollywoodiens des années 80-90, la typification est par exemple bien moins importante que dans ceux des années 40-50. Cela se traduit, entre autres, par une atténuation assez flagrante du système des genres (le cinéma néoclassique, c'est d'abord une multitude de "drames" ou de "comédies dramatiques"). Moins de typification, ça veut dire aussi moins d'abstraction, comme si ce cinéma s'était injecté une dose supplémentaire de naturalisme : dans le jeu, dans les décors fourmillant de détails et de bordel, dans la lumière moins dessinée... Bref, je parle de ce genres de changements, qui reconfigurent les paramètres, mais qui conservent le même horizon, la même pensée, que ceux du cinéma classique d'antan.

Et, comme en peinture, c'est l'occasion d'une petite période formellement stable et apaisée, avant que la danse des mutations esthétiques ne reparte de plus belle.


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MessagePosté: 27 Aoû 2014, 13:34 
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Harry White a écrit:
Qu'entendez-vous par croisade ? Je ne le vois pas du tout comme ça.

Je ne sais pas pour Ilouchechka, mais je l'entendais comme l'idée d'une mission, de se voir comme en guerre (contre les tentations et compromis), le fait d'avoir une idée (du cinéma) à défendre et à répandre, etc. Après, je ne tiens pas plus que ça au terme, je n'y avais pas spécialement réfléchi.

Harry White a écrit:
Contrairement à toi, Tom, j'ai été très ému, stimulé par mes premières lectures de Tarkovski, il y a très longtemps. Je trouve cette "confidence"... très belle : partage d'une faiblesse terrible et d'un espoir démesuré. Le penser, l'écrire c'est déjà un partage que je trouve très touchant, une ouverture et une confiance en le lecteur qui est très impressionnante.

Ce qui me gonfle dans les écrits Tarkovski, c'est la haute idée qu'il a de son propre art qui n'est dénuée d'auto-complaisance, l'emphase et le côté ampoulé, la façon parfois de retranscrire ses idées comme si c'était autant de "visions"... J'ai l'impression de lire les écrits d'un fanatique. Après, je ne retrouve absolument rien de ces défauts dans son cinéma (qui est sérieux, mais jamais pompeux), donc ça ne me dérange pas plus que ça.

Harry White a écrit:
Je vois deux périodes pour Malick. Ce n'est que récemment qu'il filme "vers le haut" comme tu dis. Je ne vois pas ça dans ses premiers films.
Le cinéma de Tarkovski est un appel frénétique au Beau aussi, mais qui contrairement aux derniers films de Malick, n'a jamais perdu la tension entre cet appel à la Beauté et ce qui l'en empêche. Pour Malick, plus rien ne semble entravé cet appel... et ça devient tout de suite beaucoup moins intéressant.

Il est clair que Malick gagne plus à filmer les maisons pré-fabriquées du Texas ou Chastain, qu'une top-model et le Mont Saint-Michel. Mais comme le dit Ilouchechka, il y a une résistance, chez Malick, c'est la perte. Oui, il y a toujours cette tentation de peindre le jardin d'Eden, mais c'est toujours derrière un voile de macabre, de mélancolie violente, d'âge d'or (la fameuse lumière de fin d'après-midi) qu'on lui a retiré des mains.

Après je te rejoins sur le constat général. C'est ce qui fait qu'à la fois j'aime Malick (il trace une autre voie, il y a cet espèce de glissement incontrôlé et fasciné vers la lumière), et à la fois ce qui fait sa limite dangereuse (le new-age béat, en gros).


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MessagePosté: 27 Aoû 2014, 14:08 
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Tom a écrit:

Harry White a écrit:
Contrairement à toi, Tom, j'ai été très ému, stimulé par mes premières lectures de Tarkovski, il y a très longtemps. Je trouve cette "confidence"... très belle : partage d'une faiblesse terrible et d'un espoir démesuré. Le penser, l'écrire c'est déjà un partage que je trouve très touchant, une ouverture et une confiance en le lecteur qui est très impressionnante.

Ce qui me gonfle dans les écrits Tarkovski, c'est la haute idée qu'il a de son propre art qui n'est dénuée d'auto-complaisance, l'emphase et le côté ampoulé, la façon parfois de retranscrire ses idées comme si c'était autant de "visions"... J'ai l'impression de lire les écrits d'un fanatique. Après, je ne retrouve absolument rien de ces défauts dans son cinéma (qui est sérieux, mais jamais pompeux), donc ça ne me dérange pas plus que ça.


Je suis Harry White là dessus, je trouve limite Bresson plus "arrogant", "tranchant"... Là c'est vraiment une recherche exigeante, mais je ne trouve rien d'ampoulé ni de fanatique en soit dans Le temps Scellé


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MessagePosté: 27 Aoû 2014, 18:05 
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Je le reçois peut-être complètement de travers (et je n'ai pas lu le bouquin en entier, donc je peux difficilement faire des critiques d'ensemble). Mais rien que l'intro, où il publie une lettre d'une fille qui le tapisse d'éloges...


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