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 Sujet du message: The Lineup (Don Siegel, 1958)
MessagePosté: 12 Déc 2023, 12:34 
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Synopsis : la tentative de vol d'une mallette et le meurtre d'un policier qui s'ensuit lancent deux inspecteurs de police sur la piste d'un trafic de drogue convoyée via divers présents achetés sur les marchés. Pendant ce temps, un tueur et son partenaire/biographe débarquent à San Francisco pour récupérer en un temps compté les dits cadeaux.

Lors de la sortie de The Killer, David Fincher a cité Don Siegel comme l'une des sources d'inspiration. Comme pour ce film Netflix, The Lineup (aussi connu comme La Ronde du crime) fait office de trait d'union entre le petit et le grand écran. Il s'agit d'un prolongement d'une des premières séries télévisées "procédurières" consacrées aux activités de la maison poulaga, diffusée entre 1950 et 1953 (les deux sémillants inspecteurs et leur jeu en bois en sont tirés). Le "Lineup" en question y fait évidemment référence au défilé des suspects devant les témoins, scène présente dans l'exposition.

Car il n'est évidemment pas question de réflexion théorique chez Siegel, artisan fortiche de la série B qui commença comme monteur et réalisateur de scènes de pif-paf-pan-pan pour des productions plus ou moins prestigieuses dans les années 1940 : on l'a embauché pour transposer la série tv et c'est ce qu'il fait après une ouverture qui est elle courte et pétaradante avec vol, double-meurtre et accident d'auto qui se déversent au sein de plans sauvages. Là où Fincher opère méthodiquement en présentant dès sa longue introduction avec son tueur face à une multitude de cadres dans le cadre, étendant l'horizon du spectateur, Siegel dérègle le contrat tacite avec celui-ci en deux temps.

Pendant un quart d'heure, nous voilà plongés dans la mollassonne inspiration première du parodique Police Squad! avec Leslie Nielsen et George Kennedy (on trouve même la visite au labo avec l'assistant qui bidouille dans le fond et le squelette dans le décor). Puis, une fois que les inspecteurs ont pigé qu'un réseau de contrebande est en place, le récit écrit par Stirling Silliphant (Le Village des Damnés, Dans la chaleur de la nuit, Les Flics ne dorment pas la nuit mais aussi Telefon du même Siegel) bifurque sur le couple de criminels venus chercher les statuettes.

L'un, Dancer, est un tueur, interprété par Eli Wallach avec cette forme de légère déglingue dans le regard que reprendra parfois DeNiro, et l'autre, Julian (Robert Keith) est son partenaire/mentor et... curieusement... biographe. Au gré des infos jetées entre deux étapes de leurs mission, on apprend que Dancer est son sujet d'étude pour un bouquin à paraître (il lui demande notamment de lui fournir les dernières morales de ses victimes) et qu’il lui enseigne en retour des rudiments de vocabulaires et de grammaire.
Ce couple étrange, qui anticipe celui, plus pro et coulant, d'À bout portant que réalise Siegel quelques années plus tard, va faire dérailler la mécanique de départ. On ne suit plus désormais les forces de l'ordre dans leurs exploits mais on colle désormais aux basques de ce tandem qui écument différents sites de San Francisco (le film fait la part belle aux décors réels du futur terrain de chasse de Scorpio dans Dirty Harry) : des plus touristiques (l'aquarium, la patinoire) aux plus communs, comme le sauna d'un immeuble pour jeunes célibataires qui renforcent l'aspect homoérotique de la relation Dancer/Julian. Un duo qui prend place dans la longue lignée des tueurs aux accents nihilistes (qu'il s'agisse des étudiants parvenus de La Corde ou du tandem qui ouvre A History of Violence de Cronenberg).

Suivant la piste de voyageurs qui convoient tous à leur insu des objets remplis d'héroïne comme autant d'étapes d'un safari urbain mortel, le film entrechoque le monde ordinaire, "normal" diront certains, avec la vision désaxée du tueur et de son complice. Pour Siegel, il n'existe qu'un vernis de civilisation : en dessous couve une noirceur qui fait tache d'huile jusqu'à faire naître une paranoïa dans le moindre environnement.
Quand Dancer cherche à contacter la mère célibataire qui possède une poupée pleine de schnouf, il le fait à l'aquarium lors d'une scène de séduction assez douce-amère, où il évoque son vague à l'âme et son isolement. De son côté, la jeune femme explique que le père de la gamine les a plaquées et ne s’est même pas déplacé pour les accueillir. C’est cette « communauté d’esprits » entre perdants du rêve américain qui la place dans les griffes de son prédateur.
Au gré des allées et venues des tueurs, le tissu relationnel entre les êtres prend l’eau. D’ailleurs, cette même décrépitude est présente dans les soupçons des deux flics quant au notable qui se fait subtiliser sa mallette au début du film ; dans l'alcoolisme du chauffeur des tueurs (un Richard Jaeckel tout jeunot) ; dans le refus du serviteur d’un des couples embarqués malgré eux dans le trafic de faire confiance aux tueurs et de leur laisser la mallette ; ou dans la duplicité du marin au sauna.

Siegel se sert de chaque décor pour construire un piège se refermant sur les victimes : voir la photo du dessus avec un tir de profil dont on aperçoit l'impact dans le miroir. Et cette sensation d’emprisonnement n’est pas réservée qu’aux cibles des assassins. Comme pour L'Invasion des profanateurs de sépultures, la traque policière est montrée sous un jour insidieux avec des agents à chaque coin de rue repérant la bagnole des tueurs.

Ce point de vue sarcastique emplit la séquence dans laquelle Dancer retrouve "The Man", le patron de l'organisation au milieu d'une rangée de télescopes surplombant la patinoire des Sutro Baths.
L'Homme en question n'est autre qu'un infirme en chaise roulante avare de mots. Il signifie à peine à Dancer que ce dernier va être abattu pour ne pas avoir livré toute la drogue et pour l'avoir vu en personne. Au fur et à mesure de leur discussion, l'Homme regarde droit devant lui tandis que Dancer s'irrite et que nous apercevons derrière eux en légère plongée les patineurs.
Tous les éléments apportent une pointe d'ironie cinglante : un mec piégé qui s'appelle Dancer, son ennemi qui est immobile, des patineurs qui vont et viennent... La situation folle monte à la tête de Dancer qui balance d'un coup l'Homme et son fauteuil du haut de la rambarde sur la foule.
Et, petite cerise sur le gâteau : l'Homme s'écrase sur un des patineurs... Ah... Don... on n'en fait plus des comme toi.


Le climax du film est à l'avenant avec une poursuite sur un tronçon d'autoroute qui n'est pas terminée et qui ne mène donc... nulle part. Une Lost Highway dans laquelle Dancer se lance dans une dernière course effrénée, tentant d’échapper à un destin tout tracé. Comme The Lineup aura bien pris soin de ne rien révéler de plus sur son passé qu'une enfance sans père, ses motifs et ses raisons passent au second plan d'une course contre la montre pour finir un boulot, sans regard ni empathie envers ceux qu’il va dessouder. Pressé par le temps, il ne lui reste plus qu'à franchir la ligne d'arrivée (
jeté comme un détritus des hauteurs d'une construction aussi indifférente qu'imposante
) avant que le coup d'arrêt ne soit marqué par une sirène retentissante, véritable trompette de l’Apocalypse. Une journée de plus dans un pays régi par la Loi et l’Ordre.

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