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Futter mein Ego
Il y avait fans le village d'à côté une casse de voiture (endroit d'ailleurs assez magique). Vers 8-11 ans mes frères et moi trainaient avec un voisin un ou deux ans plus âgé que nous, assez lisse d'apparence, mais en fait plutôt destructuré, et qui nous impliquait d'abord dans des trucs sympa ( escalade jusqu'à assez haut dans les arbres) puis progressivement dans des conneries (vandalisme pas si menu que cela, psychologiquement régressif). Il faut dire que l'on se faisait chier. Ses parents étaient sympa (très différents, père féru de modélisme ferroviaire, mère qui donnait l'impression d'une intello delaissée, un peu comme Eva Green dans White Bird) mais on sentait une forte tension entre eux, et que lui fils unique était coincé entre les deux.
Enfin bon nous sommes allé la casse (je me souviens d'une superbe Mercedes W112 grise) et avons choppé les emblèmes et écussons de calandre ou de volant des voitures. Cela nous apparaissait anecdotique, mais c'est bien sûr ce qui avait le plus de valeur pour le propriétaire ou le gérant. La deuxième fois les fils du propriétaire qui jouaient nous ont vus, depuis une pile de voiture, une vraie scène de film. On fuit à vélo, et le copain (Alain) me dit : si on se fait chopper tu balances le sac avec les écussons dans le bas-côté pour les récupérer ensuite. Je suis un peu destabilisé et ai un moment Jean Genet : il m'emmenait dans un truc risqué en incluant voire en préméditant dès le début le risque d'être pris (en un sens il était moins con que le gamin d'Armageddon Time). On voit le 4x4 jaune du proprio de la casse sur la route. Lui se barre (dans la direction opposée au quartier) après avoir jeté son sac, pas moi, et je reste sur place tétanisé.
La casse est adjacente à une petite gare au pied d'une colline d'un côté, des champs avec des chemins en impasse de l'autre, il n'y a qu'un seul axe de fuite par la route. Le mec (avec un de ses fils) me fait monter dans la voiture, m'engueule (est-ce que je vais voler chez ton père ?). Il m'apparaissait terrifiant, au point de provoquer une peur pendant plusieurs années quand je repassais devant l'endroit, à 500 m de la maison, mais dans une autre commune, avec une sorte de barrière à la fois géographique et sociologique (territoire alors plus rural et moins amenagé, un chouïlla plus éloigné de Bruxelles). Rétrospectivement je comprends qu'il a fait preuve de retenue et de beaucoup de dignité. Ceci dit pour réhabiliter les casseurs après le message d'Art Core.
Les jours suivant ma mère sent qu'il y a un os autour de la casse et de la relation avec Alain, mais la formule de la pire des façons qui soit (ce sont des voitures accidentées et les emblèmes conservant l'âme des personnes mortes, et je trouble leur repos en les recellant sur l'étagère de ma chambre, elles vont se venger en rendant ma crise d'adolescence explosive, genre l'Exorcisme III. Dans le fond c'est pas dénué de vérité, mais avec ce genre de parents pas besoin de voir des films de John Carpenter, j'ai les mêmes à la maison). Je commence a perdre de vue le copain, je crois que ma mère oriente cela indirectement.Je me rapproche d'un autre ado du quartier, plus posé et calme (il avait posé une chaise sur le toit de la bibliothèque paroissiale, sur une petite colline, et observait le manège du quartier le mercredi, y compris nos conneries), mais qui me faisait plus peur que l'autre par le seul fait qu'il était amateur de hard rock, cheveux longs et un peu en décrochage scolaire malgré son intelligence discrète mais indéniable (je me demande ce qu'il est devenu, son meilleur pote, encore plus en décrochage que lui et dans mon athénée voulait devenir Compagnon du Tour de France, ce serait bien qu'ils aient réussi, c'étaient le genre d'élèves que les profs remarquent et respectent tout en les éliminant du système). Il écoutait Opeth, Deicide et les Inspiral Carpets. Le gars avait une personnalité trop forte et trop lucide que pour désirer la réussite.
Alain est devenu cheminot je crois. Un jour, je devais avoir 26 ans, il s'assied en face de moi dans un train de banlieue, le visage marqué. On fait semblant de ne pas se reconnaître mais il se met a consulter obstensiblement un document où son nom figure, levant tout doute.
Sinon j'ai volé des trucs ado de ma propre initiative aussi, tout n'est pas lié aux "mauvaises" fréquentations. Je m'en veux un peu adulte, d'avoir traîné sur soulseek pour la musique (même si j'aimais bien le char) et sur scalisto voire de temps en temps les torrents pour les films, car je connais la fragilité économique des métiers de la culture. On se tire une balle contre nous-même et finalement Google a raflé la mise de la mort du droit d'auteur, sous couvert de culture gratuite (en fait volée, la gratuité demanderait une politique, quand le vol ressemble trop bien au monopole technique)
Là j'essaie d'acheter sur Qobuz ou 7digital le plus possible.
Sur Soulseek, j'avais sympathisé avec un mec de Dijon, formateur en informatique genre lecteur de Magic. Il m'avait envoyé par la poste une vingtaine de CD vierge pour que je lui grave l'intégrale de Piano Magic (un groupe franco-anglais que j'aimais bien, un peu dans la veine 4AD sans être 4AD) que j'avais plus ou moins reconstituée par la mediathèque et aussi les cadeaux de ma copine (le mec fétichisait les Wav par rapport au MP3). Nous avions un demi-accord (il m'a à vrai dire un peu tordu le bras). Je ne lui ai jamais renvoyé les CD, d'une part cela me faisait chier de les graver (ça prenait 20 minutes par disque et ratait une fois sur deux), d'autre part les mecs (et Klima, leur chanteuse française, d'Angers ou Tours) donnaient l'impression d'être aussi snobs que fauchés. Il m'a bien sûr engueulé. Du coup j'ai gardé (et techniquement volé) ses CD vierges dans leur enveloppe pendant 10 ans, avant de les foutre à la poubelle a peu près au moment où Piano Magic a disparu.
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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage
Erving Goffman
Dernière édition par Vieux-Gontrand le 03 Jan 2023, 18:41, édité 11 fois.
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. Ils se sont fait choper dans l'aéroport et sont restés une nuit en garde à vue avec appel aux parents et tout le bordel, ça a failli flinguer tout le voyage.
