Son prénom, Siegfried, lui a été donné par des parents mélomanes, en hommage à l’opéra de Wagner. Il ne l’aime pas. Pas plus qu’il n’apprécie l’opéra du compositeur allemand. Ce prénom, néanmoins, est le seul qu’il a gardé, l’épurant du nom de famille (Debrebant), et parfois d’une syllabe. Nombreux sont ceux, en effet, qui le nomment simplement Sig.
Un drôle d’oiseau que ce Siegfried, musicien multi-instrumentiste, photographe, compositeur de musiques de films (A vendre, de Lætitia Masson, No Happy End, d’Olivier Mégaton, Chok-Dee, de Xavier Durringer), réalisateur de quatre courts-métrages et de six films dont le dernier, Riga (Take 1), sort mercredi 6 juin dans une seule salle à Paris, le cinéma Luminor dans le 4e arrondissement. Parti de chez lui à 16 ans, Siegfried, gamin de Montmartre – il y est né en 1973, quitte l’école mais continue le conservatoire de musique.
Filmer la rue
Puis il vagabonde, marche à la débrouille, fait de la photo noir et blanc, apprend le violoncelle, le piano et les percussions, part à l’étranger, s’improvise journaliste. Partout où il passe, il dort chez les copains de fortune qui deviennent des amis. « Chez les gens de la haute », comme il dit, comme auprès des « gens de la rue », il a le don de se faire accepter, de s’adapter, de se passionner pour la vie de chacun. Tous l’intéressent, au point que lui prend l’envie de les filmer. Et en particulier, les oubliés des villes et du métro. Aux Puces, il rencontre Roschdy Zem, inconnu à l’époque, et décide de faire son court-métrage La Faim avec lui.
Siegfried pratique le cinéma comme la musique, vantant à l’infini les plaisirs que procure l’improvisation
Caméra à l’épaule, il suit son pote, à partir d’un scénario qui sert de trame, sans plus. Car, pour Siegfried, filmer la rue, c’est surtout la laisser prendre possession de la caméra, lui donner la possibilité de faire don de l’inattendu, des rencontres impromptues. Cette « méthode » relève d’une nature qui lui fait préférer la spontanéité à la préparation, le hasard au calcul, le don de soi et la liberté dont elle se pare à la virtuosité. Siegfried pratique le cinéma comme la musique, vantant à l’infini les plaisirs que procure l’improvisation. Plaisirs de la rencontre aussi, avec des musiciens qui, soudain, ont envie de jouer ensemble. Et se lancent. Dans ses films, il se comporte de la même manière. Il aime un visage, une personne, une actrice. Il écrit un thème qui laisse le champ à tous les possibles. Le montage fait le reste.
Bouche-à-oreille
Siegfried ne procédera jamais autrement, même lorsqu’il se lance dans les longs-métrages. Pour Louise (Take 2), en 1998, il filme, dans les couloirs du métro, Elodie Bouchez, arnaqueuse pour les humbles, flanquée d’un petit copain teigneux et d’un gosse à la langue bien pendue. Pour Sansa, cinq ans plus tard, il s’attache encore à un personnage de vagabond romantique et à Roschdy Zem pour l’incarner. De Montmartre à Tanger en passant par l’Espagne et la Russie, ce voyageur couche dehors, nargue les policiers, drague les filles. Une histoire vouée à un périple prévu et à l’aléatoire qu’il propose. En d’autres lieux, en d’autres temps, Kinogramma en 2008 et Riga (Take 1) en 2018 appliquent le procédé.
Siegfried finance ses films avec l’argent de ses concerts, se fait prêter des salles de montage
De la même manière, Siegfried ne déroge pas à une règle qui va contre celles vers lesquelles certains l’ont invité à se soumettre, comme, par exemple, monter un plan de financement. Il refuse. Non par rébellion. Ni par une volonté de positionnement anti-système. Mais parce que « dès que vous faites appel à d’autres personnes pour monter votre film, dès que de l’argent est en jeu, dit-il, une machinerie lourde se met en place. La lumière, le maquillage… cela me fait perdre de la fraîcheur, ce moment où spontanément, je décide de tourner et où il se passe quelque chose, même si c’est au prix, à l’image, de certains défauts ». Dès lors, il finance ses films avec l’argent de ses concerts, se fait prêter des salles de montage quand elles ne servent pas, emploie des monteurs qui aiment travailler pour lui durant leurs heures libres, et occupe des salles de projection, en espérant que le bouche-à-oreille les remplisse peut-être.