Mais c'est peut-être la conviction profonde de Lanzmann , que la Shoah soit sans origine, et sans raison, en somme elle-même une identité ? Il la place dans un régime d'exception politique et esthétique, mais parodoxalement cette exception ne la relie-t-elle pas à une forme de violence anthopologique commune et fondamentale, qui est pré-culturelle, et dont il faut savoir qu'elle est en nous ?
Ce qui est par exemple frappant dans le Lièvre de Patagonie, ce sont les affinités personnelles de Lanzmann avec la culture germanique romantique du XIXème. Ses mémoires sont un roman d'initiation rousseauiste (truculent) à la Jean-Paul, et il projette toute sa vie dans un itinéraire individuel à la Michael Kohlhaas, à la fois juste et immoral, équivalent au religieux (en dialogue avec Luther) , mais rival à celui-ci, sacrificiel et laïc, athée mais sensible à la notion de grâce et de sort.
Mais, par contre, il n'explique pas la Shoah par le nationalisme allemand, par une psyché nationale, par la concurrence idéologique entre communisme et fascisme, par le déracinement culturel lié au capitalisme et à la constitution soudaine d'une classe moyenne d'employés urbains qui a brutalement besoin d'une idéologie que le fascisme lui fournit à bon prix (comme Krakauer). Il ne discute même pas comme Arendt la notion de système politique totalitaire (il ironise d'ailleurs plutôt sur la Corée du Nord, principalement traitée comme le cadre d'une aventure amoureuse d'adolescent attardé, et d'une anecodte gentillement moqueuse sur Chris Marker).
Dans le mêm ordre d'idée, Jean-Pierre Meville, dans l'Armée des Ombres, donne une image beaucoup plus sombre, inquiète et moralement complexe de la résistance, en racontant des évènement proches de ce que relate Lanzmann à propos de son père et de son frère.
Tsahal est contemporain des accords d'Oslo et de Rabin, et pas un film contre les Palestiniens, et je pense que Lanzmann était surtout proche de l'Israël utopique des Kibboutz. Il n'aurait pas fait le même film avec Nethanyahou.Il s'est aussi toujours tenu à une certaine distance du cirque malsain des polémiques communautaires françaises.
Il s'est aussi toujours tenu à une certaine distance du cirque malsain des polémiques communautaires françaises.
Bof.
Son soutien emphatique à Robert Redeker puis à Philippe Val, en pleine affaire d'instrumentalisation des caricatures véritablement racistes et islamophobes du Jyllanposten, ne fut pas trop à son honneur.
Citation:
Tsahal est contemporain des accords d'Oslo et de Rabin, et pas un film contre les Palestiniens, et je pense que Lanzmann était surtout proche de l'Israël utopique des Kibboutz. Il n'aurait pas fait le même film avec Nethanyahou.
Tsahal, qui est le 3è moment - on l'oublie souvent - d'une trilogie sioniste (et présentée comme telle) dont Shoah est le second et une commande du gouvernement israélien, et Pourquoi Israël le premier, est peut-être "contemporain des accords d'Oslo...", chronologiquement, mais il leur est totalement étranger ou indifférent (voir (1) et (2)). Lanzmann n'était pas du tout "proche de l'Israël utopique des Kibboutz", mais au contraire fan de base d'un Israël militaire, affirmatif, viril, conquérant et pragmatique. Son Israël est celui de BHL, son "Tsahal" aussi, car comme lui il véhicule inlassablement cette image de l'armée la plus éthique du monde défendant la plus belle démocratie du monde. (3)
Son "Tsahal' n'est pas "contre les Palestiniens" dans la mesure où ces derniers n'y ont quasiment pas d'existence autre que des figurants dans le décor (on les voit essentiellement faire du travail de terrassement dans les colonies, avec enthousiasme parce qu'ils reçoivent un salaire. Et sinon, il demande à un habitant de Gaza à quoi bon faire tant de gosses...). Il y a quand-même eu des observateurs - israéliens y compris (1) (et pas que Jean-Luc Godard, qu'il fut récemment et reste encore de bon ton de traiter d'antisémite) pour relever l'incroyable et épaisse unidimensionnalité idéologique de ce film, qui a qu'on le veuille ou non tout d'un film de propagande quasi-délirant, et qui le moins qu'on puisse dire fait peu de cas des Palestiniens. Je l'ai vu dans son intégralité, et je dois dire que j'ai été sidéré.
La contiguité entre Shoah et Tsahal pose aussi problème. Difficile de ne pas y voir une volonté de signifance de type post hoc ergo propter hoc. Cette volonté est même revendiquée. Lanzmann fut un des rares intellectuels juifs français à explicitement justifier l'existence de l'Etat d'Israël par l'extermination nazie des Juifs (2). Là où la plupart des autres dénoncent la possibilité même d'un tel lien causal et accusent ceux qui le pratiquent tout simplement d'épouser le révisionnisme et même le négationnisme d'extrême droite. Ceci pour ne pas parler de l'opprobre qui plane sur un Norman Finkelstein aux Etats Unis.
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Pour Claude Lanzmann, Israël n’était pas une question. C’était une réponse, une évidence inébranlable, voire inattaquable. Il fulminait toujours quand un programmateur peu scrupuleux ou un critique étourdi ajoutait un point d’interrogation au titre de son premier film, Pourquoi Israël, sorti en 1972. On l’oublie parfois, mais Shoah n’est que le deuxième volet d’une trilogie viscéralement, résolument sioniste, se concluant par le très controversé Tsahal (1994). «A l’inverse de nombreux intellectuels juifs, Claude Lanzmann n’avait pas peur de tracer un lien direct entre la Shoah et Israël, bien au contraire», rappelle Denis Charbit, qui dirigea avec lui deux numéros des Temps modernes consacrés aux 60 ans d’Israël. «Claude Lanzmann n’avait aucune appétence pour l’éternisation de la condition victimaire ni le trémolo de la catastrophe, poursuit l’historien franco-israélien. En tant qu’ancien résistant, il acclamait la révolte. Pour lui, Israël incarnait ça. La métamorphose de cet abîme de souffrance en Etat le fascinait, en grand représentant parmi d’autres de cette tendance moderne du judaïsme post-Holocauste, celle du judaïsme assertif. En Israël, Lanzmann voyait la survie inventive, le pragmatisme, l’athlétisme d’une nouvelle génération de Juifs : bref, une éternelle jeunesse.» L’ancien résistant met pour la première fois les pieds en Israël en 1952, quatre ans seulement après la déclaration d’indépendance. A peine descendu de l’avion, arnaqué par un taxi, il se retrouve déposé devant un café interlope, entre marlous et prostituées. La vision l’enthousiasme, à l’instar du célèbre poète israélien Haim Nahman Bialik, pour qui il ne pouvait y avoir «d’Etat normal que lorsque nous aurons la première pute juive, le premier voleur juif et le premier flic juif». Par la suite, il multiplie les voyages et sert de pont entre les élites israéliennes naissantes et la France. Il organise la venue de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir en 1967 en Terre sainte, et fera partie en 1982 de la délégation de François Mitterrand, premier président français en visite officielle en Israël.
Boursouflé
Si Claude Lanzmann était tout sauf religieux, sa foi en Israël était inébranlable. Interrogé en 2011 par le quotidien de gauche Haaretz, il qualifie l’existence de l’Etat hébreu de «victoire phénoménale sur Hitler». Alors que Shoah fut, comme ailleurs, un événement en Israël, la sortie de Tsahal en 1994 est en dissonance totale avec la société israélienne. A l’heure des accords d’Oslo, après la première intifada, la guerre du Liban et l’onde de choc du travail des «nouveaux historiens» israéliens sur la Nakba (l’exil forcé des Palestiniens), ce panégyrique boursouflé de l’armée israélienne apparaît anachronique. A l’écran, aucun intellectuel palestinien en vue, mais des généraux à la pelle. Alors que le film dure cinq heures, Lanzmann donne à peine la parole aux pacifistes criblés de doutes (tel un jeune David Grossman) et presque jamais aux Palestiniens. Sauf pour leur demander, comme il l’ose à un père de famille de Gaza, «pourquoi faire tant d’enfants ?» A l’inverse, le réalisateur consacre une interminable demi-heure à la fabrication du tank Merkava, où l’on se sent «comme à la maison». Pour Denis Charbit, Lanzmann passe alors «totalement à côté de l’ébranlement de la conscience israélienne. En fait, ce film parle plus de lui que d’Israël». Tsahal, c’est l’Israël grande gueule, qui ne s’excuse pas, qui avance. Lanzmann, en somme.
«Tectonique»
La ministre de la Culture, l’ultranationaliste Miri Regev, bête noire d’un cinéma israélien connu pour sa critique féroce du patriotisme, a salué jeudi la disparition d’un «géant». Dans un communiqué, le mémorial de la Shoah à Jérusalem, le Yad Vashem, a souligné le «changement tectonique […] sans précédent» amorcé par Shoah dans sa manière de faire vivre la mémoire de l’Holocauste à travers la parole des vivants. Pour l’institution, «son décès, à l’instar de nombreux autres survivants qui nous ont quittés récemment, marque la fin d’une époque.»
Guillaume Gendron correspondant à Tel-Aviv
(3)
" Tsahal, à mes yeux, est son film le plus mésestimé. Il y montre que la réappropriation de la force par le peuple juif est libératrice, qu'elle est juste. Car elle n'a rien à voir, ni de près ni de loin, avec la violence, c'est-à-dire avec la force obscure et déchaînée. Claude Lanzmann était persuadé qu'à travers la résurrection d'Israël, mais aussi à travers le judaïsme d'affirmation de la diaspora, les juifs étaient en train de recouvrer leur force, et que c'était bien, et que c'était beau." "Rétrospectivement, je ne comprends pas l'embarras que ce long métrage si courageux a suscité chez certains de ses amis. Était-ce parce que Claude y exaltait la valeur cardinale de l'armée populaire d'Israël, la fameuse "pureté des armes" (Taarath Haneshet) ? Peut-être. Tous ces gens, en tout cas, avaient tort. Ils sont passés à côté de l'audace bienfaisante de ce film."
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