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« QU'EST-CE QU'UN HÉROS ?
Qu'est-ce qui pousse un homme à devenir un héros ? Bien des choses, bien des raisons. Quelquefois c'est très simple. J'en ai une petite expérience. Non que je sois un héros,
mais deux ou trois fois dans ma vie j'ai été placé dans des circonstances telles que j'ai été quasiment forcé d'accomplir des actions héroïques. Or, chaque fois, je les ai accomplies dans une complète inconscience, sans imaginer que ce que je faisais impliquait le moindre courage. Si ce soupçon m'avait effleuré, j'aurais eu une grande frousse sans doute et j'aurais pris mes jambes à mon cou.
Le plus curieux est que, quand on me montrait plus tard quels périls j'avais courus, je n'éprouvais pas de peur rétrospective. Une grande joie, au contraire, comme de recevoir un cadeau magnifique (et immérité). Héros sans le savoir, donc sans effort, et en recueillir après coup la gloire, c'est aussi grisant qu'une imposture réussie !
Stendhal dit qu'il y a deux choses impossibles à contrefaire : le courage au feu et l'esprit dans la conversation. Le type du héros simple, quasiment angélique, est le chevalier d'Assas, qui préfère mourir plutôt que de laisser son régiment tomber dans une embuscade.
Sakharov « est un homme qui, depuis bientôt vingt ans, mène une vie constamment héroïque. A lui tout seul, il résiste au formidable pouvoir soviétique, et le met en échec, sans se soucier des dangers qu'une telle attitude accumule sur sa tête. Cette forme d'héroïsme est la plus difficile.
Dans une action d'éclat précise, on est soulevé par l'enthousiasme, on ne pense plus à soi. Pour supporter l'inconfort moral et physique d'une existence dont chaque minute est vouée au dépassement de ses forces, être depuis vingt ans au front, jamais à l'arrière, jamais en permission, il faut un cœur impavide. Et Sakharov est marié, pour comble. Être un héros avec une femme, que l'on se reproche d'entraîner dans l'héroïsme sans lui avoir demandé son avis, et qui doit avoir parfois des moments de découragement, c'est surhumain.
Qu'est-ce qui le fait agir ? L'amour du peuple russe ? Il n'y a en U.R.S.S. qu'une poignée de dissidents, peu suivis, peu compris, inconnus de la masse. L'amour de la liberté ? Ce mot, là-bas, n'est qu'une abstraction. C'est pour soi, pour son propre honneur, pour son âme et par son âme, que l'on est un héros, et Sakharov doit bien s'en douter. Son héroïsme ne sert à rien. A rien, sinon à donner la leçon majeure, la seule précieuse, la seule génératrice d'espoir : que la plus grande force matérielle ne peut rien contre la force morale. Le plus beau, avec les héros, c'est qu'ils ne sont jamais fatigués. Jamais vieux non plus. L'héroïsme est une fontaine de jouvence.
Les chroniques dans France Soir de Jean Dutour recueillis dans
De La France considérée comme une maladie fournissent une lecture plaisante : du bon sens de droite spirituel, goûtant les paradoxes, un peu comme un Chesterton français, avec un tempérament de moraliste plus marqué. La vision du monde dont elles témoignent fuit un peu la complexité mais comme écrits de circonstance. Le passage de Giscard à Mitterand, etc, tout témoigne de l'éternel et déprimant retour du même.