Paul Ariès a écrit:
La communauté scientifique est aujourd’hui unanime pour dire que la notion de « développement durable » n’est pas un concept scientifique, mais idéologique. Ce consensus mou s’est établi autour de la pensée et des intérêts des dominants. Les choses ont commencé à mal se passer pour la gauche lorsque sa pensée théorique s’est affaiblie et qu’elle a épousé les mots poisons de ses adversaires : le lecteur en aura un bon symptôme en suivant la carrière de Jacques Attali. En 1973, la revue la Nef publiait un dossier sous le titre « Les objecteurs de croissance ». Parmi les signataires,René Dumont, bien sûr, mais aussi Jean-Pierre Chevènement, Michel Rocard et… divine surprise : le grand Jacques (Attali). Ce dernier, pas encore conseiller de Mitterrand et encore moins de Sarkozy, refusait l’équation devenue « incontestable », croissance = progrès social : « Il est un mythe, savamment entretenu par les économistes libéraux, selon lequel la croissance réduit les inégalités. Cette argumentation permettant de reporter à “plus tard” toute revendication redistributive est une escroquerie intellectuelle sans fondement… »
Attali opposait donc deux stratégies, l’une de droite, l’autre de gauche : « L’une, fondée sur l’exacerbation des besoins marchands par l’inégalité conduit à la concentration urbaine, à la centralisation des pouvoirs en un petit nombre de centres de décisions privés et publics. Une telle stratégie permet une croissance très rapide du PNB et entraîne une aggravation simultanée des coûts sociaux […] ; la mobilité des travailleurs n’est pas un signe de dynamisme économique mais une sujétion de la croissance ; le renouvellement rapide des produits n’est pas un signe de progrès mais la source de gaspillages inacceptables […] ; la croissance a toujours été la glorification du travail. » L’autre stratégie, que soutenaient alors Attali et la gauche socialiste, consistait à maîtriser la croissance économique en remettant en cause « la superpuissance des entreprises capitalistes multinationales », qui « prive de plus en plus les États de leur souveraineté véritable, en matière monétaire, économique, sociale ». Puis, en remettant en cause « la règle du profit » qui « entraîne inévitablement la priorité du marchand sur le non-marchand, de l’économique sur le social, du quantitatif sur la qualitatif ». Enfin, en changeant les « règles de dévolution du pouvoir dans les entités économiques », qui « favorisent les comportements hiérarchiques et les aspirations à l’inégalité et conditionnent une demande de plus en plus ostentatoire », telle que Veblen l’avait prédit [NDLR : c’est-à-dire l’imitation des modes de vie de la « petite bourgeoisie »].
Attali proposait finalement, face à la dictature de la croissance nécessairement inégalitaire, l’adoption d’une planification décentralisée dans le respect de trois grandes questions : quel pouvoir organise la production ? Qui détermine les besoins ? Qui impose les limites du possible ? Attali concluait son étude par ce jugement toujours d’actualité : « S’ils ne le font pas, un jour peut-être, toute la profession économique sera condamnée pour non-assistance à société en danger de mort. » Mais ce même Attali préside, en 2007, une commission de réforme sur « les freins à la croissance économique » à la demande de Nicolas Sarkozy…
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http://www.mouvements.info/spip.php?article183