Biophilia de Björk
Volta m'avait pas enchanté : je trouvais ça assez foireux et aléatoire, un peu sec dans ses expérimentations, encore construit sur cette forme alignant entre quelques chansons plus solides des intermèdes assez dépourvus d'intérêt.
Sur ce plan,
Biophilia vient d'abord rassurer. On a dix vrais morceaux, entiers, indépendants et hermétiques. La pochette est à l'image des chansons : très denses, très remplies et généreuses, transpirant le boulot, s'offrant si on en a le désir à de multiples ré-écoutes. Ce côté-là, c'est plutôt une bonne nouvelle.
Le concept d'un album construit autour d'une thématique ou d'une idée précise, bien prégnant depuis
Vespertine, vient cependant endommager l'ensemble. J'ai eu très peu souvent l'impression de chansons qui naissaient d'une envie, d'un
"hé, j'aimerais bien chanter ça" : on a au contraire l'impression d'une déclinaison répétée et appliquée, façon dissert. Le but qu'implique cette démarche, celle d'aller trouver pour chaque déclinaison du "thème" l'illustration musicale la plus adaptée, s'avère rapidement assez stérile. Certes, on en a pour ses oreilles : petite visite façon musée de timbres et textures à apprécier. Mais dénués d'une dynamique qui les transcende, les morceaux finissent pas ressembler à une grosse table de travail où l'on pourrait inverser tout et son contraire : on finit paradoxalement par les confondre en un même magma.
C'est d'ailleurs un des premiers albums de Björk depuis longtemps où il n'y a pas de prédominance d'une texture instrumentale, colonne vertébrale peut-être basique, mais visiblement nécessaire à la personnalité de ses disques. On retrouve juste des systématismes poussés à bout (les chœurs féminins en support, les arrivées de beats électroniques percussifs aux deux tiers des morceaux), et la variété habituelle des timbres. Peut-être peut-on juste noter les apparitions de l'orgue, et le retour de la musique électronique.
C'est aussi, bizarrement, le premier album de Björk complètement dénué de "tube" : il y a de quoi manger si on adhère, c'est au premier abord assez riche, mais rien ne se détache avec assez de singularité et d'évidence pour remplir ce rôle.
Après, tout cela révèle de l'avis temporaire : j'attends de voir ce que ça donne sur la longueur, les derniers albums de Björk m'avaient tous laissé un peu perplexe à la première écoute, avec un sentiment de pauvreté et de facilité qui s'est pas toujours confirmé par la suite...
Concernant les morceaux, maintenant :
Cosmogony, peut-être par sa simplicité de structure et l'économie d'éléments musicaux, s'impose comme le seul vrai morceau totalement cohérent de l'album : malgré les paroles teubé, il est entraîné par une sorte d'énergie béate et optimiste qui fonctionne bien. Il est curieux que Björk ait remixé in extremis l'ensemble : le face à face très simple et cru, inattendu vu l'imagerie spatiale, entre un ensemble de cuivre un peu rustre et la voix, s'est mué en chaos de basses et de sons ronds et bouchés, comme si on entendait la chanson depuis l'intérieur d'un corps, ou sous l'eau. On peut trouver dommage d'avoir abandonné cette jolie partie cuivrée (très liée au style
Volta, pour le coup), mais ça marche toujours (et la fin est mieux).
Je surveille du coin de l’œil
Thunderbolt et
Mutual Core, avec lesquels j'ai pour l'instant du mal, mais où j'aime des choses locales (le motif à l'orgue du second, par exemple). Même s'ils me semblent pour l'instant trop bordéliques pour rien, c'est le genre de morceaux qui pourraient très bien vieillir à la réécoute.
A la façon de
Submarine sur
Medulla,
Dark Matter trouve un mariage voix/musique ne relevant pas de l'expérimentation hasardeuse, malgré un début qui fait peur. On sent bien le morceau ne sachant pas trop quoi construire à partir de cette trouvaille : c'est le plus court de l'album. Mais il semble beaucoup moins calculé que les autres, le mariage sonore a plus d'évidence.
Moon est un morceau assez simple sur un motif basique de harpe. Pas transcendant, mais le morceau est bon, et la fin aux accents tragiques, qui arrive très naturellement, est très jolie. Idem, un palier en dessous quand même, pour
Virus et
Crystalline, franchement pas révolutionnaires (notamment le côté pop un peu artificiel du second), mais assez mélodiques pour fonctionner.
Au rayon des vrais ratages, où on a l'impression de voir Björk s’amuser devant son synthétiseur comme un gamin qui s'emmerde, il n'y a finalement qu'
Hollow, qui rappelle les égarements d'
Ancestors. Passer aussi sur
Solstice , très chiant. Faudra voir à la réécoute, mais pour l'instant
Sacrifice me semble médiocre.
Avec le recul, je finis par me dire que je préfère peut-être chez elle des morceaux isolés des albums, comme
The Comet (Scythe c'est cadeau, c'est pour toi), qu'on peut juger foireux mais qui ont pour eux une cohérence, un chemin tracé, un horizon, où l'atonal n'est pas juste un effet de passage pour faire bizarre, où paroles et musique semblent s'associer de manière un peu plus mystérieuse que comme pour un commentaire composé... Bref, l'unité des morceaux de l'époque d'
Homogenic me manque beaucoup (après on va me dire que je grandis et que je me rends compte que c'est pas si bien
).