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https://www.liberation.fr/culture/cinema/festival-de-cannes-2024-francis-ford-coppola-mais-que-fait-megalopolis-20240516_3CKZXPYS35FITIDGHWG35YV4SI/
Une bonne âme pourrait-elle c/c cet article ?
Citation:
Ogre Péplum rétrofuturiste imbitable et brumeux, avec de vrais morceaux de fascination dedans, le dernier film maousse de Francis Ford Coppola a laissé nos envoyés spéciaux à Cannes éberlués.
EN COMPÉTITION MEGALOPOLIS de Francis Ford Coppola, avec Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito... 2h18.
Megalopolis est tout et rien. Megalopo- lis est partout et nulle part. Megalo- polis est une tentative de monument et un ratage inconcevable. Megalopolis nous a plongés dans un état de confusion indescriptible. Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Ebauche de réponse en sept hypothèses.
VIENS DANS MA GROTTE L'adjectif «grotesque» provient d'un mot italien de la Renaissance, adopté par Giorgio Vasari et ses collègues Raphaël et Michel-Ange pour qualifier de stupéfiantes peintures découvertes dans une grotte au sommet d'une des sept collines de Rome, l'Esquilin. En réalité la grotte n'en était pas une, mais une ouverture donnant accès, quinze siècles après son ensevelissement et son oubli par le peuple romain, à la partie haute du gigantesque palais impérial de Néron. Les «grotesques» sont les peintures ornementales qui couvraient les murs de ses galeries et coupoles, la mutation du terme s'expliquant par la bizarrerie, aux yeux ébahis des peintres de la Renaissance, de leurs motifs fantaisistes hybridant architecture, animaux, végétaux et chimères. Par la manière dont il enchevêtre les formes et les images, dont il se réclame d'une hardiesse artistique perdue, mais aussi dont il nous défie, et avec nous le cinéma, de ne pas céder - nerveusement - face à son excès terminal de ridicule amphigourique,
Megalopolis de Francis Ford Coppola est grotesque, au sens littéral du terme. Comme si le dernier film - en date, il en promet au moins un autre- du vieil ogre du Nouvel Hollywood était le dernier vestige, à peine lisible, d'une oeuvre ancestrale, qui aurait fini engloutie dans les tréfonds de l'histoire du cinéma.
CAESAR SALADS De quoi parle la «fable» ? Un architecte idéaliste et capricieux, découvreur d'une matière miraculeuse et magicien capable d'arrêter l'écoulement du temps, entreprend de redessiner la ville à l'image de son utopie et s'oppose par-là au maire, réaliste et cynique, partisan du béton et dépassé par la misère qui gagne la mégalopole. Synopsis initial illico lardé de complications, divagations et allégories, puisque Megalopolis s'envisage en cousin opératique des oeuvres de Sénèque, Shakespeare et T.
S. Eliot. Coppola a passé quatre décennies à écrire et réécrire son film, qui, inévitablement, se présente à nous en un agglomérat inaccessible d'enjeux, d'intrigues, de notes de bas de page dont on perçoit que le cinéaste ne l'a pas tant rédigée qu'il l'a laissée se sédimenter au gré des années, des ajouts et retranchements, des compressions et dilatations, des lectures, des visionnages, des méditations, des doutes, des montées de mégalomanie, des vapeurs de culpabilité et des coups de colère face aux remous de l'actualité (le projet fut abandonné notamment après les attaques contre le World Trade Center). Chaque réplique tonne comme dans une salle de Broadway ou un théâtre en marbre, concrétion encyclopédique, moderniste ou imbitable, c'est selon, de divagations et de bribes de grands textes, qu'on finit par entendre, pour cause de vitesse du débit et de gravité sentencieuse, comme du bruit blanc, entrevoyant in fine que César, Cicéron, Crassus, Clodio ou Wow Platinum ne s'adressent ni à nous ni à eux-mêmes, mais déclament pour la légende des siècles.
TOUT EST CHAOS Le film est parcouru des reflets de la figure du créateur, ou du super-héros, doué d'un pouvoir surnaturel, capable d'imposer sa volonté au temps en l'arrêtant. Il l'imagine en mégalo, veuf, crapule, mais en fait non, utopiste, mais en fait désenchanté, perché sur le toit du monde, le néant à ses pieds. Hanté par sa propre impuissance, César voit son pouvoir s'user, c'est l'amour qui le lui rend. Ce protagoniste s'obsédant à vouloir sauver le monde de l'effondrement, c'est Adam Driver, toujours caraxien (et donc romantique), un peu Batman. Le happy end lorgnant vers Disney laisse planer l'allégorie du film-testament, tourné vers la relève des générations.
NIQUÉ 3D Péplum taré, Megalopolis, dans les rues de sa New Rome, brasse une esthétique futuristeantiquisante dont on ne dirait pas qu'il l'invente, mais peut-être qu'il la recrache à partir d'un moodboard constitué de l'intégralité de l'histoire occidentale. La direction artistique du film semble avoir été confiée à l'IA plasticienne Midjourney, nourrie de force pour l'occasion à Aloïs Riegl et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. Si la grande costumière historique du Nouvel Hollywood baroque, Milena Canonero (78 ans) a créé une pléthore de robes-toges qu'on trouverait sublimes une par une, leur défilé nous perd quelque part entre Tinto Brass et Paco Rabanne - quant à la vision du futur de son urbaniste démiurge de héros, elle déploie une esthétique de village olympique, avec flux de pistes cyclables en bosons de Higgs, et quelques grands crachats rétrofuturistes argentés à la Frank Gehry. Film sans fond (sans fin, ni propos) mais en forme de fond d'écran, Megalo- polis tente d'imaginer son empire (romanoaméricain) au bord de l'effondrement sans jamais le rendre palpable. C'est que Coppola «l'Idéaliste» s'intéresse peu à la matière, à la matérialisation - mais ses grandes idées aux mailles trop lâches, vastes, pour saisir quoi que ce soit du réel auraient eu besoin de trouver un peu de corps, pas seulement à l'état synthétique ou gazeux. Le film aurait pu être une impressionnante variation sur les puissances du faux s'il gardait, planquée en ses tréfonds, une vague idée de la réalité. Son résultat, ou ses ruines, ce qui a survécu matériellement d'un vieux projet aux intentions sans doute géniales, porte à croire que ce n'est pas le cas. Il s'effondre sur lui-même avant tout, avant la civilisation que son récit met en péril pour mieux la sauver de justesse. L'empire est moche, vive l'empire.
POUR QUI SONNE LE GLAMOUR ? Une somme no limit de n'importe quoi fait ruisseler les manières du cinéma américanoitalien, un melting-pot d'effets d'un autre âge, de glamour croupi dans des scènes de bacchanales Années folles qui donnent le mal de mer. Se laisser baratiner par le scénario, sa parabole politique qui se mord la queue donne aussi envie de hurler par-dessus pour recouvrir le boucan des tons et des images qui passent leur temps à se couper la parole. Le mauvais rêve d'une armée de techniciens en salle de montage pourrait ressembler à Megalopolis, tour de Babel de toutes les langues de cinéma du monde avec de vrais morceaux de fascination concassée dedans, cherchant l'immersion à toute fougue sans jamais laisser le temps aux situations de ressembler à des scènes.
HÉTÉROPOLIS Dans une oeuvre pas particulièrement célébrée pour ses rôles féminins complexes et passionnants (encore que Peggy Sue s'est ma- riée), le nouveau Coppola - dédié à son épouse Eleanor, décédée le 12 avril - ne fait pas exception, et ne semble pas avoir cherché (au cours des quatre décennies mises à s'écrire) à déroger à la règle de trois figures hétérosexuelles: on a la mère (hyperintense), l'épouse (modèle ou morte), et la maîtresse (dominatrice/manipulatrice), triade que se partagent respectivement Talia Shire, Nathalie Emmanuel et, quand même, Aubrey Plaza. Cette dernière tire presque sa cravache du jeu dans le rôle de la journaliste Wow Platinum, en choisissant de coller sans réserve au registre général du film : c'est-à-dire de se débarrasser de toute profondeur et de toute psychologie, pour ne jouer que des indications à gros traits, et se prêter entièrement à la pure image-surface qu'il s'agit de former. C'est que Me- galopolis, intégralement raconté et filmé à la manière d'un comics de super-héros (perverti : une sorte de Marvel malade), est surtout - et peut-être volontairement - une galerie de vignettes ou de figurines. Le Aubrey Plaza Show, qui s'en fout de tout, peut y briller par intermittence. Il comporte une quasiscène absurde de quasi-sexe BDSM avec Shia LaBeouf, où Wow, toute en répliques clichées et attirail de base de la domina, fait de lui bien ce qu'elle veut. Plaza s'en sort le mieux parce qu'ayant sans doute capté assez tôt le délire, elle jouit de ce vide et s'en amuse presque. Et si nous, on ne sourit pas, le film étant, comme son héros, dépourvu d'humour (peut-être le poids des 100 millions de dollars investis de la propre poche de l'auteur), Wow introduit une ombre d'esprit distancié dans un film trop distant - ou planant à mille mètres.
LE SYNDICAT DE LA CROÛTIQUE Il faut épargner aux lecteurs le making-of de cet article, et les atermoiements des critiques en négociation avec eux-mêmes, le cerveau fumant au-dessus du clavier, se débattant avec ce que chacun croit savoir du «grand film malade». Pitié, n'écrivons rien qui reste dans les annales! Que personne ne s'avise de parler du chef-d'oeuvre maudit! Les errements d'un insigne cinéaste qui a su créer des attentes démesurées autour d'une oeuvre-cathédrale valent-ils d'y rester piégé comme des mouches à miel ? Par son impérium de papi gladiator, Coppola signe un film qui refuse qu'on le trouve dérisoire. On connaît le chantage des films malformés qui se sont donné du mal pour exister, et implorent qu'on s'en donne aussi pour les aimer. ?