le cinéma coréen avait eu un premier âge d'or, à partir de 1954, en gros. des grands cinéastes apparaissent, les films vont dans des festivals, le public apprécie en masse.
mais ça ne dure pas longtemps, et tout commence à se dérégler à partir de 1962. il y a plusieurs phénomènes simultanés, mais celui qui est intéressant ici est celui provoqué par une loi protectionniste qui est un peu notre réglementation française en version xxl. pour protéger et développer le cinéma national, une loi instaure des normes techniques - 4 caméras et 15 salariés minimum, ce qui est beaucoup pour l'économie locale - et surtout : les sociétés ne peuvent importer un film étranger qu'en échange de 10 films nationaux produits. l'effet est à la fois une consolidation des gros acteurs - des boites ferment partout et 4 producteurs récupèrent 100% du marché, et une multiplication des "quickies", des films vite faits, aux moyens mutualisés, et qui bien souvent ne sortent même pas en salles ! et donc, tout se casse la gueule.
en adaptant à l'époque, j'ai tendance à penser que la même histoire se répète vaguement aujourd'hui. le cinéma coréen a vécu un âge d'or incroyable pendant 10-15 ans, faisant émerger des immenses réalisateurs, apportant un oeil et un dynamisme incroyable à des genres, même le tout venant avait un truc en plus - et ce en plus de vrais chefs d'oeuvre plus que réguliers. puis j'ai tendance à penser que ça se casse bien la gueule depuis quelques années. ce qui était une industrie qui produisait ses trucs dans son coin est devenu un vrai enjeu, les films s'exportaient, les gros réalisateurs partaient à hollywood pour perdre du temps et de l'énergie à faire des trucs moins bien, du coup les "moyens" prenaient la place des gros sur le marché, et comme ça marchait plus de films produits avec plus d'argent et de fait, plus de trucs sans intéret. le succès de squid game a fini d'empoisonner le truc, l'argent américain des plateformes a bouleversé les équilibres, beaucoup de programmes, beaucoup de frics, et la spécificité qui se perd - ou qui se vend en boite de conserve - pour satisfaire l'ogre américain.
ce film-ci (disponible sur mycanal) m'a semblé parfaitement représentatif. c'est un gros machin, avec la star song kang-ho, mais réalisé par un mec à la carrière vraiment pas folle. et c'est un pur et dur blockbuster américain des années 90. un truc qui me fascinait dans le cinéma coréen c'est à quel point c'était proche de nous tout en étant totalement différent : les structures sociales, les manières de vivre étaient très proches mais c'était dans les rapports humains que c'était totalement différent, dans les interactions interpersonnelles ou dans le rapport à la violence ou dans l'humour, mais avec des histoires qui pourraient souvent se passer ici. ça me fascinait. ici, non : même dans les rapports humains c'est totalement conforme à nos normes occidentales, l'histoire est totalement formatée selon les normes hollywoodiennes (il y a même le flic à terre avec sa femme dans l'avion tout droit sorti de die hard 2), il se trouve juste que les acteurs sont asiatiques.
mais non seulement c'est le genre de blockbuster qu'hollywood ne produit plus - alors que c'était quand même méga chouette - mais c'est le haut du panier du genre. l'histoire est efficace, ça mélange parfaitement une attaque terroriste de cinéma avec les vraies conséquences que ça peut avoir, il y a plusieurs gros morceaux narratifs successifs qui font qu'on ne s'ennuie pas. le film est long - 2h15 - mais ça permet de faire vivre chaque situation, de laisser se développer et laisser vivre les choses. il arrive à avoir suffisamment de trucs énormes et ridicules pour être sympathiquement divertissant, tout en ayant des vrais personnages pour garder le truc intéressant et pas partir dans le z. c'est bien et élégamment filmé, yim si-wan est tellement beau qu'il donne envie de mourir et c'est un super méchant, le film ne se perd pas à caractériser 50 personnages ou à ne caractériser personne - l'équilibre est parfait, et les grosses scènes sont impressionnantes. un très chouette et intelligent divertissement.
et surtout, surtout, c'est totalement zinzin. le film parle donc d'un virus inconnu et aéroporté qui se diffuse dans un avion, qui tue de manière rapide et atroce certaines personnes et qui rend juste HS d'autres (c'est un truc un peu ridicule du film, ces morts ou ces vivants très commodes, mais ça passe). un enjeu est donc : peut-on laisser l'avion atterrir au risque de diffuser le virus ? avec l'avion qui traverses les frontières et les pays autour qui refusent de le recevoir pour ne prendre aucun risque. et donc tout ça a été tourné... en plein covid, avec un tournage interrompu par le confinement, puis qui a repris et le film sorti 1 an et demi plus tard, le temps que les salles rouvrent. donc c'est tout à fait saisissant, parce que concrètement ça aurait pu être un film sur le covid (sauf qu'on crachait pas du sang par les yeux) - avec l'enjeu de la chine qui coupait les lignes intérieures en contact avec les régions touchées mais qui gardaient les correspondances internationales... tu te dis "mais pourquoi ils mettent pas des masques chirurgicaux ?" avant de te rappeler qu'il fut un temps où c'était logiquement incongru d'avoir des masques chirurgicaux à disposition.
au final le film actait que le cinéma coréen avait vraiment perdu sa touche magique, son facteur x, mais que ça reste quand même des fournisseurs de contenu tout à fait qualitatifs.