Prix nobel pour une quasi inconnue en France: l'américaine Louise Glück.
Article de "La Croix"
Louise Glück, la polyphonie de la vieCitation:
Beauté de la nature, de l'enfance, appui narratif venu de figures mythologiques et bibliques... la poésie confidentielle, y compris dans son pays, de l'Américaine Louise Glück a été couronnée jeudi 8 octobre par le prix Nobel de littérature.
Les traditionnels désappointés de n'avoir pas vu leur favori couronné par le Nobel de littérature pourront oser un mauvais jeu de mots, arguant du coup de chance pour Louise Glück. Si pour un lauréat d'Amérique du Nord beaucoup misaient de longue date sur les écrivaines Joyce Carol Oates, Joan Didion ou Margaret Atwood, les amateurs de poésie lorgnaient plutôt sur Susan Howe, après avoir déploré que soit boudé le grand John Ashbery, décédé en 2017.
En France, très peu de lecteurs, même les plus exigeants, avaient entendu parler de Louise Glück avant cette récompense «pour sa voix poétique caractéristique, qui avec sa beauté austère rend l'existence individuelle universelle», selon le commentaire de l'Académie suédoise.
Aucun de ses livres n'a encore été traduit en français. «Elle est pour nous comme Modiano l'était pour vous: très importante, même si inconnue de votre côté de l'Atlantique, sourit l'écrivain américain Dinaw Mengestu, qui dirige le département Arts littéraires de Bard College (État de New York). Louise Glück n'est cependant pas une auteure célèbre ici non plus, et son travail peut être qualifié d'exigeant. Elle est une voix singulière et très importante, à la fois lyrique et émouvante, mais aussi pleine d'une subtile intelligence. Louise Glück parvient à ne pas sacrifier l'émotion, la vivacité et l'esprit à la recherche formelle.»
Née en 1943 à New York, dans une famille d'origine juive hongroise qui donnera, ainsi que son enfance, matière à son inspiration, Louise Glück enseigne à l'université Yale. Elle commence à écrire au début des années 1960, et publie en 1968 son premier livre, Premier-né . En tout, douze volumes de poésie et d'essais ont paru à ce jour, rassemblés dans le recueil intitulé 1962-2012 . La poétesse a reçu au fil des années un très grand nombre de récompenses, dont le Pulitzer de poésie 1993 pour L'Iris sauvage (lire l'encadré) , paru un an plus tôt. Un recueil où sont sublimés le cycle de la vie, les relations humaines, la beauté de la nature et de sa renaissance.
«Je voulais rester comme j'étais,/ immobile, comme le monde ne l'est jamais,/ pas au coeur de l'été mais l'instant précédant/l'éclosion de la première fleur, l'instant/où rien ne s'est encore passé », écrit Louise Glück dans le poème qui donne son titre au recueil, mettant en scène jardiniers, plantes confrontés à une voix qu'on suppose être celle du divin.
Les figures mythologiques et bibliques (Moïse, David...) offrent à l'auteure des appuis narratifs expressifs, par exemple dans Le Triomphe d'Achille (1985) et Ararat (1990). Son recueil Vita Nova (1999) est un hommage à Dante, tandis que Averno (2006) est une réinterprétation du mythe de Perséphone, captive d'Hadès. «Les voix de Didon, Perséphone et Eurydice - l'abandonnée, la châtiée, la trahie - sont les masques d'un "soi" en métamorphose» , a souligné l'académicien suédois Anders Olsson à l'annonce du prix Nobel. «Personne n'est plus dur qu'elle-même dans la confrontation au soi, mais sans que ce mouvement soit pleinement autobiographique.»
«C'est en effet une méprise qui a souvent eu cours», abonde la spécialiste française de son oeuvre, l'universitaire Marie Olivier, qui lui a consacré sa thèse de doctorat, «Le désir de neutre», et a tenté souvent de la faire publier en France. «C'est parce que son "je" n'est pas directement autobiographique, même quand il est question de vécu, qu'on peut s'y identifier en la lisant. Ses écrits ne sont pas à voir comme nés de l'expérience. Il faut voir son "je" comme un masque. Sa poésie va au-delà du personnel et va tout droit à l'intimité.»
D'un style resserré à ses débuts, «une veine d'une ironie incisive» , qualifie Marie Olivier, Louise Glück a évolué vers le long poème beaucoup plus narratif. L'universitaire juge très intéressante cette évolution vers une poésie plus musicale. «Louise Glück offre une poésie dans les silences sans être contemplative, une poésie dans les non-dits. Elle esquive les thèmes, c'est ce qui fait la beauté et la singularité de son oeuvre. C'est une poésie d'une simplicité déceptive: elle n'est pas politique, pas confessionnelle à outrance, mais toute dans la subtilité.»