Laissez-passer (2002)
Des enfants gâtés avaient été une très bonne surprise, film inabouti mais vif, lucide sur l'époque, et particulièrement original, lorgnant sur les fresques sociologiques de Varda (l'une Chante l'autre pas) et Anatomie d'un Couple, le tout avec les acteurs du Splendid presqu'à contre-emploi. Je dois dire que Laissez-passer m'a paru à l'inverse lourd, et empesé, conforme eux reproches les plus usuels faits au cinéma de Tavernier, et j'ai lâché. C'est affreusement long (pas loin de 3 heures), le décor donne une impression de Kommandatur de Fancy-Fair (alors que même dans la Grande Vadrouille arrive à incarner la peur et la surveillance dans le réel), rendant la métérialité du decorum nazi immédiate). Les acteurs sont contraints au bon mot et peu naturels (Podalydès est à contre-emploi), et placés à la fois dans un rapport d'imitation envers l'époque et de justification de l'individu, comme si le film avait pour mission de les sauver en les expliquant), d'où l'impression fâcheuse d'une exposition permanente. Tavernier essaye de dynamiser le film par un montage très rapide, avec des scènes trop courtes (qui ont peut-être l'avantage de faire oublier le caractère rétro du décor), qui rendent le film désincarné, les personnages sont réduits à leur costume.
La Guerre sans nom (1992)
Documentaire fait avec Patrick Rotman, de 4h, sur la Guerre d'Algérie (honnêtement je n'ai vu pour les moments que les deux premières). Là en revanche c'est beaucoup plus intéressant. L'angle du film est d'interroger uniquement des appelés (donc des conscrits, pas des militaires de carrière) français et de se concentrer sur une seule région, le Grenoblois, dans laquelle il y a eu assez tôt dans la guerre une mobilisation, venue à la fois des familles et des communistes, pour tenter de bloquer le départ des soldats, assez importante numériquement, mais trop peu organisée pour avoir des effrts notables (bloquant et détruisant les voies d'un train de voyageur confondu avec un convoi d'appelés). La facture est classique, faite d'interviews, et de quelques plans de lieux déserts (un peu straubiens tiens) , urbains ou montagnards, où l'on a du mal à discerner si l'on est dans les montagnes du grenoblois où celles des Aurès, ainsi que de photos (en elles -mêmes très fortes, mais peu montrées) prises par ses soldats. Cependant l'interviewer (qui n'est pas Tavernier) peut être parfois assez dirigiste, et un certain malaise survient parfois , ainsi dans l'exploitation des moments où certains de ces hommes âgées craquent, en évoquant les morts, qui sont faussement car trop obstentiblement coupés.
La patte de Tavernier se retrouve dans le localisme (grande ville de Province, forte économiquement, avec une population instruite mais sans pouvoir de décision politique), et dans le fait de montrer, comme dans Des Enfants Gâtés , un engagement politique par la base, mais aussi plutôt méprisant par rapport aux partis. L'idée d'une morale qui pourrait dissoudre (mais aussi réutiliser) les idéologies. Le film commence avec ceux es témoins ayant une sensibilité de gauche (et déjà organisé politiquement à Grenoble, le film commence par l'histoire et la cité et progresse vers la "situation" individuelle), qui se sont engagés pour l'insoumission, mais s'attarde assez peu sur eux, sinon pour leur faire dire (parfois très difficilement, tabou symétrique voire plus fort que celui de la torture chez ceux de droite) que le parti communiste ne les a pas tellement soutenus, même si leur cas a pu être médiatisé (on le montre par des plans de journaux), et pointer l'ambiguïté, sur le fait qu'ils on dù malgré tout faire la guerre . Le film est intéressant, mais manipulateur, quand d'un côté il amène à insinuer chez un Communiste qui a fait deux de prison la culpabiltmité de ne pas passer au FLN, présentant presque son geste comme la recherche une planque, de la même manière qu'il recherche l'aveu de la torture chez les paras ,et l'impact des tués par accidents (par maladresse donc) chez les deuxièmes classes, c'est le même déni qu'il cherche à chaque fois à prouver et à forcer. Il est le principal objet du film : le cinéma restitue une parole qui manque, qui justifie le personnage quand elle est retrouvée, comme si cette justification était d'autant plus efficace qu'elle est elle-même dénuée pas de passé (impression que l'on retrouve cela aussi dans ses fictions).
Il est vrai que la partie la plus intéressante dans ce que j'ai vu concerne les soldats "de droite", un chef de bataillon harki et des paras, convaincus d'avoir une mission, soit patriotique, soit par esprit de corps envers l'armée . Ces deux motifs ne sont jamais énoncés en même temps. Beaucoup d'eux sont sur une sorte de ligne de crête entre justification et reconnaissance de la torture, ce qui n'est pas la même chose. Celui des témoins qui qui est le plus engagé sur la voie de la justification, le chef d'une unité de harki (personnage assez fascinant, particulièrement rigide mais aussi franc) est paradoxalement aussi le plus critique envers les raisons politiques de la guerre (il reporte la cause de la guerre entièrement sur la caste politique), amer aussi sur le fait d'avoir du abandonner les harkis, sentant que cette lâcheté se préparait bien en amont de 1962 dans la condescendance des soldats de métier envers son unité, dont il défend la valeur. Il renvoie aussi dos-à-dos les pressions et intimidations du FLN sur les Algérien et la violence de l'armée française (au point que la répression du FLN apparaisse aussi être une vengeance par procuration contre sa propre hiérarchie). Il se présente comme un technicien qui n'a pas trouvé les justes qu'il attendait, finalement la violence de son action est justifiée directement par sa solitude morale avant de l'être par le risque de terrorisme. La politique est critiqué par son impuissance et son cynisme, mais peut-être s'en fait-il une idée secrètement messianique.
Il y a cependant un mot qui n'a jamais été nommé jusqu'ici, c'est celui d'enlisement, e masqué derrière la question de la torture. C'est peut-être lié aussi à l'angle volontairement anti-politique du film qui rend la durée de la guerre proprement inexplicable, dans la mesure où tout le monde l'a subi. Le film abandonne littéralement les soldats communistes, voués pourtant par leur engagement à être au plus bas de la hiérarchie et à subir des brimades, dès lors qu'ils rappellent que s'ils avaient soutenu l'arrivée du PC et de Guy Mollet, c'est parce qu'ils croyaient qu'un gouvernement de gauche arrêterait la guerre, disant trop rapidement et trop lucidement que l'idéologie est aussi un risque à prendre.
_________________ Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ? - Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.
Jean-Paul Sartre
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