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Prostitution de mineures : «A 14 ans, on ne sait pas ce qu’on fait»
Par Carole SterléLe 20 janvier 2020 à 07h21
Elle s'imaginait plutôt escort à l'image de Zahia qu'en prostituée d'hôtel à bas coût. « Je venais de faire ma rentrée en troisième quand un garçon un peu plus âgé, qui a grandi dans le même quartier que moi, m'a proposé de devenir escort », explique Dalia (le prénom a été modifié), originaire de Seine-Saint-Denis, qui avait alors 14 ans. « Il ne m'a pas dit : tu vas faire la pute, il m'a vendu du rêve… Il m'a dit que je pourrais me faire 1000 euros par jour, que tout le monde le faisait, que c'était normal, je ne pensais jamais que je serais tombée là-dedans… »
A l'époque, elle était en conflit avec sa famille, vivait mal la séparation de ses parents, et se trouvait corsetée par trop d'interdits. « J'étais énervée contre tout le monde, j'insultais les profs », explique cette jolie brune, qui dérive de plus en plus au collège. Elle sèche les cours, fume des joints et découche, jusqu'à accepter cette proposition d'escort, fin 2016, date d'un signalement préoccupant de l'école aux autorités.
«Si je ne faisais pas 1000 euros par jour, je ne dormais pas»
« Je pensais que je devrais accompagner des hommes au restaurant, bien habillée, et éventuellement, seulement, finir avec eux dans une chambre, pour un bon paquet de billets », explique Dalia. Elle a découvert l'intérieur moins glamour des hôtels low cost en Ile-de-France et en province, des locations éclair sur Airbnb, les passes de « midi à 4 heures du matin » pendant cinq mois.
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« Mon proxénète avait un objectif de 25 000 euros par mois, lance-t-elle. Il dépensait en moyenne 250 euros par jour pour les hôtels, les vêtements, le cannabis, les cigarettes… On avait cassé les prix pour faire le maximum d'argent. Si je ne faisais pas 1000 euros par jour, je ne dormais pas. C'est lui qui gardait l'argent, il me disait que sinon je risquais de me faire braquer. Il me donnait 500 euros de temps en temps, que j'allais claquer n'importe comment dans les magasins, en vêtements, maquillage, taxi… Il a été boycotté par certains hôtels mais il trouvait toujours des chambres. Au début, je me sentais bien, mais après quelques semaines, j'ai compris que j'étais manipulée » poursuit Dalia.
Elle décrit la peur et les menaces de diffuser à sa famille des vidéos porno si elle partait. D'autres escorts auraient rejoint l'équipe mais Dalia est la seule à avoir témoigné.
Elle sait qu'au tribunal, la défense lui reprochera d'avoir été «très active»
Les clients ? « Une dizaine par jour, qui voyaient les annonces sur Internet, de tous les âges, parfois des hommes d'affaires pendant leur pause déjeuner et qui m'expliquaient que ça n'allait pas avec leur femme, d'autres avec des demandes bizarres, des jeunes de cités… » Selon elle, une quinzaine seulement auraient tourné les talons à cause de son jeune âge : « De toute façon, je devais dire que j'étais majeure. »
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Elle avait tellement changé que sa mère ne l'a pas reconnue, lorsqu'elle lui a enfin rendu visite sur son lieu de travail. « J'ai dû aller une dizaine de fois au commissariat pour signaler sa disparition, je ne savais pas quoi faire » confie la maman, qui a trouvé de l'aide auprès d'une avocate et d'une assistante sociale.
C'est un garçon – « ami d'ami, pas un client » –, tombé amoureux de Dalia, qui a convaincu la jeune fille de rentrer chez elle. Lorsque sa mère l'a conduite au commissariat pour signaler son retour de fugue, Dalia a tout expliqué. « Les policiers savaient déjà, ils avaient des vidéos des hôtels » se souvient l'adolescente. Elle sait que de l'autre côté de la barre, au tribunal, la défense lui reprochera, d'avoir été « très active » dans la prostitution. « Mais à 14 ans, on ne sait pas ce qu'on fait », répond-elle.
Aujourd'hui, elle craque à l'évocation du procès qui n'a toujours pas eu lieu. Elle en a besoin, dit-elle, « pour tourner la page ». Après trois renvois, pour des questions de qualification pénale et l'absence d'une expertise psychiatrique, l'audience, initialement prévue en décembre 2019 au tribunal de Bobigny, est reportée à l'automne 2020. Trois jeunes hommes, la vingtaine, seront jugés pour proxénétisme aggravé. Dalia sera alors majeure. En attendant, elle garde des enfants, rêve de reprendre ses études et n'a pas encore jugé utile d'appeler un psychologue. Lorsqu'il lui arrive de recroiser des clients dans la rue, elle baisse la tête.