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MessagePosté: 12 Jan 2020, 00:52 
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Nelu Stroe est caméraman pour la télévision roumaine. Si ce n'était un anachronisme, son métier lui permet d'avoir, compte tenu du contexte, une vie de hipster, à la fois privilégiée et discrètement contestataire (il écoute Songs of Love and Hate de Cohen, possède des pantalons en pattes d'éléphant blancs et des vestes en jeans deux tailles trop petites, des favoris et une moustache qui évoquent Gorgio Moroder), même s'il vit toujours chez ses parents. Il fait équipe avec Luiza, une journaliste et reporter plus âgée, qui est aussi sa maîtresse. Les reportages de Luiza relèvent d'une sorte de double discours : un aspect cinéma-vérité, avec des interviews de quidam et de gens modestes, qui permet l'expression de la subjectivité ainsi qu'une certaine recherche esthétique, mais aussi quelque-chose de très moralisateur et paternaliste. Au début du film, Luiza interviewe des resquilleurs de trains qui se sont fait pincer à la Gare du Nord de Bucarest, naviguant dans un entre-deux entre discours de compassion pour des personnes un peu perdues (une adolescente qui invente la fuite de l'auto d'un ravisseur, livrant un récit d'abord crédible, puis de plus en plus douteux - et décomplexé et fantasmatique au plan sexuel) et quelque-chose de plus policier (la diffusion du reportage peut avoir un impact direct sur la carrière des gens montrés, et leur liberté de circuler dans le pays). Nelu remarque dans les personnes alpaguée par son équipe une très belle femme. Tonique à et à l'allure élégante et soignée, elle détonne un peu parmi les personnes qui défilent devant la caméra. Elle parvient à retrouver Nelu, via la télé et ses parents, pour récupérer la cassette vidéo. Une liaison naît vite entre eux deux. Mais il y a des zones d'ombre dans le passé d'Ani, qui a un côté obstensiblement vamp, et a été expulsée de plusieurs villes, ce qui la prive du permis de travailler. Par jalousie, Luiza veut consacrer un reportage entier à Ani. Nelu se retrouve assis entre deux chaises
il va finalement prendre parti pour Ani et défier sa cheffe, mais va dès lors être puni, le service militaire qu'il avait réussi à éviter le rattrapant finalement, et pas par hasard


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Film emblématique de la Nouvelle-Vague roumaine ( Terminus Paradis de Pintilié est un démarquage un peu grossier de ce film, sur lequel Pintilié glisse un peu de mysticisme national et religieux alors que le film de Daneliuc a un côté plus anar ), absolument remarquable. Il y a beaucoup de franchise politique et de rigueur dans le cadre et la lumière (couleurs à tomber), mais c'est aussi, pour une part, drôle (disons qu'il réussit l'humour cru à la Fassbinder que celui-ci rate parfois. Et de manière assez émouvante, la pente comique du film l'emmène aussi lentement vers le mélodrame qui explose à la fin), beaucoup plus que les films de Mungiu par exemple. Disons que cela rappelle les Wajda de la même époque, mais aussi l'énergie non-conformste des tout premiers de Palma (Greetings) en ce qui concerne l'angle politique, le fait de détourner le voyeurisme passif du personnage en une critique du système (au début diffuse et extérieure, puis de plus en plus interne quand le personnage est rattrapé par des sentiments, qui le situent à l'intéreur du système de clase sociale : il est bourgeois dans son rapport à l'image, et de la classe ouvrière en ce qui concerne ses sentiments, qu'il subit comme le système, mais qui le définissent aussi). L'aspect mélodramatique du film m'a un peu rappelé La Dernière Corvée d'Ashby en version hétéro (il y a un côté road-movie, mais aussi un regard sur l'armée comme famille oedipienne et en même temps ordre bureaucratique qui n'est pas si loin que cela du film d'Ashby : l'état est aussi aveug6e que la famille : la seule liberté est située dans l'espace, pas dans le temps, où on est toujours rattrapé). Le travail sur l'imbrication de la vidéo dans le cinéma est aussi très intéressant (les génériques de début -un vrai-faux film de Wiseman ou William Klein- et de fin -presqu'à la Peter Tscherkassky- forment des oeuvres à parts entières).

A un moment dans le film, peu de temps avant de renter dans l'armée, le personnage poursuit Ani à travers la Roumanie, vivant ses derniers jours d'intellectuel en goguette pour rentrer dans le rang, brisé. Il rencontre une jeune ouvrière qui possède le côté direct et espiègle de la femme qu'il aime, mais moins vamp et manipulatrice, et a une courte liaison avec elle. La scène de leur rencontre dans un café et leur dialogue sont émouvants, le moment est à la fois libre et doux, pleine de tact et sans naïveté. A pleurer : on a envie de les rejoindre, même si c'est un pays étouffant et policier.
Parmi les gags du film : Luiza emmène l'équipe de filmage sur une ville touristique de la mer Noire pour humilier Aani, en retrouvant l' ancien fiancé de celle-ci (dresseur de dauphin dans un dolphinarium à la fois disneyien et fantômatique). Elle veut organiser une fausse rencontre, surprise de loin par la caméra, pour créer une sorte de reality-show avant l'heure dans l'unique but de causer des problème à sa rivale. Cela foire car le fiancé est à la fois maladroit et intègre. Il faut alors tourner en urgence des images passe-partout qui pourraient servir de matière à un reportage, justifier le déplacement et se couvrir vis-à-vis de leur hiérarchie. Ils décident de filmer des images d'un dalmatien à la con qui joue sur la plage au milieu de vacanciers (Je peux faire un truc à la Claude Lelouch avec ça). Peu avant de chuter, chez lui, personnage principal voit ces images (qui sont aussi ses images) à la télé, montées au ralenti, assorties d'un texte lyrique et poétique à la Camus sur la culpabilité d'exister, à la fois beau et pompeux, compatible avec une forme d'esthétique existentielle officielle. Le mec est abasourdi et goguenard. On est à la fois dans la Roumanie de Ceaușescu, dans une phase floue entre ouverture temporaire et reprise en main, et au tout début d'Ubik, quand est décrite la télé du futur, assomante mais précise. Il y a cette idée que la chute crée plus de fatigue que de terreur, que cette fatigue est aussi une ouverture vers le fantastique et une forme de familiarité avec l'incongru, qui permet ensuite de critiquer à froid et de façon plus politique le monde.

Le réalisateur est aussi l'acteur principal (excellent, un peu De Niro jeune), et est apparemment aussi écrivain, tandis qu' Ani est jouée par sa femme de l'époque, la très belle (et dotée d'un fort tempérament comique) Tora Vasilescu.
Franchement une belle découverte.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Jean-Paul Sartre


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 12 Jan 2020, 17:05, édité 1 fois.

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MessagePosté: 12 Jan 2020, 12:13 
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Vu à la cinémathèque belge dans le cadre d'une large rétrospective (qui couvre tout l'après-guerre, et que je prends à la fin) sur le cinéma roumain, mais visible avec des sous-titres anglais (qui bouffent l'image) sur un site de streaming bien connu.
On trouve aussi "Séquences" d'Alexandre Tatos (mort en 1990) qui a l'air très bon, et que j'ai raté, mais sans sous-titres.
Le film dans le film quand-même une figure de style typique du cinéma roumain contestant le régime (avec La Reconstitution de Pintilié).

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MessagePosté: 12 Jan 2020, 13:46 
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Curieux de voir ça. J'ai le Pintille sur un disque dur mais celui-ci a l'air plus immédiatement accessible.


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MessagePosté: 15 Jan 2020, 00:56 
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Bah tiens, il vient d'apparaître parmi les "temporary freeleech" sur kg.


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MessagePosté: 15 Jan 2020, 08:36 
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La version YouTube a l'air d'avoir été déposée par la cinémathèque roumaine elle-même. Cela ne sert pas à grand-chose de créer un Torrent. Peut-être qu'il y a des spécificités sur les droits d'auteurs du cinéma des ex pays communistes de cette époque qui rendent cela plus facile (beau paradoxe historique).
On trouve aussi "Séquences" de Tatos avec des sous-titres sur le blog de Scalisto (hum).

J'ai revu le film sur YouTube : il y a de très belles idées de mise en scène, que l'on ne perçoit pas forcément sur le coup. L'intégration de l'arrestation du personnage d'Ani dans les plans documentaires du début au téléobjectif. Ou encore le moment du premier rendez-vous où la petite fille tend spontanément le cendrier à Nelu, dans un miroir qui permet de voir une plongée en hauteur, avant de panoter ensuite très rapidement sur la scène réelle
on voit que le gars devine très vite au geste de la petite fille qu'Ani est sans doute une prostituée et que la petite fille la "trahit" par une sorte de lapsus- elle est malgré ses dénégations sa mère, et l'enfant ne réapparaît plus ensuite dans le film

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MessagePosté: 15 Jan 2020, 16:17 
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La qualité a l'air tout à fait correcte mais je me suis embourgeoisé et je préfère le voir en haute définition.
Incroyable ce compte youtube par ailleurs, qui a l'air d'être une vraie mine de films roumains, où il doit y avoir un peu tout et n'importe quoi. Est-ce l'un des effets du libertarianisme qui a l'air assez ancré dans les esprits après des années de dictature communiste ou comme tu dis ou dû, comme tu le suggères, à un statut spécial des droits d'auteur ? Je ne crois pas qu'il y ait de pays où l'on trouve un phénomène équivalent.


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MessagePosté: 15 Jan 2020, 16:47 
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Cela a l'air d'être lié à la politique d'un distributeur, Cinepub, qui dépose publiquement des films d'il y a 4-5 ans ou plus :
https://cinepub.ro/lungmetraje/
On trouve beaucoup d'autres films de Daneliuc, certains assez récents, et plusieurs Radu Jude (il y a plus de film dans la partie roumaine que l'anglophone).

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MessagePosté: 15 Jan 2020, 18:17 
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Oui, mais je serais curieux des raisons idéologiques et financières qui ont conduit à cette politique.


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MessagePosté: 15 Jan 2020, 18:25 
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Je ne pense pas qu'il y a un choix idéologique particulièrement pro ou anti-libéral (on ne trouve pas les films vraiment récents, qui peuvent encore sortir en salle à l'étranger) ; cela répond sans doute au fait que le cinéma roumain est assez riche, reconnu et produit beaucoup, tout en étant issu d'une économie plus faible que l'Europe de l'Ouest (ce qui créé aussi des opportunités pour produire moins cher). Par ailleurs les structures publiques pour la diffusion, l'aide et la conservation doivent être plus jeunes qu'en France ou en Belgique (et sans-doute plus dynamiques et ouvertes), c'est vrai que c'est un modèle alternatif à la fois à Netflix et aux cinémathèques (ainsi qu'au piratage, c'est pour cela que je ne trouve pas cette démarche "libertarienne"). Ce ne serait pas non plus tellement intéressant de sortir ces films en DVD ou Blue-Ray car cette économie est en train de s'effondrer.

Quand j'ai vu le film en salle il y avait à la fois des cinéphiles, des Roumains qui semblaient travailler à l'Europe et des étudiants en Erasmus (il y a aussi une forte diaspora roumaine en Belgique déjà bien installée depuis les années 90), ce n'était pas confidentiel.

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MessagePosté: 15 Jan 2020, 18:58 
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Rendre ces films disponibles pour prévenir (au sens de venir avant vu qu'il n'aura lieu que de manière infime) ou en alternative au piratage a bien quelque chose d'un peu libertaire non ? Pas vraiment de distinction là, non ?


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MessagePosté: 15 Jan 2020, 19:17 
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Je ne sais pas vraiment ce que l'on appelle "piratage" et "libertaire", il y a même des gens qui piratent ce qui est par ailleurs gratuitement disponible.

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MessagePosté: 15 Jan 2020, 19:40 
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Ou ce que veut dire "gratuit" ou "payant" ? D'ailleurs tout ce qui est gratuit peut arriver à ne plus l'être, et inversement. Je me répète, mais le film n'est pas gratuitement disponible dans une qualité d'image supérieure, et je l'ai obtenu en utilisant des données de mon forfait téléphonique, et tutti quanti... Bref, j'arrête les digressions.


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MessagePosté: 19 Jan 2020, 12:15 
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C'est bien même si je ne suis pas enthousiaste. C'est vrai qu'une réalisation rigoureuse - cadrages, lumière - vient un peu contrebalancer la laxité du déroulement. En même temps, ce déroulement qui imite la vie, un peu organique, possède son intérêt. Et la comparaison avec les premiers De Palma est très bien vue - enfin Hi Mom! que j'ai commencé il n'y a pas longtemps. C'est cette impression de voir un film américain du début des années 70 qui me frappe le plus, et le fourmillement de détails ou d'éléments qui dans le même temps ont trait à la Roumanie de l'époque.
Le semblant d'intrigue est lui, plutôt classique, un homme-enfant de la capitale passif et indécis tombe amoureux d'une provinciale dont on ne sait pas si elle est volage ou juste émancipée, s'il est impossible de s'y fier ou pas. La réponse n'est bien entendu pas clairement définie mais elle le tirera de sa passivité et finalement, de son indécision. La manière dont Mircea Daneliuc s'intéresse à tout ce qui est périphérique ou annexe, est ce qui le particulièrement intéressant.

Pour la petite fille, on la retrouve bien vers 1h avec celle qui est supposée être sa mère et le frère de l'héroïne.

le terme de prostituée appliquée à l'héroïne me paraît un peu fort.


Ce sont les descendants de Nelu, des hipsters bien contemporains, qui sont les protagonistes du dernier Radu Jude, qui donnent encore plus l'impression de vivre à côté de la société. Renforcé par le métier des personnages et la mise en abyme qu'il implique comme dans Séquences apparemment.


Dernière édition par bmntmp le 19 Jan 2020, 12:30, édité 1 fois.

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MessagePosté: 19 Jan 2020, 12:27 
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Ha j'avais raté le retour de la petite fille

en effet le cendrier pourrait être pour le frère mais on n'est pas tout à fait sûr que le frère est bien son frère non plus

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MessagePosté: 19 Jan 2020, 13:10 
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Non mais prostituée est un peu fort
Mais elle profite des hommes qu'elle séduit pour leur soutirer de l'argent, le geste de la petite fille témoigne d'une certaine familiarité sans doute avec les hommes qui viennent lui rendre visite (que n'a pas sa supposée mère). Le faux frère est un classique du roman noir, j'ai le souvenir d'un roman de Simenon qui se passait au Havre, Le Bilan Malétras, dans lequel c'est le cas. Le fait que Ani se marie à la fin avec le dompteur de dauphins éclaire tout de même son personnage. Femme à la liberté et à l'insouciance insolentes, elle se résout à se marier comme par déception ou pour accéder enfin à une stabilité, qu'elle ne recherchait pas, mais qui est commode. D'où l'amertume de ces retrouvailles avec Nelu, où chacun reproche à l'autre son orgueil et son attentisme).


Dernière édition par bmntmp le 19 Jan 2020, 13:22, édité 1 fois.

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