La Panthère rose (Henry Mancini) [Jerzy Pericolosospore]
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Dernière édition par Mister Zob le 15 Juin 2014, 10:55, édité 1 fois.
Profitons du retour de la BO du Village pour continuer la discussion en pontillés sur James Newton Howard, entamée avec Scythe.
Ma proposition reste la suivante : penser la musique de film non pas comme de la musique (à approcher, écouter, et juger en tant que musique seule), mais comme un outil de mise en scène. Le compositeur, en "disant" certaines choses à certains moments spécifique (en rentrant en contradiction avec ces moments, ou en les nuançant, ou en les soulignant, en nous mettant à distance d'eux ou en nous plongeant dedans...) devient un rouage de la narration générale - un peu (pour reprendre l'image qu'avait proposé Chion) comme la partie d'un violon dans un quatuor n'est pas à écouter seule, mais seulement compréhensible et cohérente en écoutant le quatuor entier.
Mais ayant radoté cette idée, je n'ai pas donné d'exemples concrets, et comme JNH est le chouchou de cette coupe, allons-y. Des exemples très modestes : la musique n'y est pas absolument décisive, ça s'assimile à une micro-narration... Mais justement, ce sera plus parlant que des exemples bulldozer.
Le premier vient au moment où, après avoir vu Noah donner des baies rouges à son amie, Lucius se présente une nouvelle fois devant le conseil pour demander qu'on le laisse traverser la forêt.
Le moment qui m'intéresse, dans la vidéo, commence à 00'50. Ce que propose JNH à ce moment-là est un doublement surprenant.
Déjà dans la forme, car les arabesques gracieuses du violon qui débutent alors (une petite impression de virtuosité légère, presque insouciante) sont l'exact opposé de ce que l'on voit à l'écran : la maladresse pataude de Lucius récitant son texte comme un enfant, et surtout la fixité forcée des plans. D'une part à cause de l'immobilité du conseil, image aplatie par l'emploi du zoom, écrasée par le symbolisme de sa sur-composition (cercle de vieilles personnes entourant le jeune homme) ; et d'autre part à cause du doigt tendu vers le rocher comme sur un cliché photographique, fixité renforcée par le mouvement d'appareil qui, en contraste, en souligne l'immobilité. À l'image, on a donc l'impression de voir les étapes d'une fresques résumant l'histoire ("ce-qui-a-conduit-la-jeune-génération-à-sortir-du-village..."), impression lancinante de narration archaïque renforcée par la présence, à l'image, de peintures murales.
Ce type d'emploi du violon sur de telles images produit donc un écart qui dit une certaine distance aux événements (ce qu'induit d'ailleurs déjà la manière dont on les image, à cet instant). Et c'est ici qu'il y a, il me semble, un deuxième choix surprenant : la bienveillance du morceau, qui rentre en contraste avec la tension de l'instant précédent, comme avec la gravité des enjeux. Pour le dire autrement : la musique dit alors quelque chose qu'aucun des personnages ne ressent.
Et ce qu'elle nous dit, c'est qu'il y a là une étape de plus dans la libération de cette jeune génération. Comme si, devant ces circonvolutions de violon hésitantes mais optimistes, on regardait émerveillé une nouvelle plante, belle et étrange, entrain de se développer, d'évoluer. Le mouvement de l'image qui part de Lucius pour s'étendre, comme une chaîne de cause-conséquence, appuie aussi l'impression de ce développement (= ce qui part et croît de Lucius).
Par le mariage mise en scène / musique, j'ai donc ici une scène qui me chante les promesses dangereuses de cette jeune génération prometteuse qui est entrain de grandir, et qui réussit pas à pas à s'extraire du carcan où on l'a enfermée (non sans retour de bâton, comme le montre la suite du film).
Un autre exemple, encore plus microscopique : quand le mariage est interrompu par les enfants ayant trouvé les cadavres d'animaux.
Je n'ai pas retrouvé la musique correspondante, mais les deux instruments sont issus de ce que posait, en préambule, le générique d'ouverture : http://www.youtube.com/watch?v=-WLwIJa9HQs
Le passage qui m'intéresse débute à 00:36. Deux éléments musicaux ici : la flute (qui par son air ambigu renvoie à un certain archaïsme, ou du moins aux légendes : méfiance, magie, fantastique, je ne sais pas exactement comment le décrire) puis les percussions (qui, associées aux créatures sur toute la BO, on des résonances plus tribales).
Ce qui est riche ici, c'est ce choix de débuter la flûte non pas sur les corps qu'on découvre (corps qui conviendraient pourtant à ce fantastique que l'air suggère), mais sur la procession elle-même. Ce qui devient étrange, un peu limite, un peu malsain, c'est cette file de gens en costumes qui, en groupe, se dirigent en file indienne vers la nuit. L'emploi de cette musique un peu trop tôt déplace donc l'enjeu. Le rituel bizzaroïde, l'image sortie des cauchemars, ce n'est pas seulement les cadavres qu'ils vont voir, mais c'est aussi cette communauté et la manière étrange, onirique, dont elle fonctionne (ce que viendra d'ailleurs souligner l'étrangeté du découpage "en fenêtres" qui suit).
J'ai été surpris de découvrir la version originale de la musique : une version a minima, très prudente (en contrepoint du lyrisme de l'instant), très soupesque aussi .
Ça me pousse d'autant plus à croire que le choix final d'aller au contraire jusqu'au bout de l'imagerie romantique (= d'y aller à fond comme un bourrin sur les volutes), mais de le faire de manière un peu sourde (= les circonvolutions du violon étant relativement discrètes vis à vis du reste), est un parti-pris réfléchi qui influe beaucoup sur le succès de cette scène. Plutôt que de dire (dans la version alternative non retenue) que "whoaa cet amour c'est beau", on a un choix musical final qui met en dialogue les espoirs romantiques qui ont gonflé pendant toute la première demi-heure de film, et leur improbable réalisation dans la réalité (un passage qui au final nous dit, en gros, "whoaaa, en fait c'est vraiment entrain d'arriver").
Voilà, je suppose que tout ça fait très branlette à vide, mais au moins j'aurai pu expliquer ce qui m’intéresse chez JNH ! (et dans la musique de film contemporaine en général).
Oh et par ailleurs : vote pour Le Village.
Dernière édition par Tom le 14 Juin 2014, 22:49, édité 2 fois.
Voilà, je suppose que tout ça fait très branlette à vide
Meuh non, juste un peu.
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