Freak en a parlé vite fait sur la shootbox donc j'ouvre un topic, 3 ans après qu'en est-il de cette adaptation à vos yeux.
Je me permets de mettre mon texte de l'époque écrit pour mad.com
On l’a vu, depuis le gros succès du
X-mende Bryan Singer au box-office, les moguls hollywoodiens profitent du nouvel engouement pour les adaptations de comic-book sur grand écran afin de se remplir goulûment les poches. Des adaptations qui font leur petit bonhomme de chemin avec plus ou moins de succès. Spiderman passe brillamment le cap du grand écran chez Sam Raimi, Guillermo del Toro transcende Blade en y ajoutant une vraie dimension shakespearienne et horrifique (et du catch mexicain ! Guillermo Forever !!), Mark Steven Johnson fait de son adaptation Des Fous du volant (avec Collin Farrel en Diabolo) une franche réussite (faut dire qu’il s’était autoproclamé Fan n°1, c’était du tout cuit). Ce dernier sera d’ailleurs également de la partie pour donner vie à
Ghost Rider et prochainement c’est le réalisateur de Memento, Christopher Nolan, qui réalisera les nouvelles aventures du Batsuper-héros faisant suite aux 2 Discoséquelles de Joel Schumacher. Lorsque la nouvelle d’une adaptation de
HULK avec Ang Lee à la barre s’est confirmée (même Elisabeth Teissier n'a rien vu venir dis donc), il faut bien le dire, un zeste de scepticisme sur la capacité du réalisateur à mener à bien un tel projet nous est tombé dessus. Après tout, ce n’était pas le choix le plus évident. Mais connaissant la rigueur et la méticulosité (limite obsessionnelle disent les mauvaises langues) du cinéaste, les premières craintes se sont vite estompées pour faire place à l'excitation. L’excitation de comprendre que ce choix n’était pas du au hasard, mais au vrai désir d’un cinéaste conquis par un univers dont l’esprit allait lui permettre de faire un film à la fois riche en situations spectaculaires et parsemé de personnages tragiques et complexes. Tout cela dans un gros mastodonte à plus de 100 millions de dollars !
D’un film à l’autre, Ang Lee semble construire une œuvre tout à fait unique dans la versatilité de ses choix. Ainsi, jusqu’à maintenant rien ne semble résister au cinéaste. Tout genre semble malléable et susceptible d'être plié à ses besoins et à ses exigences. Sans préjugés et ne suivant rien d’autre que ses envies, il met son étonnante facilité d’adaptation aux services de films comme
Raisons et Sentiments,
Ice Storm,
Chevauchée avec le diable,
Tigre et Dragon. Différents univers, différentes époques et différents genres qui se rejoignent par leur faculté à réellement nous toucher à travers une peinture des personnages d’une grande lucidité et d’une incroyable justesse. Concernant
HULK , sa capacité à devenir « un nouveau Ang Lee » en abordant chaque nouveau projet s’est immédiatement fait sentir à travers sa première ENORME note d’intention : « Je veux faire une tragédie antique ponctuée de monstrueuses scènes d’action ». On croirait ces propos tout droit sortis de la bouche d’un James Cameron (ou d un Renny Harlin complètement torché) mais c’est bel et bien de celle du réalisateur taiwanais qu’ils proviennent. Comment rester calme en entrant dans la salle de projo après cela ? impossible ! Alors HULK par Ang Lee, pari réussi ?
Adepte de la narration lente jusqu’ici, le réalisateur évolue d’emblée dans une construction d’une étonnante rapidité, enchaînant les nombreuses scènes d’expositions imprégnées de la portée psychologique promise lors des intentions de départ. Avec une certaine fluidité assaisonnée de split-screens, zooms, fondus enchaînés et autres transitions plus ou moins heureuses, la part belle est donnée au décorticage des confrontations familiales de Bruce et Betty ainsi qu’à leur relation. Dans un premier temps, on remercie donc Ang Lee de poser les bases d’un récit bien plus sombre et cruel qu’il n’y parait et par conséquent plein de promesses. Il faudra ainsi attendre un plan (très inspiré) nous montrant la bête tapie dans l’ombre et fin prête à se manifester pour que dès lors un autre film commence.
En se confrontant de manière très directe à l’essence du matériau d’origine, Ang Lee se métamorphose à l’instar de son géant vedette et explose dans des expérimentations formelles de tous les instants. Il varie ses effets, nous impose un rythme en dents de scie et restitue sur TOUTE la durée du film ce fameux effet de planches de comic-book. Pas vraiment dans une tentative désespérée d’innovation (ou de facilité afin de coller au plus près possible de la BD) mais plutôt dans l’optique de dynamiser son récit, de solliciter en permanence l’attention et le regard. Efficace. Un effet de style qui s’efface lorsqu’il s’agit de mettre en avant les relations, plus âpres et réalistes, qu’entretiennent des personnages indéniablement moins stéréotypés qu’à l’accoutumée dans ce genre de production. Eric Bana et Jennifer Connelly s’en sortent à ce titre plutôt bien et dopent, chacun dans leur registre, la crédibilité de leurs personnages. Nick Nolte fait du Nick Nolte (mais du Nick Nolte relativement embarrassant sur le final) et on lui préférera la solide performance de cette vieille carne de Sam Elliott.
HULK ne cède à aucun moment à la facilité et la prise de risque de Ang Lee est permanente. Si l’histoire évoque une variation du mythe de Frankenstein, c’est littéralement à son film que le cinéaste fait subir un assemblage. Un éclatement des genres déstabilisant, non dénué de charme mais qui comportera son versant négatif (voir prochain paragraphe). De plages mélancoliques et poétiques (la première confrontation muette entre la belle et la bête, HULK pensif) à un combat d’une violence inouïe contre des chiens mutants (HULK réinvente « la pâté pour chiens »), de séquences d’action dantesques et puissamment connotées comic-book à un dialogue très « Au Théâtre ce soir » entre Bruce Banner et son père, la sensation que le film possède à son bord plusieurs réalisateurs ne faiblit jamais. Devant le caractère hybride de la chose, nos habitudes de spectateurs s’en trouvent indéniablement chamboulées. Tant mieux. On pourra reprocher ce qu’on voudra à Ang Lee mais sûrement pas une quelconque timidité ou un manque d’ambition tant les partis pris risqués (réussis ou pas) sont légions. Cette hybridité va jusqu’à toucher le score de Danny Elfman, fragmenté entre le travail facilement reconnaissable de ce dernier et les relents du premier compositeur attitré sur le projet, le singulier Mychael Danna. Le résultat est surprenant.
Animé par la noble intention de réussir le parfait croisement entre le drame antique et la culture pop, l’approche décomplexée et originale choisie par Ang Lee se marie difficilement avec l’intimisme des relations filiales et sentimentales. Et pourtant tout est là, de la culpabilité à la colère en passant par la haine, les remords, l’ambiguïté des sentiments, la rage contenue, les problèmes de communication. L’équilibre presque organique et intuitif entre l’action et le drame de Tigre et Dragon n’a cette fois-ci malheureusement pas lieu et l’implication émotionnelle reste moindre. Les promesses de grande tragédie finissent lentement mais sûrement par s’estomper devant le manque d’harmonie d’une structure narrative bancale. Fait chier tiens ! (cri du cœur)
Dans
Ice Storm du même réalisateur, le passage à l’âge adulte était présenté comme une chose qu’on préférait provoquer mais dont on ne retirait aucun plaisir, aucune satisfaction. A l’inverse, Bruce Banner passe de l’adulte rationnel mais néanmoins perturbé et fragile à son double infantile, mais lui…il adore ça ! D’où le coté défouloir et jouissif dès que la bête passe en mode pétage de cellulos et se pose en danger définitif de l’ordre. HULK vit enfin sous nos yeux, on attendait cela depuis des années et sainte vierge macumba, qu’est que c’est BON ! Paradoxalement c’est sans doute de la relative méconnaissance d’Ang Lee pour tout ce qui touche aux effets spéciaux que découle la fraîcheur et la spontanéité au cœur des séquences d’action. Tout devient possible car le cinéaste ne calcule pas, s’autorise absolument tout et se lance sans complexe dans ce qu’il fantasme de voir à l’écran. La séquence du désert est à ce titre EXCEPTIONNELLE et contraste violemment avec la tendance actuelle de plans montés à une cadence folle. La force tranquille au cœur même de l’action. Le cinéaste ose, au niveau des exploits de HULK, coller au plus près du Comics (alors qu’il aurait pu étouffer ou minimiser certains aspects) et prend le risque de se mettre à dos une partie du public qui ne manquera pas de s’indigner devant le soi-disant ridicule de certaines situations, peut-être même avec une mise en avant de la série TV (rigolote au demeurant) comme référence, avec son Lou Ferrigno peint en vert et affublé de sa perruque à la « Régine ». HULK fait ainsi des bonds monstrueux, du lancer de char, court à la verticale sur un rocher façon Michelle Yeoh dans Tigre et Dragon avant de dégoupiller un missile avec les dents. Séquences graphiquement superbes qu’on contemple le curseur des flots d’adrénaline à son maximum. Le bestiau est convaincant et impressionnant, aussi bien dans la sobriété des regards échangés avec sa belle que dans ces tentatives de lier amitié avec l’armée. Evidemment, vu la somme du travail effectuée, on ne peut qu’être plein d’admiration pour Dennis Murren et son équipe tant ils ne cessent de repousser toujours plus les limites de leur art. Certes, tout n’est pas d’une totale perfection mais il serait facile d’ironiser besogneusement sur quelques plans moins heureux (je ne compte plus les fois où, alors que je surfais sur le net, il a fallu que je me tape cette vieille comparaison avec Shrek) alors qu’ILM nous offre la possibilité de contempler des morceaux de bravoure aussi visuellement soignés que sidérants (la chute de HULK depuis l’avion de chasse, mortel !!!).
Finalement, toute la filmo du réalisateur l’amenait à s’emparer de ce projet tant les personnages qui parcourent ses films sont des êtres d’une grande fragilité empreints d’une fausse sérénité. Mais devant un final qu’on annonçait dantesque et qui se révèle confus et boursouflé, on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait pu donner HULK si le choix du réalisateur s’était porté sur quelque chose de plus classique dans la forme. Est-ce que la réussite complète aurait été au rendez-vous dans cet autre cas de figure ? Possible. En jouant les « Mystique » de la mise en scène, le cinéaste a en tout cas réussi à nous déstabiliser. « Mon fils est unique » nous dit David Banner. Unique, le film de Ang Lee l’est tout autant.
(Voilà, après faudrait voir ce que j'en repense à la revoyure, chose que je vais essayer de faire dans les prochains jours).