J'y suis allé après avoir vu la bande-annonce, plutôt classieuse (même s'il faut souvent ce méfier de ce type de BA), et après avoir lu les critiques qui parlaient d'un film qui n'est ni une bondieuserie, ni une charge contre le christianisme et les croyants. Et en effet, si le film n'est ni l'un ni l'autre, et surtout pas l'un, c'est parce que Hausner s'est pointée à Lourdes avec sa caméra en ayant déjà le film (et surtout les idées, concepts et théories) en tête.
Je ne suis jamais allé à Lourdes, mais on m'en a beaucoup parlé. Mes grands-parents sont catholiques croyants et pratiquants et ils s'y sont souvent rendus. Ils m'ont même une fois ramené la "traditionnelle" Vierge qui contient de l'eau de Lourdes, achetée dans un des innombrables magasins de souvenirs, tout en sachant eux-même que ça faisait plus office de souvenir, comme une petite Tour Eiffel ou une cabine téléphonique rouge miniature, que de contenant de liquide miraculeux. Ils m'ont toujours évoqué Lourdes comme un endroit certes touristique et commercial mais chaleureux et où il fait bon de se retrouver avec d'autres croyants pour partager de l'amour et de la joie. Malheureusement, ce n'est pas du tout ce que j'ai vu dans le film. Qu'il y ait aussi une certaine tristesse ou une certaine mélancolie, c'est bien évidemment normal, étant donné qu'il est difficile de se réjouir ou de faire des claquettes dans la grotte de Bernadette lorsqu'on est paraplégique ou atteint d'une sclérose en plaques ... Mais qu'il n'y ait que ça, et qu'il n'y ait aussi quasiment que des croyants égoïstes, envieux ou cyniques, j'ai du mal à le croire.
Je trouve donc le film assez malhonnête de ce point de vue là, ... ou alors très orienté, et donc loin de ce qui m'a été vendu à la base. Évidemment, ce sont ces neuneus de critiques qui m'ont vendu un film non orienté, pas Jessica Hausner elle-même. Il reste que je trouve absurde, à notre époque, de faire un film sur Lourdes et les pèlerins de cette façon. Il est vain et parfaitement inintéressant de pointer, en 2011, le côté commercial que peut revêtir le pèlerinage, ou l'hypocrisie qui peut régner dans les rangs de l'Église. Pourquoi aller faire un film sur ce sujet, franchement, quand il serait largement plus intéressant de s'attarder sur les catholiques irréductibles qui continuent encore à aller à la messe tous les dimanches ?
Apparemment, ce n'est pas l'avis de tout le monde puisqu'un neuneu des Inrocks a été jusqu'à écrire : "Enfin un film qui pourrait nous réconcilier avec la religion, ou du moins nous la rendre intéressante." Je passe sur la deuxième partie de la phrase, monstrueux aveu de bêtise et d'ignorance. J'ai plutôt envie de m'attarder sur la première partie, qui me pousse plutôt à faire moi-même un aveu. Un aveu d'incompréhension. Pour se réconcilier avec quelque chose, il faut s'être disputé avec au préalable. Or, comment se disputer avec la religion catholique aujourd'hui, puisque la religion catholique n'est plus présente nulle part ? Elle n'existe plus que dans le privé, loin des yeux et du cœur des athées (dont je fais partie), et ne ressurgit plus que pour des évènements festifs comme les JMJ, qui sont à l'Église ce que la fête de l'Humanité est au parti communiste. Je n'arrive donc pas à comprendre comment il est possible de développer un "athéisme militant" ou un vrai anticléricalisme à notre époque.
Bunuel a grandi chez les Jésuites, d'où un anticléricalisme parfaitement logique. Tous les intellectuels qui se sont opposés à l'Église il y a de ça des décennies avaient une raison de le faire aussi. Quelle est la raison pour Jessica Hausner ? Son anticléricalisme n'est même pas habité, j'en viens à me demander si elle croit finalement au moins en quelque chose ... Elle se retrouve donc à filmer les pèlerins comme des mourants, déplacés comme du bétail, sans même chercher à comprendre leur foi, et sans non plus chercher à leur opposer quelque chose. Les pélerinages et l'expression de la foi sont fascinants, et ce quelque soit la religion ou la croyance, et pourtant, pas de fascination dans l'œil de Hausner, ni même de saine répulsion qui pourrait se justifier, juste des petites piques humoristiques coincées (même pas drôles, l'humour anticlérical chez Bunuel, encore lui, est bien plus efficace) ou cyniques d'une grande ringardise servant à épouser des concepts et un carcan formel qui masquent à peine une pauvreté intellectuelle et surtout un nihilisme à toutes épreuves. Jamais Hausner n'essaie de comprendre ce qui se passe sous ses yeux, tous ses acteurs sont des pantins, la vie n'existe plus.
Un critique neuneu, encore un, a osé comparer Hausner à Tati. Pourquoi ? Parce que dans les deux cas, il y a des cadres fixes cadrément cadrés, et des petites touches d'humour absurde et burlesque. C'est tout de même oublier que tous les personnages vivent chez Tati, qu'ils ne sont jamais noyés dans le formol et dans une reconstitution artificielle où l'humain n'est plus qu'une matière malléable transformé, écrasé, broyé et mouliné pour exprimer des idées. Il y a toujours de l'espoir chez Tati aussi, c'est peut être la preuve aussi qu'il y a encore de la vie ... Et puis pour rester dans les considérations purement formelles, chez Tati la mise en scène est infiniment moins complexée que celle-ci. Chez Tati, tous les plans ne sont pas surcadrés et systématiquement symétriques, tous les plans ne durent pas cinq secondes de trop, et tous les plans ne sont pas forcément gorgés de signification et de sens. Il n'y a pas que de la place pour les idées, chez Tati.
Bref, après 1H30 dans cette veine (pas forcément déplaisante, je n'ai pas non plus vomi, il y a tout de même quelques belles scènes, essentiellement grâce à Sylvie Testud), survient l'horrible faux twist de fin de film, qui se produit alors que Léa Seydoux chante "La felicita" et que curé et pèlerines dansent ensemble (un curé moderne qui sait s'amuser, ça doit être la raison pour laquelle le critique des Inrocks est réconcilié avec la religion !). Ce faux-twist prouve une bonne fois pour toutes que le seul but de Jessica Hausner est de choquer le petit-bourgeois catholique (qui n'existe plus), de ridiculiser une Église qui tient à peine debout et de filmer de haut, très haut, les petits pèlerins qui n'espèrent que trouver du réconfort, tout ça pour plaire à un public déjà acquis avant le début du film, à savoir tous ces vieux qui revendiquent fièrement leur athéisme (il faudra me dire comment je pourrais revendiquer le mien, pour moi ça revient à revendiquer mon goût pour la démocratie, quelle audace !), qui sont les seuls à penser que le monde actuel est menacé par l'obscurantisme religieux et le nazisme, et qui ont ainsi durant la séance lâché un certain nombre de rires gras gorgés d'autosatisfaction bien dégueulasses, à des moments où ne voyait pourtant que de simples croyants exprimant leur foi en toute simplicité.
Un grand film de tolérance donc, à réserver aux spectateurs tolérants. 2/6
Ça m'a tout de même donné envie de voir un vrai film sur Lourdes, qui montrerait à la fois le côté très commercial et factice de la chose, mais aussi tous ces groupes de fidèle, et ce sans porter un jugement écrit à l'avance et bouffé par une idéologie morose et un regard à la Haneke.
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