Merci pour la qualité de ta réponse Vieux-Gontrand, je vais tâcher d'y répondre au mieux et de manière synthétique. Prenons d'abord à rebrousse-poil ton message, je crois d'abord que parce que le cinéma est un art traversé nécessairement par le champ de l'esthétique et tout ce qui s'y rattache, en particulier la morale et l'éthique, il existe inévitablement matière à la construction intellectuelle. Puisque de toute manière, la philosophie dépend bien plus de l'œil de l'observateur que de l'objet de l'observation lui-même, il y aura toujours matière à se questionner jusqu'à l'axiome. On est sur la fameuse substantifique moelle rabelaisienne, là-dessus nous sommes d'accord. De même pour la politique dont le mouvement de l'agir peut être, en premier lieu, détaché de l'œuvre d'art initiale. En revanche, je crois que le cinéma possède un effet qui lui est propre, même dans l'histoire de la représentation plastique, un effet que je qualifierais de sidération. Si les arts littéraires et picturaux premiers construisent des chemins (et en cela sont (inter)actifs, le cinéma quant à lui passif fait prendre des virages, et je crois fermement que le septième art, en tant qu'il est un créateur d'inconscience collective (Voir un autre marxiste Walter Benjamin que tu connais sans doute) investit quoiqu'il arrive, de manière frontale et surtout contre le gré du spectateur, des questionnements philosophiques et politiques cruciaux, qu'importe que cela ait été cultivé ou que l'on cherche à le cultiver. La force du cinéma est avant tout à mon sens d'être frappante, violente, violeuse, et en cela se rapproche d'une esthétique que je crois Humienne, fondé sur un rapport au hasard, à l'impromptu et à l'involontaire (Voir l'anthropogénie d'Henri Van Lier) et je crois que la critique permet d'éduquer ces sensations, de leur donner un sens etc. Fondamentalement, le cinéma fait penser, et je le crois, inconditionnellement. En revanche, il a besoin d'exégète, du littéraire en palliatif, et je crois que la résignation que je sens dans tes lignes sont de l'ordre systématique et pas ontologique. Oui, la critique se porte mal et le souffle communiste/anarchiste, ce souffle de la véritable gauche, est arrivé au bout de sa course, en laissant tout de même une architecture salvatrice pour l'humanité en général. La tradition universitaire d'intégrer le cinéma aux grands courants philosophiques, la compulsive conceptualisation de l'image et du temps (Deleuze est prodigieux à cet égard en effet), in fine ce rapport magique au cinéma s'est perdu parce que le système vainqueur tend à éliminer, par rétorsion, tout ce qui se rapporte à ce qui pourrait la détruire: l'intelligence, la politique, la culture, les arts, la réflexion. Mais cela ne retire rien à la puissance irrévélé (ou peu révélée) du cinéma. Je suis convaincu par exemple que n'importe qui se donne avec humilité au cinéma de Tarkovski, sans a priori, sans cette hyper-culturation maladive, sans les biais psychologiques de son environnement, si cette personne se donne tout entier au cinéma Tarkovskien, à l'approche vitaliste de son cinéma, je suis convaincu que cette personne est une personne guérie, une personne plus intelligente, plus humaine et moins docile car plus passionnée. Je peux me tromper et ta vie précède la mienne en expérience et sans doute en désillusion. Je ne suis pas d'accord pour le dogmatisme et le snobisme auquel tu fais allusion, en tout cas pas sur sa cause, sinon à le rattacher à la (fausse) gauche bien-pensante qu'on nous sert artificiellement comme une alternative à la droite économique. L'intelligencia n'est pas responsable toujours de son insuccès, et dans cet ultra-libéralisme traversé de part en part par cette société que nous a décrit Debord, je donnerais plutôt responsables les instances qui luttent chaque jour contre l'intelligence plutôt que les créateurs acharnés qui sacrifient tout au bénéfice d'une œuvre riche et complète. Jean-Luc Godard, pour citer le plus conséquent, ne transige rien à son public et il a bien raison sinon son Livre d'images ne pourrait exister. Par contre, je dois bien avouer que la sociologie bourdieusienne a été mal assimilée par le public en particulier sur la culture que les masses voient comme un instrument de domination seulement.... à mon grand regret, à leur plus grande défaveur.
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