oulah, l'est mal barré le Brisseau... Hier dans Libé :
C'est une vraie baraque, Jean-Claude Brisseau. Il dépasse tout le monde d'au moins une tête. Ses lunettes pendent sur sa chemise ouverte, comme sa chevelure blanche et longue autour de son visage raviné. «Tu pouvais pas lui dire de se laver les cheveux?», souffle une consoeur à François Blistene, l'avocat de Brisseau. «Je sais, mais il est dans un tel état qu'il a vomi toute la nuit !» Brisseau, le grand metteur en scène de l'Ange noir, de Noce blanche et de Choses secrètes, comparaissait hier devant le tribunal correctionnel de Paris pour «harcèlement sexuel, escroqueries, abus d'autorité...» dont l'accusent quatre comédiennes. Quatre jeunes et jolies femmes, Véronique, Noémie, Claude et Julie. Durant des années et jusqu'en 2001, date de leur plainte, depuis 1994 pour l'une, 1996 pour une autre, plus tard pour deux encore, Brisseau, passionné obsédé plutôt par «l'immense mystère de l'orgasme féminin», les a filmées se masturbant devant lui. Ou les a regardées le faire, en général dans un café, sans les filmer, «son oeil étant une caméra». A toutes, il avait promis un rôle, LE rôle dans son film.
Champagne. On est peu de chose devant un tribunal et Brisseau, 61 ans, s'en rend compte dès la première minute. «Nom, prénom, âge et qualité ?» La présidente, Viviane Bourgeois, fait lever Véronique, manteau noir, cheveux tirés. Elle s'est caressée, pour lui, de longues années, filmée à trente reprises, seule ou avec une autre fille, Véronique faisait confiance : «De par sa réputation, j'avais tant d'admiration pour lui ! Je devais jouer Nathalie et Tina devait être Sandrine (dans Choses secrètes ndlr), il me l'a dit plusieurs fois, mais avant d'en être totalement sûr, il fallait passer le cap des essais.» Comme chaque fois, il y avait du champagne «pour nous détendre avant». Le secret était exigé : «Il pensait que tout le monde voulait lui piquer son sujet.» Pour rassurer, il avance le nom de Vanessa Paradis ou de Sylvie Vartan qui seraient passées par là. Jamais satisfait, Brisseau cherche toujours son mystère : «Il me fallait filmer encore et toujours pour arriver à trouver.» «Il nous disait que Tina et moi étions troublantes, raconte Véronique, que nous serions ses actrices.» Ni l'une ni l'autre ne le seront. «Avec fort peu de galanterie et au bout de cinq ans, vous avez dit à madame qu'elle était trop âgée», s'étonne la présidente. Jean-Claude Brisseau lève son immense carcasse. Il rapporte son propre étonnement quand les essais ont été projetés sur grand écran : «Les filles devaient paraître 25-27 ans, Véronique en paraissait 35-37 ! Je ne m'attendais pas à voir ça ! Ah ! Ça m'a troublé, vous savez !» On dirait un gros ours blessé. Sa voix se brise. «Je comptais les prendre pour un autre film, je les aimais beaucoup !»
«Complicité érotique». Avec Véronique et Tina, il se souvient que ce sont elles qui l'ont encouragé lorsqu'il se trouve désargenté, qu'il pense ne pas pouvoir tourner le film. «Elles me disaient "te décourage pas, on fera les essais", on était amis et je me suis laissé faire !» L'audience est dure à tenir, il faut bien tout aborder. «Et ces fois où vous vous êtes masturbé à plusieurs reprises pendant les essais ?» Brisseau fait non de la tête. «Vous avez déclaré sur PV : "Il m'est arrivé de me masturber très vite afin d'enlever le désir et de pouvoir tourner calmement." Ce sont vos propres aveux et vous avez même dit que l'une des jeunes femmes adorait ça !» Brisseau explose : «Je signale que j'ai protesté sur la manière dont j'étais interrogé ! Le gendarme m'a dit : "J'ai reçu ordre de vous rendre coupable !" Mais on m'a interdit de protester !» Il tempête : «Avec Tina et Véronique, il y avait une complicité érotique ! Je ne veux pas rentrer dans des détails trop personnels...» Apparemment, il a du mal à se retenir. «Quand j'étais avec Tina, Véronique débarquait chaque fois ! Vous appelez ça comment ? Ah ! Ce n'est pas agréable à dire devant les maris !» Et sa femme qui avait déclaré : «Mon mari visionnait les cassettes et se masturbait ensuite dans les toilettes.» «Un faux ! Ma femme est là, elle peut vous le dire», râle le metteur en scène. La présidente lit les témoignages nombreux de toutes les filles qui ont raconté les mêmes faits. Champagne, promesses de rôle, essais «érotiques». Celle-ci avait 17 ans : «Il m'a demandé de me débrouiller pour l'exciter, d'écarter les jambes, il m'a parlé de Vanessa Paradis...». Jamais un sou. Chacune ignorant les autres, chacune persuadée d'avoir le rôle : «Le bon sens élémentaire ! Il peut se produire n'importe quoi, une comédienne peut être malade !».
Noémie avait refusé d'être filmée jusqu'en 2000 «par peur que les cassettes circulent», puis elle a accepté. Pour le rôle. Brisseau la déteste. «Une menteuse pathologique, elle m'a même avoué qu'elle était suivie pour ça !» Ou encore : «Elle m'a même dit : "C'est pas grave, on baisera à trois !" Et là, c'est un tissu de mensonges ! Tout est faux ! Elle a exercé des pressions ! Du chantage ! Un climat de terreur !» «Dans quel but ? Avec quels moyens ?» demande la juge. Il se rassied. Se tient le coeur. «Je souffre d'un syndrome névrotique.» Demande pardon. Son avocat le calme. Et Mes Lev Forster et Claire Doubliez tapotent les épaules de Julie et Noémie. «Vous en faites pas, il est dérisoire !» Mais ça recommence avec la lecture du témoignage de Clara. «Elle voulait que je lui organise un truc pour qu'elle se fasse sauter par trois mecs !»
Parfois, la salle s'écroule en rires gras. Quand Brisseau parle de l'extase de sainte Thérèse d'Avila, «une montée d'orgasme !» Ou quand il raconte : «Certaines femmes ont découvert qu'elles adoraient ça ! Une m'a même dit que c'était la première fois qu'elle jouissait.» «Un thérapeute, en somme», rigole la présidente. «On me l'a dit !» se rengorge Brisseau. Et il ajoute : «Ce qu'il y a dans mes films, ce sont les fantasmes des femmes ! Pas les miens !» Pas sûr. Pas sûr non plus que cela en fasse autre chose qu'un arnaqueur, obsédé sexuel, même génial. Deux ans avec sursis et 30 000 euros d'amende ont été requis. Plaidoirie dans la foulée.
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