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Deux avocats, un « drug lord » et beaucoup de pression devant le tribunal de Paris
Pascale Robert-Diard
Les pénalistes Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban sont jugés aux côtés de leur ancien client, Robert Dawes, un narcotrafiquant britannique, pour « tentative d’escroquerie au jugement » lors d’un procès criminel.
Robert Dawes, trafiquant international de stupéfiants, purge une condamnation définitive de vingt-deux ans de réclusion criminelle pour l’importation de 1,3 tonne de cocaïne. Dans l’affaire qui lui vaut de comparaître, depuis lundi 23 janvier devant le tribunal correctionnel, pour « faux en écriture publique » et « tentative d’escroquerie au jugement », il encourt une nouvelle peine de dix ans d’emprisonnement. Il est par ailleurs attendu aux Pays-Bas pour répondre d’une accusation de meurtre. Dans le box de la salle d’audience, quatre hommes cagoulés et armés épient le moindre mouvement de ce détenu particulièrement signalé (DPS).
Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban étaient ses avocats, ils sont ses coprévenus. Il leur est reproché d’avoir violé le secret de l’instruction et de s’être rendus complices de la tentative d’escroquerie au jugement, en produisant devant la cour d’assises des pièces en défense de leur client, qui se sont révélées falsifiées. De leur siège dans le prétoire, ils saluent leurs confrères du barreau de Paris qui se relaient chaque jour pour les soutenir.
De ces trois prévenus, le hors-la-loi et les hommes de loi, le moins libre n’est pas celui que l’on croit. Robert Dawes n’a rien à perdre et il ose tout. En résumé, soutient-il, il est la seule victime de cette affaire. « Sans ces faux documents, j’étais quasiment assuré d’être acquitté. A la place, j’ai été lourdement condamné ! », proclame-t-il. Tour à tour accusateur, protecteur, narquois, il distille menaces voilées et indulgences. Contre l’évidence, il exonère de toute responsabilité le quatrième prévenu de cette affaire, son homme de main Evan Hugues, absent de l’audience, alors que l’enquête démontre le rôle essentiel joué par cet omniprésent conseiller dans la falsification des pièces du dossier et leur transmission aux avocats.
Le volubile « drug lord » se montre, en revanche, singulièrement méprisant pour ses deux ex-avocats. Des « Laurel et Hardy », qui « étaient aux fraises et le sont toujours ». « J’arrive pas à croire que je suis là. Moi, j’ai pris vingt-deux ans, eux, ils dormaient au lieu de travailler sur mon dossier. A chaque visite au parloir [de ses avocats], on évoquait ma défense. J’avais une défense ultrasolide. Mais eux, ils écoutaient d’une oreille distraite. A aucun moment, nous ne parlons de ces pièces ! » Robert Dawes souffle le chaud : « C’est impossible d’imaginer que mes avocats avaient connaissance [de cette falsification] » – et le froid : « C’est inconcevable qu’il ait fallu attendre le procès pour qu’ils s’interrogent sur l’origine de ces documents ! Ils les avaient depuis six semaines ! »
« J’ai fait preuve d’un laxisme absolu »
Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban encaissent sans broncher. Dans cette affaire où ils risquent leur robe, l’un et l’autre sont prisonniers. Entre ce qu’ils peuvent dire et ce qu’ils doivent taire de leurs relations avec ce client, disons, très pressant, la voie est étroite. « Ça se défend mal, un avocat », souffle Xavier Nogueras à un moment périlleux de son interrogatoire. Le jour où Robert Dawes a été extradé vers la France, l’avocat était de permanence. Le narcotrafiquant l’a gardé pour sa défense. « J’avais à peine cinq ans de barre et pas du tout l’habitude des dossiers stup de cette ampleur », souligne-t-il, en évoquant à demi-mot « la pression » de son client. A sa demande, il a accepté de transmettre l’intégralité des DVD du dossier d’instruction à Evan Hugues, alors que celui-ci n’ayant pas la qualité d’avocat, il ne pouvait en être destinataire. « On n’apprend pas à l’école d’avocat à gérer ce genre de situation. Je n’avais pas suffisamment les épaules. J’ai cédé. » Selon l’enquête, c’est grâce à cet accès au dossier original que les faux ont pu être réalisés.
« J’espère que nous ne sommes pas manipulés » – Xavier Nogueras
Sous le regard vigilant de Robert Dawes, le quadragénaire s’accable. Il n’a, dit-il, « rien foutu » dans ce dossier. « J’ai fait preuve d’un laxisme absolu, affligeant, et d’une imprudence gravissime. On a tous été bernés », poursuit Xavier Nogueras, en admettant ne pas avoir procédé aux vérifications indispensables sur les documents qui lui avaient ensuite été envoyés avant de les verser devant la cour d’assises.
Lorsque les premiers doutes apparaissent sur les fameuses pièces, l’inquiétude monte au sein de l’équipe de défense. « Les amis, il va falloir trouver une solution par rapport à la demande du président [de la cour d’assises] pour expliquer l’origine des éléments reçus de “Whisky” [le surnom d’Evan Hugues]. Sinon, on passe pour des cons », écrit Joseph Cohen-Sabban sur WhatsApp. « J’espère que nous ne sommes pas manipulés », répond Xavier Nogueras. Mais ils se gardent de s’ouvrir de leur cas de conscience auprès des magistrats de la cour.
« Vous exprimez vous-même la peur d’être manipulé. Pourquoi ne dites-vous pas qu’il y a un problème ? », demande la présidente Isabelle Prévost-Desprez. Elle semble suggérer la réponse : « Mais est-ce possible pour vous, avocat de Robert Dawes, de dire “on arrête tout” ? Ou est-ce que vous devez continuer parce que c’est la ligne de défense de votre client ? » Xavier Nogueras élude : « Je crois qu’on est tous paumés à ce moment-là. » Deux jours plus tard, la foudre leur tombe sur la tête : la représentante de l’accusation annonce à l’audience que les pièces versées sont des faux.
« J’ai eu peur… »
Avec ses « quarante-six de barre » au service des délinquants de haut vol et ses « mille procès d’assises », Joseph Cohen-Sabban ne peut pas plaider l’inexpérience. A l’époque, dit-il, il est « fracassé de fatigue » et accepte, lui aussi sans hésiter, les demandes insistantes de Robert Dawes, par le biais de Evan Hugues. Il ne s’étonne pas davantage que de nouvelles pièces lui arrivent, peu de temps avant l’ouverture du procès, toujours par l’intermédiaire de l’homme de main de Robert Dawes. « Dans le contexte, tout était fait pour qu’on ne s’interroge pas. On était conditionnés. » Un ton plus bas, il ajoute : « Et on n’interroge pas Robert Dawes… »
Face à cette manne de documents tombée du ciel dans laquelle il ne veut voir qu’une opportunité de « dynamiter l’accusation », Joseph Cohen-Sabban fonce tête baissée. « Un plaisir d’avocat », relève la présidente Isabelle Prévost-Deprez, avant de souligner, une fois encore, la légèreté des défenseurs : « Vous ne connaissez pas l’origine des pièces et pourtant, vous vous appuyez dessus…
– A aucun moment, je n’ai imaginé que cela pouvait être un faux ! », s’emporte le pénaliste.
L’interrogatoire se poursuit et Joseph Cohen-Sabban finit par lâcher : « Il y a eu une période où… j’ai eu peur…
– Je ne vais pas vous demander de qui vous avez eu peur », dit la présidente.
Xavier Nogueras entrouvre à son tour la porte sur cette autre vérité du dossier, si difficile à admettre pour un avocat, a fortiori en présence de son ancien client, et face à des magistrats. Pendant l’instruction, il avait menti à la juge qui lui demandait si, après le procès, il avait eu des contacts avec Robert Dawes ou avec son entourage. « Aucun », assurait-il. L’enquête a apporté la preuve du contraire. Deux envoyés du narcotrafiquant étaient venus le voir pour connaître précisément quels documents avaient été saisis à son cabinet lors des perquisitions.
Isabelle Prévost-Desprez le lui rappelle. « Que voulez-vous que je vous dise ? Silence. Un jour, on a toqué à la porte de mon cabinet. Nouveau silence. Je reçois la visite de deux personnes. Je suis extrêmement mal… Je ne suis pas habitué à ce genre de choses… Alors, pourquoi je mens ? Parce qu’il y a parfois des questions auxquelles il est compliqué de répondre.
– Et parce qu’elles seront dans le dossier qui va être lu par d’autres [prévenus], c’est ça ? »
Xavier Nogueras se tait. Dans le box, Robert Dawes sourit. Réquisitoire jeudi 2 février.