Tribune. Ces derniers temps, avec le succès de petits vols suborbitaux de milliardaires défiscalisés souhaitant développer un tourisme spatial de (très) petite niche, l’ensemble des médias s’est emballé pour ces réussites considérées comme spectaculaires. Pourtant de tels vols existent depuis… 1960 ( !) avec l’avion X15 de l’US Air Force, certes réservé à des pilotes chevronnés, dont Neil Armstrong, premier « touriste » lunaire il y a 52 ans.
L’innovation technologique des engins actuels est donc fort modeste, le besoin de moteurs fusée est toujours d’actualité : impossible de quitter la planète sans une débauche de moyens technologiques, mais à un coût environnemental désastreux à tous les niveaux (financements, ressources naturelles et… pollution).
Pourtant, nous avons tous rêvé de devenir des astronautes, de nous échapper de la Terre et de découvrir de nouveaux mondes, les romans de science-fiction sont à cet égard porteurs d’un imaginaire puissant ! Mais il s’agit de romans de (science)-fiction et non de science, faut-il le rappeler ?
Promesses « illimitées »
Si Elon Musk, avec sa société Space X, largement aidée par la NASA, et ses nombreux succès, est le plus avancé, et dirige la plus sérieuse de ces entreprises – Falcon réutilisable ; capsule Crew Dragon ravitaillant en astronautes et matériel la station spatiale internationale ; contrat pour le retour d’astronautes américains sur la Lune –, on remarquera que le tout se fait dans une démarche parfaitement classique, celle de l’exploration spatiale développée par les Etats depuis maintenant soixante ans, à des fins en partie commerciales, mais somme toute assez classiques, les satellites commerciaux ayant toujours existé.
Or, le but avoué et répété d’Elon Musk n’est autre que la planète Mars, non pas pour quelques voyages à finalités technique et scientifique comme l’étaient ceux d’Apollo sur la Lune, mais bien à des fins d’installation et surtout de colonisation (mot pourtant fortement connoté à l’heure actuelle !) de la Planète rouge, sous-tendant l’idée que, après l’épuisement des ressources sur la Terre, Mars nous tendrait les bras, dans une sorte de nouveau Far West aux promesses « illimitées ».
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Mais Mars n’est pas, loin s’en faut, une planète habitable. Notons au passage que la notion d’habitabilité, très utilisée par les astrophysiciens et astrobiologistes, est une notion fourre-tout largement contestée dans la communauté scientifique et qu’aucune définition précise ne saurait en être donnée. Habitable par qui ou par quoi ? Habitable à quel stade de l’évolution planétaire voire de l’évolution biologique ? Chimie prébiotique, bactéries unicellulaires puis pluricellulaires, plantes, animaux ?
Strictement personne ne le sait ni ne peut prévoir un tel phénomène, indécidable par nature, tant il est vrai que l’origine du vivant, au niveau moléculaire par nécessité, reste totalement incomprise. Tout au plus fait-on appel à la notion très basique de zone habitable autour d’une étoile où la présence d’eau liquide à la surface de la planète serait possible, simultanément à la présence de composés organiques et de lumière… Un retour bien ironique à la suggestion originale de Charles Darwin (1809-1882) dans sa correspondance de 1871 au botaniste Joseph D. Hooker (1817-1911). Rien de plus ni de réellement mieux n’a été proposé depuis lors !
Par définition inhabitable
La colonisation de Mars prônée par Musk suppose que la planète soit habitable de manière durable pour nous, êtres humains, et ceci bien évidemment grâce à la présence d’un environnement souvent surnommé la biosphère, un nom particulièrement signifiant et qui ne s’applique en ce moment qu’à une seule planète, la nôtre.
Sans eau (ou si peu), sans atmosphère (ou si peu), sans volatiles et organiques (ou franchement si peu), sans tectonique des plaques contrôlant le cycle du dioxyde de carbone sur Terre, sans champ magnétique protecteur d’un rayonnement cosmique féroce et avec des températures qui feraient prendre le sommet de l’Everest pour un sauna tropical, Mars est par définition une planète inhabitable, certainement à des êtres aussi complexes que nous, au sens large, mais probablement tout autant à des bactéries qui n’ont à ce jour pas encore été découvertes.
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Certes, l’être humain s’adapte à toutes les conditions. Il a exploré les fosses sous-marines, séjourné dans les hivers antarctiques et même passé quelques jours sur la Lune. Mais il est à noter que son environnement immédiat et (très) temporaire a été intégralement importé de sa planète, à grand renfort de moyens et de technologies innovantes et remarquables mais n’assurant aucunement la pérennité de ces habitats précaires. Même la station spatiale internationale (ISS) est ravitaillée par des vaisseaux (de Musk !) apportant vivres, eau et… oxygène !
Mais Mars pourrait-elle être rendue habitable selon le grand rêve et la promesse du fondateur de Space X qui souhaite la « terraformer », un des mythes fondateurs de la science-fiction du XXe siècle. Cela suppose que le nécessaire (pour combien de personnes ?) soit évidemment présent et pérenne sur la planète. Or, il n’y a rien sur Mars.
Radiations implacables
L’eau en est partie dans sa grande majorité il y a 3,3 milliards d’années ; du basalte et aucune terre arable ; les radiations implacables ont balayé la surface de la planète, la rendant totalement stérile et empêchant le développement possible d’une vie hypothétique qui aurait alors mis des milliards d’années pour arriver à une vie potentiellement similaire à la nôtre (ce qui reste d’ailleurs à démontrer) où nous pourrions nous adapter.
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En d’autres termes, « terraformer » Mars prendrait des millions d’années avec un résultat connu à l’avance : avec sa faible gravité, Mars est tout simplement incapable de retenir une atmosphère et personne, ni M. Musk ni le pape ni Castorp avec ses certitudes et sa morgue à la mord-moi-le-noeud n’y pourra rien changer, Mars est désormais une planète morte (si ce mot a une signification pour une planète).
Mais au-delà de cette banale réalité scientifique et en négligeant le problème éthique qui consisterait à ne sauver que quelques privilégiés, se pose avec force une interrogation vertigineuse et ô combien cruciale à laquelle Elon Musk n’accorde qu’une attention de façade : est-il possible de re-terraformer la Terre ? Est-il possible, par exemple, de simplement ramener le taux de dioxyde de carbone dans l’air, responsable du réchauffement climatique, de 440 ppm [parties par million] actuellement à sa concentration préindustrielle de l’ordre de 280 ppm et ce en un minimum de temps (une génération ?) ?
Des humains sur Mars, une mission impossible ?
Bien évidemment la réponse est simplement non, du moins pas sans un effort considérable qui dépasserait nettement tous les budgets que M. Musk pourrait placer dans son illusoire colonisation de Mars. La physique est dans ce cas implacable puisque retransformer ce trop-plein atmosphérique de CO2 nécessiterait une dépense d’énergie au moins égale (et certainement supérieure) à l’ensemble des énergies fossiles produites depuis 1750. Un défi nettement plus intéressant que celui proposé par Elon Musk, Don Quichotte d’un nihilisme planétaire, adulé par l’ignorance et la crédulité d’une société en totale déconnexion avec la réalité scientifique.