excellent article sur le site du Monde.fr:
La machine universelle à communiquer est déjà là
LE MONDE | 28.12.05 | 12h51 • Mis à jour le 28.12.05 | 12h51
Six lettres simplement colorées, une page dépouillée, presque blanche, un formulaire de recherche. Pour une majorité d'internautes, cette simplicité ne trompe pas. Elle suggère que Google n'a que peu évolué depuis 1998 et sa création par Sergey Brin et Larry Page, deux mathématiciens de l'université Stanford.
L'entreprise de Mountain View (Californie) serait demeurée telle qu'en elle-même, dévolue à la recherche sur Internet, avec la modestie de ses débuts... Rien n'est plus faux. Derrière l'apparent dépouillement se cachent une puissance de calcul phénoménale, une capacité à innover et une créativité qui inquiètent tous les secteurs économiques dont une part de l'activité est dématérialisée. L'ambition de Google, qui vient d'entrer au capital d'AOL Time Warner à hauteur de 5 %, est, "simplement", de devenir une machine universelle.
Son secret est d'abord dans son algorithme, PageRank, qui classe les 8 à 9 milliards de pages Web indexées par son moteur en fonction d'une multitude de paramètres — fréquence d'actualisation, popularité, etc. Si les détails de cette formule mathématique restent cachés, ses grandes lignes et ses principes sont connus de longue date. Depuis 2003, qui a vu une extraordinaire montée en puissance du moteur, le vrai secret de Google est ailleurs : il ne concerne plus tant l'efficacité de tel ou tel algorithme que sa prodigieuse puissance de calcul, de traitement et de stockage de l'information.
Pour ne pas effrayer en divulguant des chiffres colossaux, Google ne communique pas sur sa capacité de calcul. Les derniers chiffres rendus publics datent de près de deux ans et mentionnent l'existence de plus de 10 000 serveurs. Soit... pas grand-chose ; mais la réelle capacité de la société alimente toutes les spéculations. En janvier, l'analyste Charles Ferguson, dans la revue Technology Review, avançait le chiffre de 250 000 serveurs exploités dans le monde.
Stephen Arnold, consultant indépendant et auteur du livre-enquête The Google Legacy (L'héritage de Google, Infonortics), estime, pour sa part, que l'entreprise "dispose de 30 data centers ("centres de traitement des données") dans le monde dont la localisation est gardée secrète pour des raisons de sécurité et dont chacun est constitué d'environ 10 000 serveurs".
François Bourdoncle, PDG et cofondateur du moteur de recherche Exalead, évoque, lui, "plus de 60 data centers". On peut donc penser que la force de frappe de Google est aujourd'hui de 30 à 60 fois plus importante que celle annoncée.
De gros investissements visent à l'accroître encore. "L'un des projets en cours a pour objectif de monter 8 000 microprocesseurs dans une unique boîte, de monter cette boîte sur un camion et d'aller ainsi, très rapidement, ajouter de la capacité là où c'est nécessaire", assure M. Arnold. Grâce à ce projet de data center on a truck, l'entreprise californienne serait en mesure de doubler très rapidement sa puissance de calcul.
Ce n'est pas tout. "L'une des principales activités de Google, aujourd'hui, est d'acheter de la fibre optique, partout dans le monde, pour interconnecter ses data centers", ajoute le prospectiviste américain Howard Rheingold, auteur de Foules intelligentes (M2 éditions, 302p., 20 euros). M. Arnold confirme cette volonté de mailler le réseau des data centers et précise que, aujourd'hui, seule une infime partie de cette bande passante disponible est exploitée.
Pourquoi autant d'efforts ? Parce que Google a cessé, "sans doute vers la fin 2003", selon M. Arnold, d'être un moteur de recherche. Les mots manquent pour définir sa véritable nature. "Google est devenu une plate-forme applicative", diagnostique le consultant. En termes profanes, cela signifie qu'elle utilise désormais sa capacité de traitement de l'information et sa bande passante pour distribuer aux internautes non seulement les informations qu'ils recherchent, mais également des applications logicielles : messagerie électronique (Gmail), service de recherche local sur son propre ordinateur (Google Desktop), téléphonie sur IP (Google Talk), etc. Comment nommer le vaste ensemble de serveurs ? A défaut d'autre terme, M. Arnold a choisi de le baptiser "GooglePlex", nom du siège social de l'entreprise, en Californie.
Impossible de prédire avec certitude le futur, mais le potentiel du "GooglePlex" rend envisageable l'émergence d'un "GT & T, un Google Telephone and Telegraph", s'amuse M. Arnold, qui pourrait faire pièce aux télécommunications traditionnelles. "Google offrira, avant les opérateurs classiques, des services sans-fil géolocalisés", prévoit également M. Rheingold. Pure fiction ? A San Francisco, Google est déjà sur le front du Wi-Fi gratuit (accès sans fil à Internet), officiellement à titre expérimental. Quant au transfert de voix sur Internet, l'affaire est en cours avec Google Talk. Voilà pour la technologie.
L'arme économique, pour sa part, est connue : il s'agit de la gratuité, financée par la publicité ciblée. Comment ? "Les outils de recherche pourront bientôt passer au peigne fin non seulement des documents aux formats Microsoft Office ou PDF, mais aussi des messages instantanés, des courriels, de la musique et des images, écrit Charles Ferguson, dans la Technology Review. Avec le développement de la reconnaissance vocale et du haut débit, il sera également possible d'indexer et d'analyser des conversations téléphoniques."
De la publicité ciblée grâce à l'analyse des conversations téléphoniques ? La perspective est sans doute lointaine, mais le principe existe déjà et il est utilisé par le service Gmail, qui ausculte les courriels de ses utilisateurs pour leur proposer des annonces ciblées. De telles applications, très gourmandes en capacité de calcul et de stockage, sont directement suspendues à la puissance du "GooglePlex".
Les stratèges de Mountain View pensent avec dix coups d'avance. Mais l'avenir de l'entreprise n'est pas écrit. Les évolutions de Google se dessinent en fonction du comportement des internautes.
Cette stratégie laisse toutes les possibilités ouvertes, mais le "GooglePlex", qui donne aujourd'hui tout son potentiel à Google, pourrait, demain, devenir son point faible. "C'est le plus gros système informatique de calcul distribué qui ait jamais existé, souligne M. Arnold. C'est complètement novateur et, donc, pas sans risque. Google n'est pas à l'abri d'un bogue majeur. Dans le temps qu'il lui faudrait pour réparer, Yahoo!, MSN ou un autre pourrait prendre le dessus."
_________________ Sim [url=http://simsrest.blog.lemonde.fr]Ce sera surtout l'occasion de rencontrer le gratin cairote. [/url]"Le fil politique est souvent source de frustration et d'incompréhension. Le fil du slip aussi, cela dit." Chlochette
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