il y a un gars sur twitter dont le grand cheval de bataille, c’est de dire que jamais on aurait dû soumettre les streamers aux obligations de financement, et être conciliant avec eux dans les négocs sur la chronologie des médias. son argument : on a fait rentrer le loup de la bergerie, il valait mieux garder l’exclusivité du cinéma français, des stars françaises pour le système comme il était, et eux se démerdent. Il y a du pour et du contre à cette vision des choses, mais je trouve ça stimulant et j’y ai pensé très fort en regardant cette « série documentaire ».
les true crimes, c’est un genre bien connu. ici, faites entrer l’accusé est le must. aux usa, netflix s’est fait une vraie réputation. grace à making a murderer, grace à soupcons (ils n’ont fait que racheter mais c’est comme ça que les américains l’ont découvert), puis ils se sont engouffrés, produisant des séries sur des affaires, dans tous les pays du monde, jusqu’à tirer sur la corde avec des 8 fois 1 heures sur des histoires assez randoms. en france, ils ont fait gregory et les femmes et l’assassin (sur guy georges), qui étaient plutôt très bien – la présence de la reine française du faits divers – patricia « queen » tourancheau – y étant naturellement pour quelque chose.
jusqu’à ce dans la tête de monique olivier. rien que le titre est bizarre. et tout le reste suit. et on a bien fait rentrer le loup dans la bergerie, pas d’un point de vue du financement ou réglementaire, mais d’un point de vue artistique, moral.
c’est un documentaire français, fait en France – avec l’approche et les normes américaines. « dans la tete de monique olivier », comme les documentaires netflix sur les serial killers, j’avais vu celui sur dahmer qui le fait parler de longues heures, en fascination totale. cette complaisance et cette fascination désinhibée face aux tueurs et aux criminels, ce n’est pas notre culture. (il y a ici un coup de fil de monique olivier à son avocat, au haut parleur, filmé. jamais vu un truc pareil, elle ne dit rien d’intéressant ou quoi, c’est juste une fascination perverse). notre culture, c’est faites entrer l’accusé : le récit du point de vue policier, la parole donnée aux victimes, une forme de pudeur sur les détails les plus sordides – qu’ils donnent de manière analytique et froide, dans le style d’un rapport d’autopsie. notre culture, c’est un récit, une ambiance. ce n’est pas cette production tape à l’œil, vide de sens, ces plans esthétisants, ce montage hystérique, ces teasings permanants, ces effets chocs. notre culture, ce ne sont pas ces « reconstitutions » de meurtres et de viols d’adolescentes avec force ralentis, plans à l’américaine, musique de thriller, voix off qui dit « elle a tellement souffert… » (il y en a dans quelques horribles émissions de la tnt, mais rien de comparable avec les bas fonds atteints ici).
et "dans la tête de monique olivier", ce n’est même pas une tentative de comprendre comment le mal nait, non, c’est un truc grand-guignolesque d’emphase verbale pour dire que c’est le mal absolu, etc, avec une silhouette grotesque en ombre chinoise filmée au ralenti.
il y a tous ces moments où ils pointent « le manque d’empathie » et tu ne sais pas très bien s’ils parlent de olivier et fourniret ou de christophe astruc, le co-réal / chef op de cette horreur. il n’y a tellement aucun respect pour les victimes, réduites aux rang de photos exposées 1 seconde à la chaine, soumises à des reconstitutions complaisantes de leur calvaire, privées de toute personnalisation, humanisation. j'imaginais le mec derrière son ordi, en train d'utiliser after effects, tout fier, pour arriver à leur petit plan où la silhouette des victimes s'efface de la photo montrée à l'écran et je me disais : mec, t'as pas de race. j’imagine la réaction des familles devant le traitement qui leur est réservé, la nausée, le dégout, l’insulte. le christophe en question a annoncé la sortie sur son insta en disant « latest work ! thank you netflix » avec quelques captures des plans les plus tape à l’œil (qui sont tous tellement dénués de sens, de profondeur, de puissance d’évocation…). pas un mot pour les victimes, sur le fond de l’affaire, juste un fabriquant d’image euphorique d’avoir pris 100k d’une grosse boite américaine pour faire des « belles » images à mettre sur sa bande démo.
et le tout est tellement mal raconté, on n’apprend rien, comme d’hab le seule objectif est de ne pas contrarier le short attention span des spectateurs netflix donc chaque plan dure 3 secondes (sauf quand quelqu’un pleure, il a le droit à 4), chaque mini séquence dure 1 minute, on multiplie les allers retours dans le temps pour avoir du meurtre, du viol, du détail sordide toutes les 5 minutes max. le passage sur l’extraordinaire histoire du vol du butin du gang des postiches est totalement survolé (queen patricia tourancheau y avait consacré un livre entier, il aurait mieux fallu lui demander de l’adapter en doc…), rien de pertinent n’est dit dans l’épisode sur le procès – les français ne visent pas le spectaculaire donc effectivement netflix ne sait pas quoi en foutre… de toute l'histoire de fourniret, il y a un élément qui me hante et me démolis. il a été condamnée à 84 à 7 ans de prison, dont 2 avec sursis, pour "une dizaine de viols et d'agressions sexuelles". il en a au final fait à peine plus de 4. les viols, c'était sur des mineures, ados, vierges, embarquées au bord de la route dans sa voiture, violées, et jetées sur le bas côté. pendant l'affaire, il a lui même transmis à la justice une liste plus importante de victimes, qui n'ont simplement pas été retrouvées. et pour tout ça, il a fait 4 ans de prison. en 84, violer et agresser une dizaine d'adolescentes, c'était 4 ans de prison. en 84, une adolescente violée ne portait même pas plainte. il aurait été condamné à une peine normale (20 ans au minimum, le mec était très manifestement un pervers totalement dégénéré), toutes les autres filles seraient vivantes. cet aspect là mériterait un documentaire tout entier, mais c'est évoqué 5 secondes, et même pas sous cet angle.
tout ça, ce n’est pas notre culture, et ils vont en produire d’autres, des comme ça et ils vont convertir une génération à croire que ça l’est, et ça me déprime et ça me fait peur, mais au moins que ce soit écrit quelque part sur internet que cette monstruosité audiovisuelle ne mérite que mépris et dégout.
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