Au départ je voulais un topic sur les scènes cinématiques dans les jeux vidéo mais je me rends compte qu'il est plus intéressant d'élargir le sujet en parlant simplement des jeux vidéo qui reprennent les codes du cinéma, notamment ceux de la mise en scène. On parlera donc forcément de scènes cinématiques mais aussi de séquences de jeu où l'on impose au joueur de voir certaines choses sous un certains angle malgré qu'il ait le contrôle de son personnage.
Je ne vais pas vous faire l'affront d'écrire sur ce que peut être la mise en scène typique des jeux vidéo ou même de son influence au cinéma, j'imagine que d'autres aussi le feront 10² fois mieux que moi (Tom ?)
Je vais donc macher le travail en citant quelques exemples que je trouve intéressant (et qui peuvent se regarder sans même connaître le jeu en question) :
Je commence avec le trailer d'annonce de Mass Effect 3, un peu à part. Le truc c'est que ce montage n'est pas une version raccourcie des cinématiques du jeu mais bel et bien la version complète. C'est donc une fausse bande-annonce avec de vrais idées dedans :
Il n'y a que la baston de fin pour nous dire qu'il s'agit d'un jeu vidéo, sinon on est clairement dans du blockbuster hollywoodien. Je serais prés à parier que le trailer du vrai film Mass Effect ne lui arrivera pas à la cheville.
Un autre exemple de digestion totale des codes du cinéma : l'intro-générique de Resident Evil : Outbreak
On diminue en finesse avec God Of War 3, à noter à la fin de la vidéo comment la caméra finit pas donner les contrôles au joueur. Jouissif.
Clash of Titans 8
Puis il y a ces moments embarrassants où tu te dis que le jeu vidéo est mieux foutu que l'original :
Le dernier plan tue.
Et deux exemples de mise en scène avec un contrôle (limité) du joueur : Call of Duty : Modern Warfare 2
J'ai pas trop les souvenirs en ordre pour citer efficacement des choses. J'ai surtout une culture nintendo, c'est à dire une culture cartouche, et donc anti-cinématique. Comme tout le monde, je les ai adorées quand elles ont été l'affaire des premières modélisations 3D, et j'ai bien ressenti cette idée de "cadeau" donné en récompense au joueur après une phase de jeu difficile. Mais très vite elles m'ont un peu fait chier : j'ai toujours l'impression d'un constat d'échec, l'incapacité à te faire sentir la narration par l'intermédiaire du jeu vidéo. Le moment où l'on te retire les commandes est toujours un peu désarçonnant : à la limite quand tu arrives dans une nouvelle zone et qu'on te pose un décor, ou une situation, mais sinon...
Bien sûr on peut citer les jeux qui ont assumé ça jusqu'au bout. C'est pour cette raison que j'adore un truc comme The Dark Eye qui est à l'extrême limite du film interactif, mais qui en joue, et où il faut, par l'exploration, simplement "débloquer" les évènements (= les animations et vidéos), comme si c'est par l'exploration seule qu'on faisait avancer l'histoire. Sans y avoir jouer, il me semble que les jeux de Roberta Williams utilisant la vidéo étaient dans la même veine... Mais tout ça me semble quand même super périlleux.
Dans les recherches consistant à s'extraire de ça (= garder un aspect cinématographique sans passer par des cinématiques), je vais sortir des banalités. Les enchaînements d'Ocarina of Time, au-delà du fait qu'ils imposent une même matière visuelle (et les mêmes habits, le même moment de la journée, la même météo) pour les scènes jouées et "filmées", étaient intelligents par la manière dont ils mêlaient ces phases : au milieu d'une cinématique, par exemple, il fallait répondre ou faire un choix. A l'inverse, la caméra lambda des phases de jeu, par sa distance calculée (qui donne toujours à voir le décor, plutôt que de nous caler derrière l'épaule du personnage), avait un côté un peu cinématographique :
Tout ça se mélangeait très bien, mais ne faisait finalement que donner une version 3D de ce qui existait déjà sur 16 bits, c'est à dire une hésitation sur l'arrivée et le départ des phases de jeux (seulement signalées, généralement, par un léger changement de format) : on pouvait nous redonner le contrôle à tout moment.
Tout ça ne fait cependant pas une "mise en scène" : la narration vient prendre le jeu en cours, prend le joueur un moment, le re-dépose dans le jeu. Là-dessus, même si j'ai peu joué aux jeux eux-même, le gros palier comme tu le dis c'est quand même le micro-scriptage (séries d'évènements préparés, déclenchés durant les phases de jeu), celui d'Half-Life d'abord, puis de Bioshock ensuite qui porte le principe à son apogée.
(jusqu'à 8 min où pour le coup une vraie cinématique prend le relais - quoiqu'on dirige peut-être encore le point de vue)
Finalement, ce que cassent ces jeux, c'est la liberté temporelle. Myst, qui malgré la fixité est quelque chose comme la cinématique absolue (= le spectacle d'une modélisation 3D savante), avait entériné un espèce de temps abstrait, étirable à l'infini, invitant à la contemplation. Par le calme et l'attention à laquelle on invitait, le temps prenait une espèce d'épaisseur (on se voyait pas cliquer de tableau en tableau en courant). Ici c'est finalement un peu le retour de bâton de ce principe : le jeu impose au joueur un tempo qui souvent le dépasse, le stresse, exige de lui : le joueur en est "spectateur", mais de l'intérieur.
J'ai toujours trouvé ça dangereux aussi, comme si on coupait au joueur une certaine liberté, mais l'immersion gagnée, le côté "cinématographique", est indéniable. Je trouve qu'il y a un bond narratif vraiment important, avec ce principe.
Mais finalement, une jeu qui impose réellement un point de vue sur la situation, qui raconte quelque chose par la façon dont il te montre ton aventure (comme une mise en scène, quoi)... Y a un peu de ça dans Limbo, avec ses avancées-reculées de la caméra, et encore c'est rare. Quant aux points de vue imposés d'Alone in the Dark puis de Resident Evil, je suis pas sûr qu'ils relèvent vraiment du même registre.
En fait, le grand défi qu'il reste au jeu vidéo, selon moi, c'est de savoir faire un final, un climax, qui soit autre chose qu'une cinématique. Il y a toujours une sensation d'inachèvement devant le fait que le plaisir maximal et ultime qu'on puisse donner à un joueur comme point final, c'est un film dans le jeu, toujours avec cette notion de récompense (et pour ça on a pas attendu la Playstation, c'était déjà le cas dans les jeux 2D). Pour l'instant je vois un jeu qui a réussi à faire un climax de jeu vidéo, à retrouver les sensations d'un climax cinématographique par les moyens du jeu vidéo : c'est Braid. Quand bien même l'interaction ne consistait qu'à appuyer sur un bouton... Il y en a peut-être d'autres, mais ça me semble vraiment être le gros défi à relever, maintenant que d'autres ont déjà été résolus cette décennie (la scénarisation par le micro-scriptage, donc, mais aussi une meilleure intégration des phases de didacticiel - avec des jeux qui parvenaient même à s'en passer, parce que s'il y a un bien un truc que 90% des jeux vidéo n'arrivent pas à rendre charismatique, à l'inverse du cinéma, c'est leur ouverture).
Pour résumer : je pense qu'au delà des effets de mimétisme, le jeu aura l'air plus cinématographique quand il parviendra à être d'avantage narratif avec ses moyens à lui.
Bon, après faudrait y réfléchir plus, et sortir des exemples-star que j'ai énuméré là... Si un truc me revient, je complèterai ici.
En fait la cinématique par micro-scriptage, on en retrouve des prototypes plus tôt - ou en tout cas des passages où l'on te pose dans une situation que tu n'as pas grand chose d'autre à faire que "visiter". Je viens de retomber sur un passage d'Illusion of Time (une histoire bordélique de civilisations anciennes en ruine et de comète qui revient cycliquement foutre le bordel sur Terre), où après avoir vaincu le boss d'un temple Inca abandonné, on se retrouve dans un espèce de "rêve éveillé" où tout le peuple est là, et te prend pour le roi.
C'est un peu long, donc les "étapes" sont les suivantes : arrivée sur le bateau au début, départ du bateau vers 2.25, rêve à vers 3.05, réveil vers 3.50, coups vers 6.00.
Le jeu est assez moyen, mais ce long passage m'avait hyper marqué. Je trouvais justement qu'il y avait un potentiel cinématographique énorme (le réveil, la découverte de la reine morte, etc.)
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