JulienLepers a écrit:
Honnêtement, je trouve le film pas mal dans sa première partie quand il remplace le gamin, jusqu'à ce qu'on le perde dans les bois.
C'est également la partie que je préfère, celle dans le foyer, c'est la plus subversive et étrangement inquiétante.
Citation:
Ensuite, c'est comme dans de nombreux Spielberg, j'ai l'impression que ça se barre en sucette et qu'il refuse de se confronter à son sujet de départ pour noyer le poisson avec des péripéties qui vont du bâclé (j'ai souvenir d'une poursuite dans les bois qui m'a un peu fait cette impression :
) ou du "c'est bon, j'ai compris, active", d'autant que le gamin m'est pas franchement sympathique et que je préfère à ce moment le personnage de Gigolo Joe, mais là en gros, c'est Blade Runner (c'est même encore plus Blade Runner 2049)*.
J'ai beau faire l'éloge du film que je trouve monumental, je n'ai pas dit qu'il est aussi en quelque sorte "malade", ce qui laisse du champ à la critique, mais cette spécificité le rend aussi plus important encore à mes yeux. Il est malade pour une bonne raison car il est fait dans l'urgence (tu peux être sûr que Spielberg voulait le sortir en 2001) et a une vertu thérapeutique après la mort de Kubrick (de la même façon que
The Fabelmans en a une après le décès de ses parents), c'est un projet qu'il se réapproprie avec l'assentiment de ce dernier. L'autre raison est que c'est un film en tableaux, ce qui le rend inégal, par conséquent il y a un bouillonnement créatif un peu disparate, à prendre et à laisser. Le tableau de Rouge City est par exemple celui que j'aime le moins, c'est peut-être le seul moment où je me dis que j'aurais été curieux de voir la version de Kubrick, car il était plus en prise avec nos pulsions primaires, et que c'est un peu "laid" en terme de design (c'est censé être Vegas hein, mais on se comprend, j'imagine une version moins rushée, un peu plus homogène). Néanmoins Spielberg sait rester dans son registre et le personnage de Gigolo Joe fait un excellent Jiminy Cricket, et surtout l'épisode de la Flesh Fair y est déterminant car c'est peut-être un aveu de faiblesse. Le public de l'arène se repaît du spectacle de la torture des robots jusqu'à ce qu'un enfant y soit exposé, et qu'il croit avoir affaire à un véritable petit garçon (bon acteur ce robot), ce qui fait qu'on l'épargne. En gros Spielberg a un public de veaux mais il a "envie d'y croire", c'est un conte et c'est son inclination. SAUF QUE : il dénonce aussi le fait que ce public est en pleine dissonance cognitive, et c'est le cœur du sujet du film. Pour moi la meilleure façon de regarder
A.I. est effectivement de s'imaginer un autre film (le même en vérité) dans lequel cet enfant est véritable. C'est le propre des histoires d'androïdes (rêvent-ils de moutons électriques ?), mais c'est en cela que le film s'avère d'une violence inouïe, justement car elle se fait à l'endroit d'un enfant, qui incarne une forme de tabou des idéaux et de la représentation. Il y a une autre scène extraordinaire sur la question de la dissonance, celle des épinards et du rire de la tablée pour dissimuler une gêne qui finit par transparaître d'autant plus qu'elle se fait dans une fausse complicité. C'est le rire selon Bergson, "du mécanique plaqué sur du vivant", humain ou pas, c'est réciproque. Quand Rossellini fait
Allemagne année zéro, le stade terminal est
, et Spielberg ne l'a pas oublié. Quand Schindler est témoin de la liquidation du ghetto, c'est évidemment la petite fille au manteau rouge qui frappe sa conscience, et pour les détracteurs comme les laudateurs, il est absolument fondamental que Spielberg la singularise aussi au sein de son propre film en la colorisant, car il admet être dans le registre de la licence poétique, peut-être impossible après Auschwitz, comme cela a été problématisé.
Citation:
La fin est interminable dans mon souvenir, mais c'est peut-être pour te faire sentir les 2000 ans passées sous la flotte.
Ce dernier tableau est celui que je préfère après le premier, car Spielberg va au bout de son aspiration morbide, et que David se morfond d'autant plus après avoir rencontré Gepetto, mais de fait, ça n'en finit pas de finir.
Citation:
Mais j'admets totalement mes sentiments ambivalents sur un réalisateur dont la filmo est un grand huit d'émotions (C'est peut-être ça, le cinéma de parc d'attractions avec lequel on nous rebat les oreilles).
Encore une fois, il n'y a à mon sens pas de véritable appréciation de l'oeuvre de Spielberg sans ambivalence.
Citation:
J'ajoute en EDIT que *cette tendance à faire trop long et à se laisser aller à la complaisance voire à la branlette pour tartiner son fromage de bite plus que de raison, est ce qui me fait tiquer dans la comparaison avec (Sir) Alfred (KBE) dont le mot d'ordre a toujours été de chasser l'ennui et s'est fait des nœuds au cerveau pour se demander "mais bordel comment on va leur faire avaler encore cette tambouille une fois de plus ?". Et qui ne s'est donc pas par exemple comporté comme un cochon truffier à Oscars sur la moitié de son imposante et essentielle filmo.
Ce n'est pas sur ce plan que je pose la comparaison. Si Spielberg et Hitchcock sont probablement les plus grands
cinéastes, c'est que le premier est éminemment intuitif dans sa conception de la mise en scène, je lui prête une sorte de don. C'est le traumatisme du crash ferroviaire dans
Fabelmans qu'il remet en scène et falsifie de nouveau pour mieux appréhender l'impression même procurée par la réalité de son expérience de spectateur, et maîtriser la réalité en maîtrisant son art. Il y a une forme de réparation, et parfois à ses dépends, de consolation. Sur le plan de l'imagination et de la confrontation à une réalité insurmontable, c'est exactement le sujet d'
Empire du soleil. Spielberg arrive sur un plateau et peut configurer des plans complexes le plus simplement du monde, il se réalise en réalisant. Cette transcendance est aussi ce qui peut expliquer sa fascination récurrente pour les phénomènes lumineux. Quand Roy Neary est sous les feux des projecteurs d'un vaisseau, il a comme un coup de soleil ensuite, il est stigmatisé, le théorique s'invite dans le champ de la pratique. En résumé tout se passe devant ses yeux et devant les nôtres, d'où la Spielberg face™ et la prédominance du témoin frappé par sa vision, ou du témoin en représentant de l'humanité, c'est sujet à l'incarnation.
Hitchcock en revanche est à l'autre extrémité du spectre, il est éminemment cérébral, il n'a pas besoin de tourner son film puisqu'il est déjà dans sa tête, du moins c'est ce qu'il prétendait, et à la limite, son statut de réalisateur opère dans cette tension entre ce qui relève du conscient, ce qui s'avance comme tel, et ce qu'il cache d'inconscient ou révèle de refoulé, c'est le puritanisme du janséniste confronté aux pulsions du pervers. Sur tous les plans, une seule solution : la manipulation, et la pratique s'invite malheureusement dans le théorique quand il abuse de ses blondes. On navigue entre éducation du spectateur (
Rear Window : "Tell me exactly what you saw and what you think it means") et des caractères inconciliables (
Psycho : "A boy's best friend is his mother"), en résumé tout se passe dans sa tête et dans les nôtres pour le décrypter, c'est sujet à l'interprétation.
Sur ce j'arrête de divaguer comme Vieux-Gontrand.