Lion's Den (1988)
Cela fait plus d'une vingtaine d'années que je rêve de mettre la main sur ce court métrage de 24 minutes réalisé par Bryan Singer en 1987 (mais
copyrighté en 1990) à l'âge de 22 ans à l'issue de ses études à l'USC avec son casting de potes du cinéaste qui comprend Ethan Hawke (pile entre ses deux premiers longs,
Explorers et
Le Cercle des poètes disparus), Dylan Kussman (également dans le Weir avant des micro-rôles dans les futurs Singer), Brandon Boyce (futur scénariste d'
Un élève doué, entre autres) et Singer
himself (et c'est déjà monté par John Ottman).
Il n'est pas rare que les premières œuvres contiennent déjà des germes de la filmographie à venir de leurs auteurs mais ce n'est pas toujours le cas. Ici, si le film n'annonce rien d'un point de vue esthétique (les décors réels l'ayant visiblement forcé à redoubler de gros plans et de champs-contre-champs), on a vraiment la matrice thématique du cinéma de Singer dans cette histoire d'une bande de potes qui se réunit pour la première fois depuis qu'ils ont fini le lycée, quatre mois auparavant. Certains ont commencé la fac tandis qu'un autre tourne dans un film et que le dernier, lui, est resté dans le coin où il est vigile. Très vite, la rancœur de ce dernier, jadis le plus populaire de tous, transforme ces retrouvailles en lente réalisation que ce qui les unissait autrefois s'est perdu.
Enfant adopté, Singer a toujours exploré dans ses films les dynamiques de groupe, montrant souvent, dans ses œuvres les plus optimistes, comme le salut vient de l'appartenance à une "famille" et du travail d'équipe (
X-Men,
Superman Returns,
Walkyrie,
Bohemian Rhapsody), bien qu'il fasse preuve parfois d'une certaine ambivalence face à la toxicité inhérente aux
boys clubs (
Usual Suspects). C'est cette notion-là qui ressort ici, allant de pair avec l'autre obsession de l'auteur : la fascination pour les figures du mal. Le terme est sans doute un peu fort pour qualifier le personnage de Chris (Hawke donc, qui roule évidemment sur la compétition), qui aspirait à écrire mais se retrouve vigile (exactement comme Chris...McQuarrie, autre pote et futur collaborateur du réalisateur) et s'en prend donc aux autres, celui qui a rejoint une fraternité (donc un autre groupe), celui qui est devenu comédien (donc qui le surpasse désormais en notoriété) et celui qui n'a pas voulu niquer une meuf bourrée lors d'une soirée...et qu'il traite donc de
"feminine clown" avant que ce dernier ne se confie au personnage de Singer, spectateur de ces embrouilles donc référent du public, avouant son homosexualité et la persécution violente qu'il a subi à l'université où des gars sont rentrés dans sa chambre et lui ont placé un coussin sur la tête avant de lui écrire
"faggot" sur le torse (une aliénation qui allait évidemment revenir dans ses films de super-héros). Et pourtant, bien que l'insulte de Chris l'ait renvoyé à ce harcèlement scolaire, il reviendra vers lui, avec un
"c'est pas grave" de dominé prêt à subir, parce que ce dominant demeure charismatique.
Contrairement à toute attente, l'idée ne vient pas de Singer.
“It was Ethan’s idea,” recalls Singer. “‘Why not have one of the characters be gay? That’ll be cool.’ It was purely a device. But it did set up a kind of…odd relationship. Chris’ only fan is the one he’s beating up on, who’s probably in love with him. In retrospect, I look at it as probably a very sophisticated kind of young relationship which is ultimately unrequited and doesn’t come to fruition.”Mais si l'idée ne vient pas du cinéaste, elle se retrouve toutefois à travers son corpus - cette relation n'est pas si différente de celle entre Verbal Kint (Kevin Spacey) et Dean Keaton (Gabriel Byrne) dans
Usual Suspects ou entre Todd Bowden (Brad Renfro) et Kurt Dussander (Ian McKellen) dans
Un élève doué - et, j'ai envie de dire...dans sa vie? Il est impossible de ne pas revisiter le travail de Singer à la lumière des accusations dont il est le sujet et le mec semble être passé du personnage de la victime - la discrimination à son égard ayant pu être vécu par Singer, lui-même homosexuel - à celui du bourreau, jouissant de l'ascendant qu'il avait sur tous ces jeunes éphèbes.
D'ailleurs, c'est déjà plus ou moins ce que raconte
Usual Suspects, où l'handicapé victimisé s'avère être le grand manipulateur.
Dès son deuxième long métrage, Singer nous présentait son fantasme. Depuis, il l'a réalisé.
Shit, je vais peut-être vraiment l'écrire, ce livre.