Tom a écrit:
"J'aimerais parfois être un cinéphile sans mémoire. J'aimerais mais bon, je ne suis pas dupe. Je n'ignore pas que ce sont les films vus qui font mon regard sur les films à voir, à l'image d'une pratique sexuelle où les «suivants» sont envisagés selon les gestes volés aux «précédents» ; je n'échappe pas à la transmission. Je suis un spectateur expérimenté.
Starship Troopers n'est pas un film destiné aux spectateurs expérimentés. Il a été élaboré juste pour faire un maximum d'entrées auprès de jeunes Américains pendant un week-end de vacances, des puceaux accros aux jeux vidéo qui entrent dans une salle comme ils se mettent aux manettes d'un Doom-like, avec pour seul objectif de voir bousiller tout ce qui apparaît dans leur champ visuel. Starship Troopers a fait un carton le premier week-end de sa sortie, puis les entrées ont chuté. Qu'importe, un week-end a suffi pour rentabiliser le film. Et je ne peux pas m'empêcher de trouver ça presque émouvant, cette idée qu'un film puisse exister uniquement pour ramasser de l'argent en deux jours aux Etats-Unis. Voir aujourd'hui le film, sur un écran à Paris, est un malentendu. Une indiscrétion. Une malveillance. Et surtout, pourquoi le taire ? un profond bonheur. Je mens. Le bonheur n'a rien à voir là-dedans. La jouissance, si.
Un flash d'information nous apprend que des araignées géantes menacent l’harmonie géopolitique de l'univers puis, dans une classe, un garçon et une fille s'échangent des messages via les écrans de leurs ordinateurs. Le visage du garçon se dessine à côté de celui de la fille, le garçon s’approche, la fille sourit, le garçon s'approche, la fille fait alors une bulle avec son chewing-gum, la bulle éclate à la gueule du garçon. Le film n’a pas débuté depuis cinq minutes qu'il a déjà tout raconté. Les acteurs sont donc des jouets, présentés comme tels, et non comme des personnages. […] Ils ne sont ni plus ni moins humains que les araignées géantes, plutôt même moins. Ainsi, lorsqu’à la fin du film, poursuivant le projet de tout dessaper, la bête informe est douée d’intelligence, est exhibée. […] Un médium s’approche d’elle et déclare comme une victoire : “Elle est effrayée”. Ce sentiment tremblant, la peur d’être vu, revient donc à une image de synthèse et non aux acteurs. Le seul petit reste d’humanité émerge d’une marionnette. Je peux donc sortir de la salle sans être honteux, car si j'ai bel et bien joui de la torture de corps à visage humain, cette ultime réplique vient me confirmer qu'il ne s'agissait là que d'une illusion d'optique. Les corps en question n'existaient pas. De la pure virtualité. Les ados américains ne se trompent jamais : ce film est bien à prendre comme un jeu vidéo, point. Que moi, je le considère plutôt comme un cédérom pornographique n'est qu'une joyeuse perversion de ma part."
Christophe Honoré - Les Cahiers Du Cinéma n°523
Ma foi, il a pas attendu de réaliser des films pour être un trou de balle, Honoré...