2022. À la suite d'une catastrophe écologique, la terre est devenue à la fois inhabitable et surpeuplée. Flore et faune ont été éradiquées. Les océans se sont réchauffés et stérilisés. Les saisons ont disparu. L'économie s'est effondrée.
Les villes sont surpeuplées et les populations parquées dans des zones de quarantaine soumises à couvre-feu. Des émeutes de la faim éclatent, réprimées à coup de pelleteuse. Les pauvres sont illettrés, privés de toit et acculturés. Les riches vivent dans des immeubles confortables, accros aux jeux vidéos. Leur habitat est plus ou moins transformés en garde-manger en lupanar pour vieux-garçons parvenus. L'état est à la fois défaillant et autoritaire. Les policiers sont les derniers intellectuels .
A New York, Santini, le gouverneur,tire son pouvoir de la distribution d'une nourriture synthétique à base de plancton, le Soylent, déclinée en couleurs selon son contenu énergétique, et distribuée le mardi. Un policier, Thorn , qui partage son appartement avec Sol Roth, un analyste-informateur vieillissant qui lui sert de binôme, doit résoudre la mort de Simonson, un homme haut-placé, qui vivait dans un gratte-ciel confortables de Chelsea. Le film touche juste par son aspect visionnaire, et exprime lucidement des frayeurs et risques écologiques qui se sont accusés depuis 1973.
Il est très intéressant dans la manière dont il articule, finalement assez finement, catastrophe écologogique avec le retour d'une forme de populisme fasciste et policier.
C'est aussi un mixte curieux entre un cinéma hollywoodien classique (Joseph Cotten et Edward G. Robinson dans les acteurs ), lié à une forme "positiviste" et anthropomorphique de science-fiction (où le monde est simultanément vécu et expliqué, la description de l'aliénation n'étant qu'une variété particulière de l'explication épédagogique) , et l'esthétique plus visuelle de Ridley Scott (voire Cronenberg) où la métamorphose est l'hybridation ne sont plus considérées comme des risques et un rapport à un inconnu, mais plutôt comme des incarnation immédiates et directement sensibles de la condition humaine. En ce sens il fat beaucoup penser à des films de l'époque
Zardoz de Boorman voire
The Wall d'Alan Parker et Roger Waters qui partagent le même flottement historique, qui se traduit par un style paradoxalement pompier et kitsch, alors qu'ils mettent en scène des environnement ravagés et touchés par la pénurie et la famine. C'est un univers ausis très proche de celui de l'Incal de Möbius qui s'est fortement inspiré du film. On peut savoir gré à Mad Max d'avoir creusé le filon collapsiste tout en rompant avec ce pompiérisme, où la catastrophe fonctionne comme un décorsd'arrière-plan, dans lequel les obsessions du monde d'avant sont finalement préservées et solitairement omniprésentes.
Le film est attachant sans être convaincant : Edward G Robinson est bouleversant (par ailleurs le film fait de nombreux clins d'oeil à son rôle dans
Double Indemnity : notamment dans les
I Love You échangés entre lui et Heston) , mais Charlton Heston est un gros misscast, son jeu viril et ses allures de mâle alpha à le Steve Mcqueen, affaiblissent le pessimisme du film, et donc sa portée morale. Singulièrement, tous les attributs de l'alinéation et de l'arbitraire politique sont imputés à le société, contre laquelle se débat l'héroïque Heston, sauf un qui est positif et individuel : le flingue que porte constamment et obstensiblement Heston en bandoullière, comme un signe de fierté phallique , ce qui résonne bien-entendu de façon quasi promotionelle avec l'engagement pour la NRA de l'acteur.
Le film déploie similairement une dialectique retorse envers les personnages et acteurs noirs (on sait qu'Heston est passé d'un engagement enfaveurs des droits civiques dans les années 60 vers un activisme politique beaucoup plus conservateur dans les années 70) : ceux-ci (le prêtre et le supérieur hiérarchique d'Heston) apparaissent dans des rôles développés , ont un temps de présence qui leur permet d'apporter nuance et sensibilité, leur promotion sociale semble naturelle, mais ce sont d'un autre côtés les leviers administratifs, impuissants et opportunistes, du monde d'après l'effondrement. Le film véhicule et endosse cette ambiguïté sans la réfléchir.
Ce qui confère finalement au film plus de profondeur que le thème dystropique , ce sont les maladresses et actes manqués individuels que suscite puis capte la caméra de Fleischer, notamment dans les très belles scènes de la salle de bain dans l'appartemement de luxe de Simonson, seul espace de liberté accessible au personnage d'Heston (qui permet au film d'opposer zèle policier et (auto)érotisme), ou dans le rapport amoureux entre Heston et Robinson (même si c'est un hommage et une citation-pastiche déjà postmoderne du duo de
Double Indemnity) , qui crée un film parallèle, qui ne rejoint le film "explicite" que dans la mort à la fois inévitable et différée en hors-champ d'Heston .
Le sang final d'Heston est d'ailleurs l'expression de ce qui est à la fois appel et réfutation de la mort. Il est purement sexuel. Au contraire le système fasciste du film tue sans laisser de sang : la dystopie du film organise poliquement à la fois la pauvreté et l'hygiène : tout est contaminé mais rien ne doit laisser de trace.
Fleischer voit justement dans cette volonté de supprimer des traces un thème qui soutient le populisme - ce qui met en crise le régime n'est pas l'injustice ou le fait qu'il voue ses citoyens à la mort , que l'impossibilité d'offrir une forme de distinction sociale qui compense la misère et la loi, car cette distinction est elle-même une trace . Me personnage du nabab mort est un catholique, allant à confesse : la morale est elle-même la trace d'une différence sociale révolue.
Cela explique le malentendu final, ou Heston crie
Soylent is People levant le point ensanglantée, devant une foule devenue trop abrutie pour être édifiée ni même provoquée : le degré ultime de l'asservissement est filmé comme un acte révolutionnaire, sans que rien ne relaye la contradiction ou le paradoxe, proprement tragique (le film est en cela anti-poétique : il n'y a pas de reconnaissance et de péripétie, il n'y a qu'une longue explication). Le pathos de la révolte est tout à la fois inévitable et exotique. Mais s'il forme un dernier mot commode pour cloturer le récit, c'est que la cause qu'il illustre est très vite transformée en destin, même et surtout dans l'imaginaire qui d'abord le fonde comme un rêve, collectivement puis ensuite l'amplifie et l'explique , mais cette-fois-ci pour chacun et séparément .