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c'est un problème récurrent de la société française, mais je trouve que ça manque un peu de respect à coline serreau dans ce topic.
moi je me sens toujours de rappeler la carrière incroyable qu'elle a eu. agnès varda est plus chic, mais comment peut on parler des femmes réalisatrices en france sans la célebrer ? à quel point elle a été précurseuse, en dehors des familles constituées ? femme réalisatrice à 12 millions d'entrées en 1985 ? et même en dehors de ça, son oeuvre précurseuse, qui a toujours regardé la société française en face et compris où elle allait avant tout le monde ? on parle des aspirations contradictoires des femmes, de l'islam en france, de l'homosexualité, du bouleversement de la place des hommes, de l'écologie, des relations entre riches blancs et noirs pauvres. chaos, en 1999, pose les termes des débats féministes sur l'islam encore source d'engueullades sans fin aujourd'hui. solutions locales en 2010 parle des nouveaux modes de consommation locaux, bio pour lutter contre les désordres du monde. même tout est permis, tout petit documentaire sur le permis de conduire, en profite pour attaquer la masculinité toxique qui s’incruste partout dans la société, les véhicules motorisés comme outil de domination de l'individu (mâle) sur le bien commun.
et même quand elle fait des films invraisemblablement nuls, quand ça ne ressemble à rien, c'est un symptôme de sa liberté absolue, du fait qu'elle ne rentre dans aucune case, aucune famille de cinéma, aucune approche pré-machée (ça vaut aussi pour son positionnement politique qui ne correspond à aucun corpus établi aujourd'hui). elle disait à la rencontre hier qu'aucun film ni cinéaste ne l'a influencée, qu'elle déteste les scénarios formatés comme on en fait aujourd'hui, et ça a donné des catastrophes dans son travail mais sa quête de liberté thématique et formelle, son obsession à développer sa propre sensibilité, grille d'analyse, fait tellement partie d'elle, c'est le prix à payer - acceptable, moi je préfère largement ses catastrophes iconiques aux films nuls mais propres qui pullulent de partout - pour son talent particulier.
cette femme est ma reine, et la crise est son chef d'oeuvre.
ça part d'un pitch imparable : un homme se réveille un matin et sa femme l'a quitté, puis il se fait virer. il part ensuite en quête d'amis ou de proches susceptibles de l'écouter, mais tout le monde s'en fout et les catastrophes continuent. on est en 1992, la crise économique fait rage, la classe moyenne découvre qu'on peut socialement se casser la gueule à tout moment, les divorces se banalisent, et elle aborde ça frontalement, en en profitant pour ausculter la société en profondeur.
c'est zinzin à quel point le film est d'actualité aujourd'hui. dur de dire si elle avait capté tous les signaux faibles qui ont grossi depuis, ou si on a exactement les mêmes problèmes qu'il y a 30 ans, mais la liste est sans fin. bien sûr, l'individualisme et l'absence de communication, de respect entre les êtres, la brutalité des rapports sociaux et économiques dans un système où tout n'est que réseau et où la valeur des individus dépend de leur utilité. mais absolument tout dans le film fait écho à là où on en est aujourd'hui. le discours de patrick timsit, jamais entendu avant ou depuis ni au cinéma ni à la télé mais qui devenu constitutif de l'état politique du pays. la colère écolo des enfants dirigée contre leurs boomers de parents. l'ultra violence contre le député socialiste, qui pense que le problème principal est le divorce des citoyens avec ses représentants politiques et qui y voit un défi de communication formidable. derrière chaque scène iconique (les monologues de maria pacome, de michèle laroque, de zabou...) on a un thème qui a depuis fait l'objet de 97 dossiers spéciaux dans l'express et l'obs.
mais elle ne les traite pas comme sujets de société sur lesquels elle donne un avis définitif. elle passe la société et les individus à la sulfateuse, c'est une critique ultra violente de nos fonctionnements individuels et collectifs, mais elle filme tout le monde avec respect, amour, elle ne juge en vérité personne, elle donne à tout le monde l'occasion d'exprimer ses contradictions et son humanité. que chaque personnage ne puisse s'affirmer qu'en s'opposant aux autres, qu'en passant par une violence verbale et symbolique qui lui permet de s'émanciper, c'est complexe et passionnant et des psys ont fait fortune à explorer ça avec leur patient.
le tout dans un film où chaque scène, chaque dialogue, chaque virgule sont tirées au cordeau. où les cadres sont splendides. une efficacité incroyable, de bout en bout, chaque comédien est parfait. même la cassure de rythme de la troisième partie, dont je comprends qu'elle puisse déplaire, est une cassure de rythme par rapport à la société, en vérité. c'est l'idée fondamentale pour la belle verte, qu'elle a fait après : elle trouve que tout va trop vite et qu'il faut prendre son temps. alors elle fait un film au rythme frénétique puis une partie de la solution c'est de casser ce rythme, prendre son temps, écouter les gens, la musique, regarder le soleil de lever.
ça avait été un gros succès à l'époque, critique et public, nommé partout aux césars, et ça reste un film culte pour beaucoup de gens.
mais à le revoir hier au cinéma, dans une copie splendide, avec elle dans la salle, ça n'a que revigoré ma conviction que c'est vraiment un film important du cinéma français qui n'est pas du tout célébré à sa juste valeur (même si le speech de maria pacome qui, 30 ans après, est un classique incontournable des réseaux sociaux qui est vu et partagé par des millions de gens tous les ans, c'est bien sûr une celebration extraordinaire qui ferait la joie de n'importe quel artiste).
(ma théorie fondamentale est que son travail est vraiment très féminin et que le milieu cinéphile est tenu par des hommes donc de fait ils ne sont pas particulièrement sensibles)
(je n'aime pas trop 3 hommes et un couffin qui se casse totalement la gueule dans sa deuxième partie)
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