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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 13:17 
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#11 - Quelle généalogie pour Tarkovski ?

Après "Hithcockien", "Tarkovskien" est sans doute le terme le plus usité par la critique en mal de références : un paysage silencieux, quelques jeux d'éléments, une aura religieuse, et Andreï reprend automatiquement du service. Mais peut-on vraiment leur reprocher la chose, quand sa manière et ses obsessions semblent hanter de toutes parts le cinéma contemporain, alors que son dernier film a déjà presque 30 ans ?

Close par une épitaphe en forme de testament pour les temps futurs, jetée comme un pont indéchiffrable entre la période moderne et contemporaine de l'Histoire du cinéma, la filmographie de Tarkovski occupe une place difficilement compréhensible. D'où vient-il ? Quel est le lien avec le cinéma russe qui lui précède, ou avec le modèle (qu'il revendique) de Bresson, dont la sécheresse semble si loin de son cinéma ? Qu'est-ce qu'il engendre ? Un mysticisme dont le cinéma actuel se goinfre, sans doute, mais de quelle nature exactement ? Est-ce que tous les cinéastes rattachés à lui ont quelque chose en commun ? Qu'est-ce qu'ils continuent à travailler de son cinéma ? Et enfin, est-il si seul que cela ? Les traits qu'on prête à son cinéma ne sont-ils pas, ailleurs et au même moment, l'affaire d'autres cinéastes qui ont tout autant que lui participé à façonner ce modèle ?

Et c'est l'avant-dernière question des cahiers de vacances messieurs dames, la rentrée approche et on en voit la fin !



+ Si besoin : Filmographie d'Andreï Tarkovski
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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 13:18 
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Ah enfin !

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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 13:19 
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Ça va te manquer, hein mon salaud ?


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 13:20 
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T'inquiètes, mon éternel "marquer comme lu" a été réactivé récemment !

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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 13:22 
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Tellement marqué comme lu que tu as lu le premier message de ce topic jusqu'au bout...


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 14:14 
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Je pense que Tarkovski avant de se considérer cinéaste se voyait Artiste et pensait, un peu comme Bresson, que le cinéma devait encore montrer ses preuves pour se hisser au niveau des autres arts. Y'a une sorte d'élitisme et d'intransigeance qui font la beauté de ses films. Je sais pas si ce type d'individu peut explicitement se réclamer d’influence dans le cinéma. Il cherchait surtout. Et ce sont surtout des films blindés de références picturales, musicales ...


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 16:20 
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Cantal a écrit:
Je pense que Tarkovski avant de se considérer cinéaste se voyait Artiste et pensait, un peu comme Bresson, que le cinéma devait encore montrer ses preuves pour se hisser au niveau des autres arts. Y'a une sorte d'élitisme et d'intransigeance qui font la beauté de ses films.

Oui, et leur rareté. Et la suffisance irritante de certaines de ses interviews, par ailleurs...

Cantal a écrit:
Je sais pas si ce type d'individu peut explicitement se réclamer d’influence dans le cinéma. Il cherchait surtout. Et ce sont surtout des films blindés de références picturales, musicales ...

C'est clair que ça ingère beaucoup de choses hors du pré-carré incestueux filmique, et que c'est aussi ce qui donne ce cinéma aussi frais, qui a l'air de naître hors de la lignée. Mais les cinéastes pas influencés par le cinéma, je n'y crois pas trop. L'envie de faire des films ne naît pas du néant...

Peut-être que ce qui rend vraiment Tarkovski différent, ce qui donne cette impression d'indifférence au cinéma d'alors (le côté franc-tireur), c'est la relative "avance" qu'il a sur les autres grands cinéastes de la modernité. C'est il me semble le premier de la période à ne pas faire un cinéma se positionnant en fonction du cinéma classique (que ce soit en se positionnant contre, ou en le recyclant, ou en le dévitalisant...), comme si c'était déjà un problème de la génération précédente, pas le sien, c'est une tension totalement absente de son cinéma.

Après côté russe, au-delà de l'influence Dovjenko pour laquelle je milite depuis des années :D, je me demande ce que son cinéma retire aussi de Katalozov. Parce que le déclic et réveil du cinéma russe, c'est d'abord lui.


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 16:36 
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A qui attribue-t-on aujourd'hui le qualificatif "Tarkovskien" ? Est-ce que ce n'est pas juste un cliché journalistique ?

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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 16:50 
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Tom a écrit:
Tellement marqué comme lu que tu as lu le premier message de ce topic jusqu'au bout...

Mais t'es malade ! Tu sépares tellement bien tes paragraphes que j'en ai même pas besoin...

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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 16:59 
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The Scythe-Meister a écrit:
A qui attribue-t-on aujourd'hui le qualificatif "Tarkovskien" ?

Comme ça, de tête (y en a sans doute plein d'autres), au moins Reygadas, Sokourov, Ceylan et Bela Tarr. Éventuellement Lars Von Trier, mais c'est surtout lui qui se l'est attribué tout seul ! Parfois Malick, Wang Bing, et Weerasthakul, mais ça me semble moins probant pour le coup.

Mais après c'est surtout un qualificatif que l'on retrouve pour de jeunes réals occasionnels, qui n'ont pas encore vraiment fait carrière (Kaplanoglu par exemple). Comme si les premiers ou deuxièmes films allaient une fois sur deux être "tarkovskiens" avant que la filmo ne se forge son propre style, un peu comme un premier film sur deux dans les années 50 était lu comme "néoréaliste". Ce qui me fait me demander à quel point la manière et l'approche de Tarkovski jouent le rôle de couveuse, comme le néoréalisme en son temps : comme une cellule souche, une esthétique aux propriétés différentes qui relance les dés, et dont découleraient beaucoup de styles contemporains (attention Déjà-vu, tiens-toi près, ça arrive bientôt).


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 17:40 
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Tom a écrit:
(attention Déjà-vu, tiens-toi près, ça arrive bientôt).

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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 17:56 
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En ce qui concerne la généalogie de Tarkovski, je n'ai que peu de connaissances, étant encore plus béotien dans le domaine du cinéma que dans le reste (où ça ne va pas chercher bien loin non plus : p), mais à la lecture du temps scellé, de son journal, etc etc... il apparaît que Tarkovski avait un respect certain pour Mizoguchi (et le cinéma asiatique en général). L'importance de Parajdanov dans la vie de Tarkovski, si elle n'est pas à l'origine de sa vocation, est remarquable quant à l'évolution de son cinéma, et à l'exigence qu'il s'est (se sont) imposés.

Cette exigence, que l'on peut interpréter comme de la suffisance, vient d'une intransigeance certaine quant à la source de la création artistique:

Tarkovski a écrit:
" L'objectif du réalisateur est de recréer la vie: son mouvement, ses contradictions, ses tendances, ses conflits. Et son devoir est de révéler la moindre goutte de vérité qu'il découvre, même si cela peut déplaire à certains. Un artiste peut certes s'égarer, mais même ses erreurs sont intéressantes si elles sont sincères, car elles reflètent la réalité d'un monde intérieur, a quête et le combat nés du monde extérieur qui l'entoure. Et qui possède jamais la vérité ? Toute discussion sur ce qui doit ou qui ne doit pas être montré, ne peut être qu'une tentative mesquine et immorale visant à déformer la réalité." (le temps scellé, p. 175).


et à une interrogation profonde du cinéma comme médium jeune, et encore non-formé:

Tarkovski a écrit:
"Selon moi, le cinéma ira en s'écartant non seulement de la littérature, mais aussi d'autres arts voisins pour gagner une autonomie de plus en plus grande. Une évolution qui ne s'opère pas assez vite à mon goût (...) des siècles de tradition théatrale, à l'évidence, ont produit un nombre inouï de clichés qui ont malheureusement trouvé refuge dans le cinéma (...) les chefs d'oeuvre naissent du désir d'exprimer quelque idéal. Et c'est à la lumière de cet idéal qu'apparaissent les visions et les sensations de l'artiste. S'il aime la vie, s'il ressent comme un besoin débordant de la connaître, de la changer, de l'améliorer, de la rendre plus précieuse, alors il n'y a pas de danger à ce que la réalité passe par le filtre des visions subjectives et des états d'âmes de l'auteur. le résultat en sera toujours un effort spirituel vers une plus grande perfection de l'homme, une vision du monde qui nous séduira par l'harmonie de ses sentiments et de ses pensées, par sa dignité et sa lucidité." (le temps scellé p. 28


Cette injonction, par son caractère exclusive et sa nature proprement titanesque est une des clés de compréhension de cette oeuvre, et ce qui permet de faire peut être un peu de débroussaillage dans le monceau d'influences que l'on peut dégager chez Tarkovski :

Tarkovski a écrit:
"Je veux maintenir l'exigence de qualité comme atlas soutenait la terre sur ses épaules. Il aurait pu, fatigué de le porter, laisser tomber son fardeau. Mais il a continué de le porter. C'est d'ailleurs ce qui est le plus frappant dans cette légende: non pas le fait qu'il ait soutenu la terre pendant un temps très long, mais que, bien que trompé, il ne l'ait pas laissé tomber et ait continué à la porter... (...)" (le temps scellé p.6)


Cette exigence et cette volonté de perpétuer, de continuer malgré une inévitable tromperie, faillite, est également ce qui fonde l'oeuvre de Hesse, que Tarkovski admirait et dont il se sentait particulièrement proche (plus que de Dostoievski par exemple). Il y a beaucoup à chercher dans le rapport de Tarkovski avec les autres arts, et tout particulièrement avec la littérature qu'il tenait en haute estime.

J'aurai tendance à taxer le qualificatif Tarkovskien de fourre tout journalistique également, vu la diversité des œuvres que l'on a regroupé sous cette étiquette. J'ai un peu l'impression que dès qu'il y a un questionnement un peu "élaboré" tendant vers le religieux, une certaine complexité, une forme travaillée, Bingo, c'est Tarkovski à l'influence. D'autant plus que les réalisateurs que l'on dénomme Tarkovskien sont souvent des fortes personnalités, qui incarnent un peu les fleurons d'un certain cinéma d'auteur (ce qui aurait prodigieusement agacé le principal intéressé)

C'est surement la résonance entre l'exigence imposée à l'artiste, au questionnement du médium-cinéma et la vigueur avec laquelle Tarkovski évoque le fait religieux: «L'homme moderne se trouve à la croisée de deux chemins. Il a un dilemme à résoudre : soit continuer son existence de consommateur aveugle, soumis aux progrès impitoyables des technologies nouvelles et de l'accumulation des biens matériels, soit trouver la voie vers une responsabilité spirituelle, qui pourrait bien s'avérer à la fin une réalité salvatrice non seulement pour lui-même mais pour la société tout entière. Autrement dit, retourner à Dieu.» qui fait que son ombre plane, aussi imposante, sur bien des cinéastes contemporains.

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ART: Ça mène à l'hôpital. A quoi ça sert, puisqu'on le remplace par la mécanique qui fait mieux et plus vite.


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 18:19 
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Intéressant ce lien avec Mizoguchi.

Mon Tarkovski préféré, le Miroir, est si fécond d'un point de vue narratif qu'il a presque à lui seul initié une nouvelle manière elliptique de raconter un récit personnel et fragmenté au cinéma. (il devait pas être le premier). En un sens, il est le "premier" hypnotiseur total du cinéma, d'où ce référent journalistique (et du coup limité) à presque tous les cinéastes qui tentent une expérience hypnotique (les noms que tu cites), même si parfois ça me semble très loin d'un point de vue thématique. C'est plus quelque chose dans le médium même. J'aime beaucoup le Solaris de Soderbergh, mais il me semble moins Tarkovskien, que, pour prendre un exemple fou, le Congrès d'Ari Folman.


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 19:16 
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Au-delà du mysticisme (Sokourov a beaucoup pensé à Tarkovski quand il a filmé, notamment Faust), je pense que ce qui séduit, cette fois sur le plan formel, c'est cet usage du plan séquence de façon extensive, qui peut facilement "faire moderne" chez un jeune auteur qui voudrait se démarquer, cette irruption brute de vie dans le film qui va à l'encontre du cinéma classique. De ce point de vue là, je suis persuadé que Cuaron a vu Le Sacrifice avant de faire Les fils de l'homme.


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MessagePosté: 23 Aoû 2014, 22:12 
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Tarkovski a écrit:
il n'y a pas de danger à ce que la réalité passe par le filtre des visions subjectives et des états d'âmes de l'auteur

Ca, je crois, c'est une vraie cellule souche "tarkovskienne"...
c'est impossible à la vision de ses films de les recevoir autrement que comme une vision subjective et un état d'âme, c'est leur seule lecture possible (c'est clairement quelque chose qui a façonné tout un pan du cinéma moderne, non?)
mais la singularité de Tarkovski, pour moi, tient dans la première partie de la phrase
Tarkovski a écrit:
S'il aime la vie, s'il ressent comme un besoin débordant de la connaître, de la changer, de l'améliorer, de la rendre plus précieuse alors il n'y a pas de danger...

Tarkovski évoque ou pressent un danger de regarder la réalité par le filtre de visions subjectives et des états d'âmes... si l'auteur n'aime pas la vie, s'il ne ressent pas le besoin débordant de le connaître, de le changer, de l'améliorer, de la rendre plus précieuse... (et ça il me semble c'est tout un autre pan du cinéma moderne - qui n'a retenu que la jouissance ou la puissance de regarder la réalité par le filtre de la vision subjective et les états d'âmes... mais sans la question de l'amour et du désir de changer, sans endosser de responsabilité par rapport à la réalité)

Je me demande si son ombre ne plâne pas encore autant aussi parce qu'il fait partie de ces rares cinéastes qui, au delà de l'exigence de son oeuvre, a aussi su parler de cette exigence, de ses questionnements et de son travail comme peu de cinéastes savent le faire (comme Bresson d'ailleurs) - non pas pour expliciter son oeuvre ou même en parler, mais pour partager ses préoccupations et ce qui l'animait (âme). C'est très rare, je trouve les cinéastes qui parlent aussi bien de leur travail, de leur exigence, de leur questionnement ("parler bien" dans le sens, il n'y a pas un fossé entre ce qu'il dit du cinéma et de la vie et ce qu'il fait de la vie au cinéma).

Et puis en terme de généalogie, son père...

"Je ne crois pas aux augures. Et je n’ai pas peur des signes.
Je ne fuis ni l’enfer ni la calomnie. Il n’y a pas de mort sur terre. Tous sont immortels. Et tout.
Il ne faut pas avoir peur de la mort,
Ni adolescent, ni vieillard. Il n’y a que le réel et la lumière,
Ni ténèbres ni mort, non, sur cette terre.
Nous sommes déjà tous sur le rivage,
Et je suis de ceux qui ramènent le filet
Quand l’immortalité est venue en bancs."

(Arseni Tarkovski, extrait du "Miroir")


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