Film Freak a écrit:
Malgré cela, je trouve les films de Stanton & Docter supérieurs à ceux des autres (et les Lasseter vraiment en deçà) donc il y a peut-être pas de hasard non plus.
Oui, pour moi aussi. Mais bizarrement ce sont pas les plus simples à caractériser.
Celui qui me semble très "lisible" dans cette histoire c'est Brad Bird, peut-être parce qu'il a une carrière qui commence fort hors du studio, et qu'il est "importé" comme un intervenant extérieur. J'avais écrit sur lui y a quelques années, même si c'était plutôt négatif (attention, autocitation, plus narcissique tu meurs !) :
« On sait que l’une des devises affichées aux bureaux de Pixar durant la production des Indestructibles
commandait d’ "utiliser chaque partie du Buffle" – référence aux indiens d’Amérique qui, devant l’animal mort, trouvaient fonction et utilité à chacun de ses restes, même le plus anodin, démultipliant ainsi une inventivité qui ne demande qu’un support pour s’épanouir. Devant une scène, devant la moindre situation, Brad Bird se transforme ainsi en ogre étourdissant, avide de bouffer tout ce que l’idée peut proposer de bon, prenant le met par tous les bouts jusqu'à le vider de la moindre goûte de jus. Ainsi en était-il des Indestructibles
et de son sur-découpage totalement ivre, malade à l’idée de rater la moindre émotion, grimace, ou recoin de la scène. Une certaine force baroque, de celles qui ont peur du vide et de la mort, émanait de cette farandole de gags et de vitalité d’emblée essoufflée ; mais l’approche, exténuante, montrait déjà quelques limites. Dans Ratatouille
, le montage galopant a laissé place à de multiples plans-séquences aux spectaculaires arabesques, mais le principe n’a pas changé : tout attraper au passage, ne rien laisser filer, la priorité reste la même. La mise en scène de Bird est celle d’un prestidigitateur, faisant sans cesse glisser notre regard, restant maître d’une énergie prometteuse qu’il ne pourra néanmoins jamais installer. Il est curieux de voir Bird faire la leçon au méchant de service en lui mettant sur le dos les carences qui minent son propre film : incapacité à accepter le plat comme tel, incapacité à prendre le temps d’apprécier et de savourer, incapacité à faire corps avec l’offrande – à se laisser submerger par elle. En voulant extirper tous les charmes et saveurs de chaque scène, en refusant de résister à la tentation de tant de possibilités, en oubliant de faire des choix, le réalisateur rabote méticuleusement tout ce qui pourrait faire la singularité et l’âme de son film. Tout devra servir, mais le tout ne servira de ce fait à rien. Prenez cette relation fragile et touchante entre le garçon gauche et l’animal savant, entre deux inadaptés qui trouvent en leur moitié un absurde moyen de grandir. Il suffirait de quelques moments, ne serait-ce que d'une pause, pour apprécier la fertilité de cette complicité émue ; mais Bird veut tout prendre, tout phagocyter, hachant les étapes de cette relation dans les rouages d'une mécanique monstrueusement efficace, suçant la sève de chacune de leurs scènes d’échanges pour y insérer tant d’éléments dramaturgiques ou esthétiques ; pour, très vulgairement, optimiser le temps disponible. » Mais c'est vraiment le seul qu'il me semble facile de décrire au-delà de la patte de son studio. Les autres, je pense qu'on peut le faire, mais je ne sais pas encore comment.
Le plus curieux, c'est que ces défauts que je vois chez Bird, j'ai l'impression que c'est comme une dégénérescence des qualités de Pixar : la vivacité rapide, le goinfrage généreux d'idées et de gags à chaque plan, l'utilitarisme narratif de chaque élément... Un peu comme si chaque réal, plutôt que venir faire rupture dans le magma de base qu'est le style du studio, allait en explorer l'une des dimensions jusqu'à son extrémité. Bird, ce serait celui qui irait explorer jusqu'à son point limite la tendance du studio à la vitesse... C'est peut-être une manière d'approcher les autres réals sans pousser la politique des auteurs trop loin.
Citation:
Peu de majors semblent avoir une réelle "politique", à part peut-être Warner qui s'efforce encore à être un havre pour les auteurs populaires US, même après des échecs (Nolan, Cuaron, Wachowski, Snyder, etc.).
Tiens, j'avais jamais fait gaffe. C'est du à un producteur en particulier ? Je ne soupçonnais pas une politique artistique globale, les choix généraux de Warner (= la manière de gérer les producteurs de la boîte) je pensais que ce n'était plus que le fait des décideurs d'AOL... En fait, autant je connais le fonctionnement des studios à l'âge classique, autant je me rends compte que je sais pas du tout comment les studios actuels fonctionnent.
Citation:
Faut dire que cette nouvelle mode de l'univers partagé favorise ça et c'est un exemple un peu particulier du coup.
Oui, c'est vrai. Mais j'ai quand même l'impression d'une différence entre la logique de production d'un conglomérat (où l'entraide peut créer des ponts), et le fonctionnement collectif initial de Pixar, qui pense presque sa production en tant que filmo unique. Bon j'ai pas grand chose de concret pour prouver ça, mais si Pixar est actuellement en déchéance, j'ai aussi le sentiment que c'est parce qu'ils n'ont pas su gérer la transition entre un fonctionnement totalement collectif, et un fonctionnement plus auteuriste où chaque réal vient proposer son projet, diversifiant et écorchant un peu l'identité du studio, mais lui évitant aussi par-là même le surplace - ça a été amorcé, mais les réals finissent remplacés, comme si le studio était incapable d'opérer cette mue. Du coup Pixar est un peu le cul entre deux chaises.