JE L'AVOUE, en méchant homme, je voulais baver un peu sur monbeausapin.org. Les points communs avec les Enfoirés des Restos du cœur sont si nombreux qu'il y aurait matière à tirer à boulet blanc sur un tel site. Mais il faudrait un minimum de talent pour faire ça avec humour et pertinence. Je me suis donc plutôt interrogé sur la cause de mon écoeurement face à ce site.
Rien ne devrait le provoquer a priori : des individus décident de s'associer et faire bénévolement ce qu'ils savent faire pour faire gagner de l'argent à une association. Une bonne action, justifiée donc.
Alors bien sûr, en dessous du dessin quotidien on trouve un lien sur le blog de son auteur et un rappel de son actualité éditoriale.
Promo contre don, c'est un moindre mal par lequel tout le monde trouve son compte. Et avec quelques tortillements de l’esprit l’intégrité des auteurs reste indemne.
Alors pourquoi ce dégoût ? me demanderez-vous. Je pourrais parler de la qualité de ce qui est proposé, mais le problème de ce site (comme celui des blogs des auteurs l’alimentant) m’empêche même d’apprécier cela.
Alors imaginons comment Pénélope Bagieu (créatrice de monbeausapin.org) pourrait décrire ce site :
- Je fais un blog bd avec des mises à jour quotidiennes.
- Je fais fonctionner mon réseau en invitant mes amis (ils sont tous très talentueux) à alimenter ce blog.
- Je rappelle subtilement l'actualité éditoriale de chacun de mes invités.
- Je référence mes invités.
- Je transforme l'audience de mon blog en une source financière par le sponsoring.
- Les bénéfices ainsi obtenus sont reversés à une association caritative.
A l’exception du dernier point, cela peut ressembler à d’autres blogs déjà existant. monbeausapin.org obéit donc aux règles générales de la blogosphère.
Et là je me tourne vers Clay Shirky et son article Power Laws, Weblogs, and Inequality. On y trouve ce type de courbe (que j’avais déjà évoquée dans cette autre note au sujet des ventes de livres) :
Clay Shirky montre, entre autres, que la répartition des liens entrants sur les blogs représente une courbe selon une loi de puissance. C’est-à-dire que peu de blogs sont souvent référencés sur d’autres blogs, alors que beaucoup de blogs sont peu référencés sur d’autres blogs.
Tous les lecteurs de blogs BD le savent intuitivement, les liens qu’ils trouvent sur ces blogs sont toujours les mêmes. Liens qui renvoient chez les auteurs que l’on retrouve sur monbeausapin.org.
Accusation de copinage, tout ça pour en arriver là, vous dîtes-vous. Et non, avec l’article de Clay Shirky, on comprend que les causes de cette concentration sont autres et bien plus mécaniques :
"In systems where many people are free to choose between many options, a small subset of the whole will get a disproportionate amount of traffic (or attention, or income), even if no members of the system actively work towards such an outcome. This has nothing to do with moral weakness, selling out, or any other psychological explanation. The very act of choosing, spread widely enough and freely enough, creates a power law distribution."
La distribution en loi de puissance est inévitable au sein d’un système du type de la blogosphère (même ramené à la sous-catégorie BD). Et cette forme de distribution devient disproportionnée au fur et à mesure que le système grandit. Ainsi plus il y aura de blogs BD, plus les plus vus seront vus et moins les autres le seront. L’apparition de stars est inévitable.
Vous en aviez assez de Boulet, Bagieu et Kek ? Et bien demain se sera pire. D’autant plus qu’avec monbeausapin.org l’audience de ces auteurs sort de la sous-catégorie BD. Encore un peu plus d’audience, encore un peu plus de disproportion.
Voilà ce que m’évoque en premier lieu monbeausapin.org : un système s’autoalimentant (par le référencement systématique conduisant à l’utra-référencement de certains), tournant sur lui-même et qui malgré les apparences est tout sauf ouvert. Avec pour première conséquence : une pollution de la blogosphère BD.
Et en seconde conséquence (plus grave) : une pollution cette fois-ci du monde réel, matériel des livres. Dans un univers mené par les chiffres, il ne fait aucun doute que les éditeurs font et feront le lien entre audience d’un blog et ventes potentiels du livre issu de ce blog. Et que si un blog BD fait de bons chiffres, il mérite d’être publié.
Peut-être. Mais si ces chiffres ne reflètent pas le goût du public mais ne sont que le résultat d’un comportement de groupe, un comportement mécanique déconnecté de la notion de jugement, quel est l’intérêt littéraire de telles éditions ? et pour les plus cyniques, quelles sont les chances qu’un succès gratuit sur internet se transforme en succès payant de librairie ?