Reportage de 1975, dans une série de la BBC qui peut s'apparenter à un proto strip-tease (
Inside Story) .
C'est l'histoire un gamin de 11 ans de très petite taille (d'où son surnom), du nord-est ouvrier de l'Angleterre, issu d'un foyer dysfonctionnel et qui est devenu pyromane (il a mis le feu au foyer familial manquant de tuer son père, puis à l'Eglise de son école. Entre autres incartades il aussi effectué des
rides autour de son école avec la voiture de son institutrice). Il est alors placé dans un établissement psychiatrique protégé, où son sort est en balance entre plusieurs options : revenir chez ses parents (qui peuvent le prendre chez eux pendant les week-ends mais le dispositif est en cours d'évaluation) , ou bien intégrer une structure plus stricte.
Et c'est bouleversant, de par la personnalité du gamin, têtu et lucide. C'est aussi inclassable, oscillant entre le cinéma-vérité à la Wiseman, la description d'institutions (et leur extériorité supposée sur le sujet) à la Depardon, et, il faut l'avouer, quelque chose de plus racoleur et emprunt de voyeurisme, à la Herzog voire renvoyant à la télé réalité.
Franc Roddam a un parcours singulier, réalisateur de
Quadrophonia, qui n'est pas éloigné de l'univers de ce documentaire -le gamin est réellement ce que les personnage des Who sont par le fait de la catharsis et de la métaphore. Il assume la faute et la loi, mais est en-deça du mythe et du symbole (qui sont dans la culture pop, des formes de rachat ou de pardon)- amateur des 400 Coups et du Néoréalisme italien, réalisateur d'une sitcom mythique en Angleterre
Auf Wiedershen, Pet sur des prolétaires du Nord devant s'expatrier en Allemagne pour trouver du travail, mais aussi créateur du concept de "The Family", tv réalité réputée trash des annèes 70, et de
MasterChef, sans doute la plus cynique de toutes les émissions de télé-réalité, car le dispositif caméra-spectateur évalue le sujet et considère d'émblée l'échec comme une faute, un facteur délimitant la frontière entre ce qui est intégré et ce qui finira rejeté, en mêlant morale et réussite économique. Il y a bien sûr un jeu d'influences réciproques avec Ken Loach (on songe beaucoup à Ladybird), mais aussi, par l'insolence et la vitalité du gamin, Mike Leigh. Toutes ces influences contradictoires se retrouvent dans ce court documentaire. La mise en scène est très bonne, mais aussi très composée, un excès qui la fait basculer du classicisme humaniste ,(Rosselini, Vigo) vers un racolage plus putassier, mais assumé, qui est peut-être une tactique pour ne pas perdre le lien au public, donner à la fois dans le populisme et l'épure.
Le film exploite les parents devant le spectateur (milieu à la Billy Elliott, le père a un comportement problématique, violent, mais n'est pas monstrueux, et la dangerosité du fils et aussi le sacrifice de celui-ci pour essayer de compenser les complexes et l'aliénation du père - une identification ratée) tout en les défendant face à l'institution. Plus les psy cernent avec finesse qui est Mini, plus le droit des parent à éduquer leur fils leur est dénié. L'empathie de l'institution psy est directement en concurrence avec la famille, qui devient non plus un milieu mais une fonction, pouvant donc échouer et passer le relais à l'institution. Le service public est un substitut à la famille, une aide ne crééant pas de solidarité. On passe d'une thématique sécuritaire, centrée sur la dangerosité de Minnie pour la société, puis celle de sa famille pour lui, à la représentation de la frustration affective des uns et des autres, et avec cette transition apparaît brusquement un propos politique, une logique de lutte contre l'aliénation et les hiérarchies entre classes sociales, rival aux faits, et en opposition contre l'institution. D'où un vertige - la caméra et le spectateur ne se trouvent identifiés ni à l'un ni à l'autre de ces deux pôles, la compassion devient une situation arbitraire, ces personnes sont choisies autant que jugées.
Pour le dire plus simplement, la force politique de ce documentaire repose sur un postulat : la télé et la caméra ne peuvent critiquer légitimement les structures sociales et politiques que dans la mesure où le public les tient pas elles-mêmrd comme des structures, leur accorde une forme d'extériorité et de transcendance - la critique devient alors une croyance. Et le cynisme ou la douleur éprouvés par la caméra (ou le réalisateur) sont les biais de cette transcendance - la télé se donne à la fois comme un spectacle ,et un surmoi qui canalise et fait survenir une morale difficile, presque codée.
Il y a par exemple un jeu terrible sur la voix off, qui s'exprime avec un accent
highbrown, à la fois froid et empathique, là où la famille a l'accent (incompréhensible) du nord-est et s'exprime par saccades et bourrasques. Le conservatisme religieux de la mère apparaissant comme la rhétorique du pauvre, en lutte avec celle des médecins, faisant du salut un mystère là où les psys sont plutôt dans l'évaluation, ce que leur fils leur dénie en se disant athée et matérialiste, presque comme un libertin sadien. Les éducateurs et psy sont placés entre les deux, socialement mais aussi phonétiquement : leur voix est technique, neutre, affectée mais pas snobe, justifiée et solitaire, douce et calculée, une partie de leur métier tient dans le fait de la doser. C'est la seule à articler le terme d'" intérêt" (de l'enfant et de la société) tout en sachant être en train de spéculer, sévère dans ce qu'elle sait, mais franche sur ses propres doutes, l'autre est tutoyé lorsqu'elle s'avoue finie et impuissante.
Dans une des scènes les plus apaisées du film le gamin joue avec d'autres gosses à la caisse à savon dans une rue du village de brique, mais la voix-off se fait alors d'autant plus implacable et cruelle :
Mini has not been around in his hometown in the last two years, and is kind of strangers to the other children. He prefers to stay inside with his two sisters, whose he knows he can dominate .
La télé concurrence alors l'expertise de l'institution psychiatrique qu'elle filme : elle simule l'insu de la puissance publique pour rendre une forme de justice cynique, où ce qui est une valeur pour le public est d'emblée un destin pour le sujet qu'elle filme - un affect froid, impudent et préciss où il faut que ce sujet se justifie devant elle plutôt que devant la loi commune. Elle le capture exactement là où l'impuissance des institutions est manifeste, utilisant pour cela la forme esthétique, techniquement souveraine et polymorphe, comme un moyen.
(Roddam a consacré plusieurs documentaires à Mini, le dernier dans les années 80)