Filmo :Real Life (1979)
Modern Romance (1981)
Lost in America (1985)
Defending Your Life / Rendez-vous au paradis (1991)
Mother (1996)
The Muse / La Muse (1999)
Looking for Comedy in the Muslim World (2005)
Qualifié de "Comique pour comique", Brooks s'est composé au fur des passages
sur scène comme à la télévision un personnage égocentrique et pontifiant, adepte de la stratégie de l'échec au point de développer un enthousiasme à toute épreuve qui s'il peut s'avérer communicatif au premier abord sombre ensuite dans le malaise pour finir en cas clinique. Plus encore qu'un humour de la déconstruction, on est ici plutôt dans l'autodestruction, l'un des effets récurrents de Brooks en stand-up comme en film étant de se montrer se désaper.
Si on peut le rapproche de son contemporain de l'époque, Andy Kaufman, dans sa manière de ruiner sciemment tout effet comique et de chercher avant tout à se faire rire plutôt que le public, on peut néanmoins le distinguer de son confrère par le fait que Kaufman joue sur les codes du théâtre et de la représentation live tandis que Brooks, dans ses premiers films, triture la matière même du comique audiovisuel et, ce qui nous intéresse ici, son pendant cinématographique.
Real Life (1979), son premier film est le descendant direct de ses apparitions dans le
Saturday Night Live, au sein duquel Brooks s'inscrivait déjà à contre-courant du reste du dispositif*. Dans une émission portée sur le direct, ses sketchs étaient enregistrés et l'un d'entre-eux, sur une opération à cœur ouvert était si long qu'il gênait le placement des publicités. Chacun détournait des clichés audiovisuels (les films familiaux, les émissions de mi-saison) et optait pour une fausse connivence allant même jusque dans un court-métrage à montrer Brooks au lit expliquant pourquoi il n'y aurait pas de segment dans l'émission, ou bien, dans sa dernière apparition à réaliser une enquête sur la popularité de son boulot.
*même si on peut noter qu'à l'époque, la première saison du show, celui-ci était encore mal défini, ce qui explique que Lorne Michaels y a intégré les segments de Brooks ainsi que des marionnettes de Jim Henson, segment qu'aucun membre de l'équipe ne voulait écrire, mais c'est une autre histoire...Real Life se présente au départ comme une parodie d'une émission documentaire diffusée en 1973 intitulée
An American Family, première émission de "télé-réalité" qui suivait H24 une... famille américaine donc. Dès
la bande-annonce de Real Life, le double d'Albert Brooks promet du jamais-vu et utilise la 3-D pour appuyer le propos. Le début du film est une succession de scènettes énumérant les moyens et l'argent dispensés pour tout d'abord sélectionner la famille parfaite (avant d'abandonner les tests et sélectionner la famille qui vit dans la région la plus chaude), et ensuite pour réaliser ledit documentaire (avec une équipe technique imposée par les syndicats mais qui sera renvoyée dans son hôtel juste après sa présentation).
Comme attendu, rien ne se passe comme prévu et la famille choisie, dont le patriarche vétérinaire est interprété avec la même rigueur bornée par l'impeccable Charles Grodin, se désagrège avant même le premier jour de tournage, ce dernier se révélant être catastrophique (discussion sur les crampes menstruelles de l'épouse et claquage de portes compris).
Très vite, la famille Yeager se retrouve piégée par la mégalomanie maniaque de Brooks qui leur accole des cameramen affublés de casques-enregistreurs aussi gigantesques que menaçants, surgissant de tous les coins du cadre, tandis que lui en profite pour s'installer en grandes pompes dans la maison située juste en face de celle des Yeager. En lieu et place de "moments de réel", le documentaire n'est composé que de séquences de vide et de malaise : le médecin finit en dépression tandis que sa femme drague en pleurs Brooks au téléphone. L'idée que la réalité est modifiée car observée -également utilisée dans un autre film sur un entrepreneur raté,
The Man Who Wasn't There des frères Coen- est même énoncée par les scientifiques qui mènent le projet : mais Brooks n'en a cure et continue coute que coute à pourrir la vie de cette famille qui finit même par être suivie par les caméras de la télé locale, jalouse du documentaire.
Le summum et la séquence la plus représentative du film reste le montage ("qui va en remontrer aux Français") sur la famille qui s'amuse dans un parc d'attractions. Présentée en une succession de ralentis à la limite de l'immobilisme, elle résume le comique selon Brooks : un gag pété qui se traîne à tel point que le spectateur passe par tous les stades ; de l'irritation à l'effarement à l'hilarité si il est bien luné.
Si
Real Life dispose encore d'une structure classique,
Modern Romance (1981) pousse le vice de cet humour en slow-burn jusqu'à son paroxysme. Pastiche du film de couple de cadres branchés, il conte la séparation, dans le prologue, puis la tentative de rabibochage compliquée de Robert (Brooks), un monteur qui travaille actuellement sur un film de SF de AIP avec George Kennedy en vedette, et de Mary (Kathryn Harrold), qui bosse dans une banque. Ils s'aiment mais se quittent, mais s'aperçoivent qu'ils s'aiment et ainsi de suite dans un récit encadré par la sirupeuse reprise de
You are so beautiful par Joe Cocker.
Sauf que tout
Modern Romance est entièrement accolé au point de vue de Robert qui part rapidement en vrille après la séparation qu'il a lui-même instiguée et dont le travail de deuil ne passe jamais par la case "acceptation". Plus proche de
Henry, Portrait of a Serial Killer ou
Maniac que de
Annie Hall, le film dépeint avec une retenue étouffante dans la mise en scène tranchant avec le cabotinage incessant de Brooks, la plongée de Robert dans la démence et l'obsession pour son ex avec qui il n'a bien évidemment rien en commun sauf des parties de jambe-en-l'air. Également présent dans
Taxi Driver, Brooks compose une sorte de Travis Bickle socialement acceptable qui suit sa compagne, fouille dans ses tiroirs, appelle constamment à son boulot et finit par l'emmener en weekend dans une cabane au fond des bois afin de la couper du reste du monde.
Réalisateur dans
Real Life et monteur dans
Modern Romance, Brooks (et sa partenaire d'écriture, Monica Johnson) prend avant tout pour cible la prétention des auteurs-démiurges* dont la vie en lambeaux reflète mal l'ordre qu'ils cherchent à imposer à leurs fictions. Dans
Real Life, Brooks s’enorgueillit à tout bout de champ du couteux dispositif qu'il a mis au point pour, croit-il, battre à plate-couture toutes les fictions jamais filmées pour finalement (mal) repomper un des films les plus connus dans sa conclusion, tandis que dans
Modern Romance, il essaie de rafistoler une histoire qu'il a lui-même sabotée, tout comme le réalisateur du film de SF (le producteur James L. Brooks, aucun lien) avec son propre ouvrage.
*Heaven's Gate de Cimino est même cité en fin d'une séquence redoutable de montage d'effets sonores.Contaminés par l'ego de ses protagonistes, les films eux-même voient leur mécanisme se dérégler : ici, les discussions entre Albert Brooks et les scientifiques chargés de surveiller les Yeager tournent au débriefing afin de savoir si le père a été présenté de façon trop antipathique pour le public ; là, une chanson de Queen semble annoncer une virée nocturne endiablée, mais le plan se fixe sur la bagnole de Robert qui ne démarre pas tandis que la chanson continue inlassablement révélant que Robert s'est endormi au volant.
Et c'est dans le dernier plan de
Modern Romance que se dévoile dans toute sa froideur l'humour de Brooks alors qu'un texte déroulant délivre une punchline à l'intégralité d'un film qui n'a cessé d'avancer masqué, sous couvert d'un romantisme de façade que rien, jusque dans son affiche, ne trahissait. Plus qu'une comédie,
Modern Romance est une véritable chute.