Joe Gillis est un scénariste manqué. Harcelé par des huissiers venus saisir sa voiture, celui-ci se réfugie dans l'entrée d'une propriété délabrée au terme d'une course poursuite. Il est reçu par la maîtresse des lieux, Norma Desmond (Gloria Swanson) une ancienne star du cinéma muet, tombée dans l'oubli. Cette ex-vedette qui n'accepte pas son déclin et se croit toujours au faîte de sa gloire, embauche Gillis afin de finaliser un scénario qu'elle écrit pour son grand retour.
Grandeur et décadence hollywoodienne pour un film qui, dès le générique, situe son crépuscule dans le caniveau. Wilder peint le choc entre deux Hollywood, celui, plus que crépusculaire, du muet, celui, à peine né, de l'âge d'or 50's, à travers deux personnages qui en sont des figures emblématiques. Du muet des années folles, il ne reste qu'une demeure hantée, un terrain de tennis abandonné, une piscine vidée et habitée par des rats, une voiture d'un autre âge, les courants d'air qui font résonner l'orgue, et un faste de tombeau de luxe. Gloria Swanson, star du muet aujourd'hui oubliée (mais comme elle le dit: "I am big, it's the pictures that got small"), s'y voit toujours reine, pas dans un sens coquet, mais au sens propre: reine d'une certaine aristocratie, figure d'idole proprement mythique, aux fêtes extravagantes, aux enterrements de singes, et au gigantisme oublié. Holden incarne le nouvel Hollywood, scénariste aux dents longues corrompu par un monde qui marche à l'anthropophagie, contaminant des rapports humains qui tiennent largement du vampirisme.
Je trouve que tout est fascinant. L'atmosphère fantôme dans la villa, le jeu de Swanson comme prisonnière de sa gestuelle du muet, les rituels de celle-ci, ou le portrait de l'Hollywood déliquescent à peine romancé. Cette façon qu'a Wilder de peindre le mythe défait en se servant de motifs véritables, prendre Swanson pour ce rôle précis et diffuser Queen Kelly tout en employant Von Stroheim dans le rôle à tiroirs du majordome, organiser une partie de cartes entre membres de ladite aristocratie hollywoodienne qui n'est plus constituée que de "statues de cire", avec un Buster Keaton qui s'y est égaré, ou mettre les pieds dans les studios de Cecil B. DeMille et dans un monde d'illusions devenues tragiques.
La toute fin, à ce titre, est géniale. Comme un Mulholland Dr mais 50 ans plus tôt, Wilder décrit la confusion d'un monde onirique, posture et danse reptilienne, et du monde réel, pathétique, caméra de cinéaste et reporter identiques, frontières floues entre film d'horreur et film noir, pour un des plus grands films sur le cinéma et ses mythes.
6/6
