La question de la justice et de la mise à mort hante décidemment le cinéma américain, l’Amérique même… Ce western singulier signé William A.Wellman ne dénonce finalement pas que le lynchage, mais aussi la peine de mort dans son ensemble, via le caractère absurde que prend cette vendetta totalement irrationnelle et presque onirique. Car chez le cinéaste, le genre apparaît ici comme un décor triste et fantôme, peuplé de personnages dépressifs et frustrés : on se croirait parfois dans « My darling Clementine » en plus viscérale, sans la touche d’optimisme fordienne salvatrice : la présence incongrue d’une romance comme un souvenir diffus d’un autre temps renforce ce sentiment. « L’Etrange Incident » est déjà une œuvre de l’Ouest mélancolique et déchu. Henri Fonda n’y est plus qu’une sorte d’épave parfois même un peu lâche.
Ce sentiment d’âpreté, la lenteur et le peu de mouvements de caméras rendent la première partie un peu difficile, il faut rester attentif et y croire pour rentrer vraiment dans l’œuvre qui ne décolle véritablement que lorsque la chasse à l’homme commence. Pas un gramme d’action, juste le sentiment de déambuler à l’intérieur d’un rêve triste jusqu’à ce passage absolument sublime ou les lyncheurs vont doucement réveiller trois hommes endormis et destinés, comme ça parce que le temps presse (avant le retour de la justice officielle et « trop longue »), à la pendaison. Wellman aurait eu tout le loisir de devenir profondément didactique, il préfère en vérité les voies de la poésie et du pessimisme ponctuées de quelques pointes d’humour un peu désespéré pour conter le retard que prend l’acte horrible qui se profile. Comme d’une autre manière « Un Homme est Passé » de Sturges, une œuvre hollywoodienne forte et sans semelles de plomb sur des horreurs de la bêtise (et tristesse) humaine, porté par une interprétation sans faille.
