Setsuko et Mariko Munakata ont beau être sœurs, tout les oppose. L’extravertie Mariko profite de sa jeunesse et de sa liberté, tandis que Setsuko travaille d’arrache-pied pour entretenir son mari Mimura, un homme taciturne et alcoolique. En visite chez leur père, Mariko sympathise avec Hiroshi, un ancien prétendant de sa sœur, de retour au Japon après des années passées à l’étranger. La jeune femme est convaincue que Setsuko et Hiroshi éprouvent encore des sentiments l’un envers l’autre et va tout faire pour les rapprocher...
Minute FingersCrossed, le film s'ouvre sur un carton Cannes Classics 2023, où la copie restaurée par la Toho a été présentée (scan 4K dont la qualité varie entre le DVD et la VHS, ne pas s'attendre à une copie immaculée).
Il est entendu que rien ne ressemble plus à un film d'Ozu qu'un autre film d'Ozu, sa caméra à 90cm du sol, son absence quasi totale de mouvement (il me semble avoir vu un travelling dans celui-ci, pas plus) et ses intrigues familiales. Et pourtant ce film resté pendant longtemps difficile à voir est sur bien des aspects assez désarçonnant. Pour une fois il ne s'agit plus d'une opposition générationnelle mais entre deux sœurs (le père, inamovible Chishu Ryu apparaît subrepticement au début du film, pour par la suite quasi complétement disparaître). Mais surtout, à l'opposé de tout ce que j'ai pu voir d'Ozu jusqu'à présent il n'hésite pas à s'inscrire dans un courant mélodramatique qui me semblait être l'antithèse de son cinéma, où colères et désillusions sont généralement tues. Ici on n'hésite pas à crier voir à filmer une scène où l'ainée des sœurs se fait durement gifler par son mari. Déstabilisant.
Mais ce qui en fait l'attrait principal, au-delà de la maîtrise de sa mise en scène qui est une nouvelle fois absolument et totalement irréprochable (fascinant de voir par exemple comment l'absence des mouvements de caméras est compensée par l'extrême précision des mouvements d'acteurs - des travellings sans travellings en quelque sorte), c'est l'infini richesse des thématiques qu'il brasse, l'opposition entre la tradition et la modernité qu'Ozu va décliner sous de multiples formes. Au travers de l'opposition entre les deux sœurs, ou entre le mari de Setsuko et l'homme qu'elle a aimé 15 ans plus tôt. Quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale tout questionne l'avenir du Japon et de ses habitants, faut-il conserver mordicus les traditions qui sont les bases culturelles du pays, ou s'ouvrir aux mœurs étrangères (exemplairement états-uniennes, c'est avec évidence celle qui met des étoiles dans les yeux de Mariko) ? La seconde est ouvertement plus favorable à la condition féminine et va permettre au pays de se relever économiquement, quand la première a l'avantage de ses certitudes (quitte à ce qu'elles ne soient pas particulièrement désirables). Le film n'est alors qu'une lente progression, une convergence non pas à mi-parcours mais à un point de conciliation qui satisfera suffisamment les deux camps, permettant aux deux sœurs de se retrouver enfin et de reprendre leur route côté à côte.
