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The Last Hurrah / La Dernière fanfare (John Ford, 1958)
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Auteur:  JulienLepers [ 15 Aoû 2022, 21:42 ]
Sujet du message:  The Last Hurrah / La Dernière fanfare (John Ford, 1958)

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Synopsis : le vénérable Frank Skeffington (Spencer Tracy) se lance dans une ultime campagne, un cinquième mandat au poste de maire d'une petite ville de Nouvelle-Angleterre. Il demande à son neveu, le journaliste Adam Caulfield (Jeffrey Hunter) de le suivre dans son duel contre le jeunot Kevin McCluskey (Charles B. Fitzsimons) soutenu par les banquiers du coin.

Film parmi les préférés de John Ford selon ses dires en interview et écrit par le fidèle Frank Nugent (Le Massacre de Fort Apache, Wagon Master, La Prisonnière du désert), La Dernière fanfare est constitué de trois actes bien définis : la campagne, les résultats et un épilogue dont on taira tout pour ceux qui ne l'ont pas vu.
La première partie est arc-boutée sur le bagout et la rouerie du personnage incarné par Spencer Tracy qui parvient scène après scène à retourner le cerveau de ses interlocuteurs et à se les mettre les uns après les autres dans sa poche quelle que soit leur condition sociale ou leur origine ethnique. Preuve en est du melting-pot de lèche-bottes qui se pressent à l'enterrement d'un pauvre hère pourtant pas très populaire de son vivant mais dont la femme connaissait celle du maire, un veuf inconsolable. Bien évidemment, ce patriarche est de descendance irlandaise et bien entendu, la religion est ici encore dépeinte moins sous l'angle spirituelle mais comme le liant social qui égrène ses conventions (un enterrement, une veillée funèbre) comme ses inimités (l'antisémitisme encore bien ancré parmi les élites) au cours du film. Ford avance pourtant masqué et cette fausse bonhomie et de la satire gentillette (comme l'interview télévisée ridicule de son adversaire) cache le ressort dramatique de la deuxième partie où...

... où eh bien, le maire se prend une branlée et voit lui échapper cette cinquième victoire. Car ce que Ford et Nugent décrivent c'est bien un monde qui s'est écroulé : celui du New Deal de Roosevelt, président qui (avec Lincoln) était cher aux yeux du réalisateur. en 1958, Eisenhower termine son deuxième mandat, lui qui a ravi la Maison Blanche aux Démocrates après vingt ans d'hégémonie. dans la foulée, un vent de rejet des aides sociales et des soupçons avérés de corruption au sein de l'administration ont fait renaître les sentiments réactionnaires d'un peuple qui goûte pour la vaste majorité au confort bourgeois pour la première fois. Et si, la première partie montrait des gens en demande d'action politique, c'est bien la majorité aussi invisible que silencieuse qui s'exprime dans ces résultats. Jamais nous n'aurons vu ces familles convaincues par le matraquage télévisuel qui a beau être nul leur renvoie leur propre image (McCluskey semble d'ailleurs une version élevée au grain et déformée du neveu du maire).
Pire, le propre fils du maire n'a pas été voté, non par défi mais par oubli, obnubilé par les loisirs favoris de la jeunesse d'époque : les filles, les bagnoles et la musique.
Ford voit loin et constate : les prochains élus seront les pantins des banquiers et l'ascenseur social ne va pas tarder à se bloquer pour l'Amérique non-Wasp. Skeffington fait donc office de relique : lors du travelling qui clôt cette partie, on le voit battu rentrer chez lui à contre-courant de la parade du vainqueur : une grille les sépare.

Dans deux ans, JFK, un autre héros de guerre à la famille parfaite -mais Irlandais et Catholique- se fera élire, soutenu par la télévision (et par la mafia) face à un autre politicien pastiché dans le film (e chien fantoche de McCluskey qui renvoie à "l'affaire Checkers" de Nixon), et dans tout juste dix ans, la carrière de Ford sera terminée et les tensions sous-jacentes et mises sous le tapis rejailliront à travers le monde.
Rentré chez lui, Skeffington s'écroule, terrassé par un infarctus. La dernière partie, un poil longuette si on préfère voir des prêtres s'inviter dans des chambres pour combattre Pazuzu plutôt que d'administrer les derniers sacrements, voit le point faible du film se faire encore plus saillant : Jeffrey Hunter est tout simplement nul à incarner quoi que ce soit sinon de passer les plats à des personnages bien plus hauts en couleur. Ainsi, c'est sur un blasphème que le patriarche tire sa révérence, entouré de ses proches, amis comme ennemis. Ford rêve son adieu et l'accomplira d'une certaine manière, comme on peut le voir dans quelques entretiens filmés où ses admirateurs et ses collaborateurs se pressent à son chevet.

Et le dernier plan situé dans le vestibule de son domicile de nous présenter la procession des aides de camp de Skeffington, ces fidèles, ces apôtres, dont les visages pliaient sous le poids des ans au fur et à mesure du film. On ne discerne bientôt que leurs ombres dans l'escalier qui mène à la chambre du mort : la dernière fanfare est bien celle de ces fantômes s'élevant vers la lumière.

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