Pas d'autres commentaires depuis la sortie du film hormis cet vis assez expéditif qui ne rend pas justice à ce très beau film d'animation. Je me permet de contrebalancer.
Fruit de 5 ans de travail, Sita chante le blues est né de la rupture amoureuse de Nina Paley, jointe à sa découverte du Ramayanna. Ce poème épique, texte fondateur de la civilisation indienne, écrit par le poète Valmiki à une date incertaines (entre le VIIe et IVe siècle avant JC) , narre les aventures de Rama, prince d’Ayodhya et avatar de Vishnu, qui cherche à sauver son épouse Sita, avatar de Lakshmi, enlevée par le roi-démon Ravana. Dans Sita chante le blues, Nina Paley livre une interprétation toute personnelle de la légende, la montrant du point de vue de Sita et faisant le parallèle avec son propre vécu.
Sita chante le blues se compose en plusieurs parties qui se chevauchent, chacune ayant un style d’animation propre. Une partie autofiction réalisée en Squigglevision (la technique utilisée pour Dr Katz), conférant à l’image un aspect brouillon et tremblant où l’on assiste au délitement du ménage formé par Nina et Dave après que ce dernier ait été muté en Inde. Une deuxième partie présente un chœur grec incarné par des marionnettes de théâtre d’ombre racontant le Ramayana, de façon assez approximative en mode discussion de salon (en réalité une conversation réelle et improvisée entre ami que Paley a enregistré). Une troisième partie illustre la légende proprement dite dans le style des peintures Rajput du XVIIIe siècle. Enfin une quatrième partie réalisée en dessin vectoriel présente cette même légende façon comédie musicale, où sont mis dans la bouche de Sita, véritable Betty Boop bollywoodienne, les authentiques morceaux de la chanteuse de jazz des années 1930, Annette Hanshaw (principale source de réconfort de Paley après son divorce). Il faut aussi ajouter pour être complet une scène unique en rotoscopie au psychédélisme halluciné.
Le traitement de la légende est décalé, humoristique ponctué d’exagérations, de slapstick, d’anachronismes et de références diverses, désamorçant le tragique de l’histoire. Ainsi les narrateurs ne cessent de se reprendre et de débattre sur l’authenticité ou la crédibilité de telle ou telle scène, apportant leur critiques et apriori contemporains sur un texte datant de plus de 2000 ans. Ce traitement à la légère et assez iconoclaste d’un mythe fondateur n’a d’ailleurs pas manqué de provoquer la colère de mouvements hindous (réactionnaires pour la plupart) demandant la censure du film. Plus globalement, le film fut accusé d’appropriation culturelle, ses détracteurs mettant en cause la pertinence à mettre en parallèle le destin d’une Indienne d’il y a 25 siècles à celui d’une Américaine d’aujourd’hui. On pourrait rétorquer qu’il n’y a pas non plus, beaucoup de points communs entre un Grec ou un Hébreu de l’Antiquité et un occidental contemporain et cela ne nous empêche pas de puiser notre imaginaire de la Bible ou des mythes grecs. Qu’ils soient d’Europe, d’Asie ou d’ailleurs, les mythes ont une portée universelle qui transcende les barrières ethniques, culturelles et religieuses. Ils appartiennent de fait à tout le monde.
Ouvertement féministe, le film survole la majeure partie des éléments de l’intrigue de l’épopée, pour se focaliser davantage sur Sita, de son enlèvement par Ravana à son rejet par Rama une fois libérée. Rama, présenté dans la légende et dans l’imaginaire collectif indien comme le summum de la vertu est montré ici bien peu à son avantage,
Un rétablissement de la primauté de la déesse-mère qui annonçait peut-être le prochain long-métrage de Paley : Seder-Masochism.
Iconoclaste et irrévérencieux, techniquement maitrisé et bourré d’inventivité formelle (et mon dieu, comment trouver assez de chansons d’une même chanteuse pour illustrer toute une épopée ?!). Sita chante le blues constitue un petit tour de force rare, exemple de ce que peut accomplir une totale liberté artistique.
4/6