De Pedro Costa, je ne connais que Dans la chambre de Vanda, chef-d'oeuvre documentaire absolu, l'exploration de la misère dans un bidonville de Lisbonne tout en longs plans fixes. Vitalina Varela en est son versant fictionnel (quand bien même Vitalina Varela joue son propre rôle). On est dans le même bidonville, dans la même misère, ici précisément dans la communauté capverdienne où Vitalina Varela arrive au Portugal après la mort de son mari sur place. La première chose que l'on remarque c'est la beauté irréelle du film. Tout en plans fixes, le film propose une série de tableaux très précisément composés et d'une lumière picturale d'une beauté à couper le souffle. Dans un travail chromatique ténébreux où le ciel est tout simplement invisible ou bouché de noir, les personnages souvent immobiles sont éclairés par ce qui ressemble à une lumière divine qui leur tombe sur le visage. A-t-on déjà aussi bien éclairé la peau noire ? Je n'en ai pas le souvenir en tout cas. L'autre chose très impressionnante c'est ce décor de bidonville qui ressemble à un labyrinthe cauchemardesque étouffant et sans échappatoire, totalement hors du monde.
Et cette préciosité visuelle ne pourrait être qu'une collection de jolies images mais finit par toucher autre chose. Elle construit une espèce de grand récit mythologique qui raconte comme on ne me l'avait jamais raconté le déracinement et le deuil (qui sont finalement presque la même chose). Vitalina erre dans le labyrinthe de ce bidonville en ressassant l'absence de son mari qui l'a abandonné pour refaire sa vie au Portugal. Le film pose concrètement les deux questions du déraciné, la maison, qui est le motif métonymique central (le son d'ailleurs est fascinant, on n'entend que des bruits de travaux, ces immigrés ne font que construire des maisons pour que s'épanouissent leur misère) et la langue (je croyais d'ailleurs que l'on parlait portugais au Cap-Vert). Vitalina se retrouve dans une maison qui n'est pas la sienne et on lui demande de parler une langue qu'elle ne maîtrise pas. Et c'est cette errance dans toutes ces inconnues qui rend le film si bouleversant.
Le film me perd un peu dans sa seconde partie (je ne comprends pas très bien le récit du prêtre, cette histoire d'accident au Cap-Vert quand Vitalina Varela était enfant et plus largement le lien à la foi). Mais c'est rien. Le reste est tellement fort, ces images de souvenirs soudain rayonnantes de ces 45 jours où Vitalina et son mari ont construit leur maison, si simples, si bouleversantes. Un des grands films de l'année je pense, un cinéma radical certes, très lent et hiératique. Je vois qu'il est sorti sur 2 salles, donc autant dire que personne le verra... Il faut en tout cas que j'explore la filmo de Pedro Costa.
5/6