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France (Bruno Dumont, 2021)
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Auteur:  oeil-de-lynx [ 02 Sep 2021, 10:02 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Abyssin a écrit:
Et même si il y a plein de références chrétiennes, Dumont ça reste quand-même très premier degré et "innocent" dans son ensemble. Ces films s’apprécient très bien même si on n’a pas cette grille de lecture (exception faite de ces films très religieux).

Ce qui m'a dérangé ici, c'est que pour moi sans comprendre l'allégorie, le parcours de France ne m'a pas semblé très clair. J'ai compris du film qu'elle avait une sorte de révélation, traversait différentes épreuves pour au final n'en rien apprendre et rester la même. C'était peut-être ça le sujet, mais j'en suis pas convaincu.

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 10:03 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Abyssin a écrit:
Et même si il y a plein de références chrétiennes, Dumont ça reste quand-même très premier degré et "innocent" dans son ensemble.

Je ne trouve pas non, Dumont c'est l'un des réalisateurs que je trouve le plus difficile à appréhender, justement parce que c'est sous le vernis que se trouve la richesse de ses films.

Auteur:  Tonton [ 02 Sep 2021, 10:05 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

oeil-de-lynx a écrit:
J'ai compris du film qu'elle avait une sorte de révélation, traversait différentes épreuves pour au final n'en rien apprendre et rester la même.

Je me trompe peut-être, mais ça me fait penser à Hadewijch.

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 10:09 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Art Core a écrit:
Intéressant ça et oui la mystique est fondamentale comme toujours dans le cinéma de Dumont. Cependant le film est trop antipathique pour que ça me touche.

Je le comprends aisément. Moi-même au départ j'ai eu assez peur, je trouvais la photo plutôt moche, le ton outrancier (il faut dire qu'avec la fausse interview de Macron il démarre le film à fond les ballons). Puis je suis progressivement rentrer dans le film, et tout cela est passé au second plan.

oeil-de-lynx a écrit:
Intéressant, je serais intéressé si tu peux développer. Il y a effectivement des reférences chrétiennes parsemées dans le film et si cette notion d'enfer et paradis m'est apparue confusément, c'était encore trop cryptique pour moi. C'est donc encore un des ces films qui ne fait sens qu'au second niveau de lecture et on passe à côté si on n'a pas les clés, car au premier degré c'est passablement incohérent.

Je te rassure c'est pareil pour moi. J'ai relevé ça et là ce qui me semble être certaines clés, mais dans le même temps j'ai parfaitement conscience de passer à côté de références que je ne maîtrise pas (les tentures dans le salon par exemple, j'imagine que Dumont ne les a pas choisi au hasard, mais aucune ne m'est connu...).

Auteur:  Baptiste [ 02 Sep 2021, 10:12 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

oeil-de-lynx a écrit:
Ce qui m'a dérangé ici, c'est que pour moi sans comprendre l'allégorie, le parcours de France ne m'a pas semblé très clair. J'ai compris du film qu'elle avait une sorte de révélation, traversait différentes épreuves pour au final n'en rien apprendre et rester la même. C'était peut-être ça le sujet, mais j'en suis pas convaincu.



Pourtant tu écris toi-même ceci où tu touches du doigt quelque chose, à mon avis:
"Peut-être que j'ai envie de calquer un arc narratif stéréotypé sur le film, celui de la journaliste cynique qui s'humanise après un élément déclencheur et va devenir meilleure ou pire, sauf que là si on la voit bien s'humaniser, puisqu'elle s'émeut en reportage, on ne la voit pas devenir meilleure ni pire, en fait on dirait qu'elle a simplement appris à utiliser ses émotions comme à l'Actor's Studio pour bien pleurer à l'écran et faire des reportages toujours aussi putassiers."

Ca cadre avec ce que dit Dumont de son oeuvre: s'intéresser à des gens parfois horribles qui s'humanisent ne serait-ce qu'un tout petit peu. Ca ne les fait pas forcément changer de trajectoire, mais ce gain d'humanité est pour Dumont magnifique.

Le mérite significatif du film étant qu'il nous fait réfléchir, travailler.

Auteur:  Abyssin [ 02 Sep 2021, 10:47 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Lohmann a écrit:
Abyssin a écrit:
Et même si il y a plein de références chrétiennes, Dumont ça reste quand-même très premier degré et "innocent" dans son ensemble.

Je ne trouve pas non, Dumont c'est l'un des réalisateurs que je trouve le plus difficile à appréhender, justement parce que c'est sous le vernis que se trouve la richesse de ses films.
Mouais, je suis plutôt d’accord avec la remarque de Baptiste. Tu prends un film comme Flandres que j’adore, il y a une grosse profondeur liée aux images de la guerre et à sa représentation dans les médias, mais vraiment pas besoin de connaitre le contexte afférent pour être touché et apprécier. Pour moi c’est d’ailleurs une des forces du cinéma de Dumont. Dans Jeannette, avec ou sans les références chrétiennes ou historiques, tu apprécies autant le film à mon sens. Là pareil pour France, la connaissance des chaines médias H24 ou des références chrétiennes de Dumont, ne me change pas mon appréciation du film.

Auteur:  Abyssin [ 02 Sep 2021, 10:49 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

oeil-de-lynx a écrit:
Ce qui m'a dérangé ici, c'est que pour moi sans comprendre l'allégorie, le parcours de France ne m'a pas semblé très clair. J'ai compris du film qu'elle avait une sorte de révélation, traversait différentes épreuves pour au final n'en rien apprendre et rester la même. C'était peut-être ça le sujet, mais j'en suis pas convaincu.
J’aime le film mais Dumont s’emmêle un peu les pinceaux vers la fin. Il apporte une complexité bienvenue à l’évolution du personnage de France mais se perd un peu.

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 12:53 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Pour revenir plus en détails sur ma perception du film (c'est encore frais et un peu confus).

D'abord pour en revenir à la question de la critique des médias (ou plus précisément des chaines d'information en continu), ça ne me semble pas être le cœur du film (d'ailleurs un film qui n'aurait pour horizon que de traiter de ce sujet aurait un intérêt fort limité). France aurait tout aussi bien pu être une instagrameuse célèbre, ça n'aurait pas fondamentalement changé la nature du propos de Dumont. Sauf qu'en en faisant une journaliste vedette d'une chaine d'info, ça lui permet d'approfondir sa réflexion, et que l'explosion de ce média en France ces dernières années (attentat puis crise COVID oblige) en fait une figure symbolique éminemment actuel. Un symptôme de différentes déviances caractéristiques de notre époque : égocentrisme, absence de valeurs (morale, politique) et d'identité (ce qui a probablement motivé le choix de Dumont pour le prénom France).

L'unique intérêt de France c'est elle-même, l'image publique qu'elle renvoie et qu'elle n'a de cesse de perfectionner. Art Core relevait que la scénographie des talk-show n'était pas crédible, que France ne fait que regarder la caméra, jamais ses invités. C'est tout à fait vrai, et c'est totalement volontaire. France ne fonctionne que selon 2 axes, frontal (son rapport à sa propre image) et vertical. Il n'y a aucune latéralité, parce qu'il n'y a pas de vraies interconnexions avec les autres. Des autres elles se serrent pour modeler son image, la perfectionner, tendre vers une quasi déification. Son mari qu'elle n'aime pas et n'a probablement jamais aimé, elle l'aura probablement choisi pour sa maîtrise des mots. Une fois le but atteint (scellé par cette courte séquence où elle le reprend sur une expression), il ne lui sert plus à rien (pour revenir sur la scène de l'accident, qui m'a fort fait penser à celle de Piccoli dans Les Choses de la vie, elle est lourdement mélodramatique parce que la séquence est à l'image du traitement qui en sera fait dans les magazines people, c'était bien là la dernière utilité que pouvait avoir son mari, assoir un peu plus son image publique).

Pour ce qui est de la verticalité, qui fait symboliquement de France le lien des enfers au paradis, elle n'est dans un premier temps tourné que vers le haut (la place que France ambitionne d'atteindre au firmament de la célébrité). Le premier reportage sur le terrain dans le Sahel est à cet égard éclairant, lorsqu'elle demande, les bras levés et en claquant des doigts, au chef des insurgés de regarder vers le haut. Et puis intervient le grain de sable, sa collision avec le scooter, sa révélation, pour la première fois elle est vraiment touché par ce qui vient de survenir. Ce sur quoi elle s'empresse de capitaliser, dans un pur élan de cynisme, parce qu'elle comprend que cela lui permettra d'encore améliorer son image. Jusqu'à présent elle faisait son beurre de la misère du monde sans la ressentir. Dorénavant elle saura s'humaniser (par pur calcul) lorsque nécessaire : elle privilégiera toujours les plans où la larme coule, et lorsqu'elle ne vient pas aussi facilement, elle ira puiser sa force dans les enfers pour l'en faire sortir (d'où le plan que Art Core déteste et qui ai peut-être celui que je trouve le plus beau du film, celui où dans la voiture France regarde vers le bas, déforme son visage jusqu'à réussir à pleurer).

Aucune rédemption donc (l'aspect mystique du film est uniquement symbolique de mon point due vue, la seule part de sacré est purement nombriliste), le film ne fait que décrire un processus de perfectionnement personnel, d'optimisation de son image, de la fausse humanisation d'une vraie monstruosité. Et que le film s'ouvre sur une interview présidentielle n'est certainement pas anodine, d'autant plus quand c'est celle d'un homme qui s'est positionné au-dessus des partis (ni droite ni gauche), qui voulait moderniser la politique pour en finir avec les scléroses passées, qui manie les mots avec gourmandises et ne craint pas de simuler sa proximité avec le vile peuple (Je ne suis pas sourd commence-t-il à répondre à la question de France), avec toute l'absence de commisération qu'on lui connaitra. Non, la cible principale de Dumont dans ce film est peut-être à chercher de l'autre côté du micro.

Auteur:  Art Core [ 02 Sep 2021, 13:09 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Super texte, passionnant même si j'aime pas le film, tu devrais écrire plus souvent.
En effet j'ai aussi pensé aux Choses de la vie pour la scène de l'accident et je me suis dit que Dumont devait probablement détester le cinéma bourgeois de Sautet.

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 13:10 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Art Core a écrit:
En effet j'ai aussi pensé aux Choses de la vie pour la scène de l'accident et je me suis dit que Dumont devait probablement détester le cinéma bourgeois de Sautet.

Oui je pense aussi, je ne pense pas que la référence soit positive dans son film :mrgreen:

Auteur:  Abyssin [ 02 Sep 2021, 15:39 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Lohmann a écrit:
pour revenir sur la scène de l'accident, qui m'a fort fait penser à celle de Piccoli dans Les Choses de la vie,
L'enchainement qui est remarquable, c'est celui avec la tombe, la musique et les photos qui font tous sauf celles que tu vois au cimetière et renforce le détachement de France à sa famille.

Ton texte est très bien sinon. Une toute petite remarque :

Lohmann a écrit:
Et puis intervient le grain de sable, sa collision avec le scooter, sa révélation, pour la première fois elle est vraiment touché par ce qui vient de survenir. Ce sur quoi elle s'empresse de capitaliser, dans un pur élan de cynisme, parce qu'elle comprend que cela lui permettra d'encore améliorer son image.
Pas du tout d'accord avec l'élan de cynisme. Ca aurait été le cas si elle avait manigancé avec la presse. Là, elle ne le cherche pas à le révéler plus que ça et c'est vraiment un geste qui vient du coeur sans aucun calcul. C'est comme ça que je l'ai perçu pour ma part.

Auteur:  oeil-de-lynx [ 02 Sep 2021, 16:02 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Oui, super texte qui m'ouvre quelques portes. Toute la question est de savoir si elle agit effectivement par pur cynisme tout le long, je ne suis pas forcément d'accord avec ça non plus. Faut-il voir dans cet amant chanteur de chants grégoriens une figure méphistophélique qui marque son basculement? Et j'essaie de me rappeler ce fameux plan dans la voiture dont vous êtes deux à parler, ça me dit rien, c'est à quel moment?

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 16:06 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

oeil-de-lynx a écrit:
Oui, super texte qui m'ouvre quelques portes. Toute la question est de savoir si elle agit effectivement par pur cynisme tout le long, je ne suis pas forcément d'accord avec ça non plus. Et j'essaie de me rappeler ce fameux plan dans la voiture dont vous êtes deux à parler, ça me dit rien, c'est à quel moment?

Elle est sur un pont parisien, il y a quelques passants qui la prennent en photo auxquelles elle fait coucou, et d'un coup c'est l'amant journaliste rencontré à la montagne qui apparaît. Et là elle se force à pleurer.

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 16:12 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

oeil-de-lynx a écrit:
Faut-il voir dans cet amant chanteur de chants grégoriens une figure méphistophélique qui marque son basculement?

Ça n'est pas la partie du film qui est la plus claire pour moi. Ce sanatorium au milieu des montagnes, ça m'a fait penser à La Montagne Magique de Mann. Mais comme je suis en plein milieu je ne sais pas à quel point cette référence est ou non justifiée. Ce qui est sûr c'est qu'il est le seul péché que France se reproche (elle mentionne au moins deux fois qu'elle regrette d'avoir trompé son mari).

Auteur:  Lohmann [ 02 Sep 2021, 16:14 ]
Sujet du message:  Re: France (Bruno Dumont, 2021)

Abyssin a écrit:
Lohmann a écrit:
Et puis intervient le grain de sable, sa collision avec le scooter, sa révélation, pour la première fois elle est vraiment touché par ce qui vient de survenir. Ce sur quoi elle s'empresse de capitaliser, dans un pur élan de cynisme, parce qu'elle comprend que cela lui permettra d'encore améliorer son image.
Pas du tout d'accord avec l'élan de cynisme. Ca aurait été le cas si elle avait manigancé avec la presse. Là, elle ne le cherche pas à le révéler plus que ça et c'est vraiment un geste qui vient du coeur sans aucun calcul. C'est comme ça que je l'ai perçu pour ma part.

Quand je parle d'améliorer son image, je ne parle pas sur l'instant (avec des paparazzi qui viendraient la prendre en photo à la sortie du pavillon - et pourtant il y en a bien un et elle fera la couverture d'un magazine people), mais sur le plus long terme. Elle vient de découvrir qu'elle avait une corde sensible, elle a besoin d'encore la travailler pour optimiser ses effets... Pour autant je ne pense pas que sa démarche soit faite uniquement par cynisme, mais elle a déjà l'idée de faire fructifier cette découverte en arrière-pensée.

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