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Moonrise (Frank Borzage, 1948) https://forum.plan-sequence.com/moonrise-frank-borzage-1948-t30636.html |
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Auteur: | Vieux-Gontrand [ 06 Déc 2021, 23:55 ] |
Sujet du message: | Re: Moonrise (Frank Borzage, 1948) |
Je comprends à la fois ce qui peut captiver dans le film, et déception de Tavernier. Formellement c'est superbe. La manière de cadrer les visages, de deplacer la caméra confèrent au moyen du seul regard une compréhension totale de la psychologie des personnages, paradoxalement couronnée par le regret et l'impuissance. Il y a aussi cette forêt foisonnante et enfantine, qui existe vraiment, où la caméra se révèle mobile, dans un monde où aucune perspective n'est pourtant donnée, où ilny a toujours quelque-chose entre le spectateur et la scène (ce quelque-chose qui nous sépare d'eux et eux de nous est la nature, inerte et consolante, aveugle et menacée c). La forêt est à l'image de la dynamique morale du film : un pardon qui immobilise, car il est exprimé non pas par des individus mais par l'ensemble du cadre social lui-même. Le personnage de Moses est en effet remarquable, il y a une forme de redoublements de la malédiction oedipienne du personnage blanc, qui fantasme son statut de renégat et de proscrit, par le racisme réel que subit Moses, que seule la victime peut objectiver, qui confère un rythme étrange au film : sa morale en est donnée en plein milieu. Toute la moitié qui suit tourne autour de l'acception de ce qui a déjà été énoncé et montré, il ne se passe rien d'autre qu'une conversion d'un seul personnage, ne voulant pas réintégrer une communauté dont il ignore qu'elle le pardonne avant de devoir le punir (l'empathie et l'identification à autrui ne procèdent pas d'une loi, elles sont nécessaires mais s'imposent spontanément, elles sont des nécessités reconnues, susceptibles d'être deniées, mais pas des impératifs extérieurs - la bonté n'est pas un destin mais une médiation). Mais le film pâtit peut-être un peu trop de son ancrage Southern Gothic (même s'il raccorde avec des choses intéressantes comme Minuit dans les Jardins du Bien et du Mal d'Eastwood, où le crime est donné dès le debut là aussi, que l'enquête policière atténue). Il y a un système où le destin moral individuel compense et défait de manière trop exacte ce que le déterminisme social produit. Toute l'intrigue du film est exclusivement morale, et il semble peut-être pour cette raison coincé entre une esthétique expressionniste issue des années 30 et la veine plus naturaliste et sociale du film noir. Le personnage du flic humaniste est remarquable, si ce n'est que l'intrigue est à peu près aussi invraisemblable et édifiante que celle d'un épisode de Derrick. En même temps ces invraisemblablances (le masochisme impuissant du personnage, qui provoque un crash de bagnole et saute dans le vide d'une grand roue sans se blesser, invulnérable tant qu'il est traqué, qui ne se sociabilise qu'en communiquant un scrupule qui n'est nouveau que pour lui) confèrent au film tout son charme. Il y a peut-être aussi un problème avec l'acteur principal, peut-être trop vieux et trop sage pour le rôle, on ne croit pas à sa faiblesse et à son besoin d'être initié moralement J'ai en revanche trouvé que Gail Russell, actrice pas très connue, jouait très bien et a une présence très forte. Malheureusement on voit dans son regard depressif et ses poches sous les yeux qu'elle porte avec dignité toute la tristesse qui mènera à sa mort précoce à 36 ans. Le film en fait un personnage maternel et rédempteur , mystérieusement converti à l'amour du personnage principal (alors qu'au début elle est pratiquement agressée), j'ai l'impression que jouer un personnage moins typé, plus faible au sein de la même mélancolie, l'aurait peut-être plus aidé que celui d'un ange consolateur mais sexué, qui incarne la tolerance pure sans qu'elle lui soit retournée. La scène la plus érotique du film, où elle danse dans la vieille maison, badinant seule sur la vie sentimentale de l'ancienne propriétaire, où sa sensualité est mise brièvement sur le même plan que la culpabilité de son amant, sans que le deux ne communiquent mieux pour autant, est extrêmement émouvante. |
Auteur: | Vieux-Gontrand [ 07 Déc 2021, 08:19 ] |
Sujet du message: | Re: Moonrise (Frank Borzage, 1948) |
Le dernier Moretti est en effet borzagien voire moonrisien (même personnage du fils à demi criminel donné dès le début du film, le parc dans lequel se produit lieu l'agression fantasmée rappelle beaucoup la forêt de ce film, l'enjeu moral est aussi assez proche : la difficulté d'échapper à la fatalité tout en endossant une mémoire, la solitude qui devient alors une forme de transaction. Peut-être aussi, mais de manière plus maladroite, mais sincère chez Moretti les réfugiés qui équilibrent les personnage et clôturent l'idée de négativité à compenser individuellement à la manière d'Otis -le personnage de l'ancien prisonnier bénévole est d'ailleurs une forme d'Otis) J'en avais aussi une partie lors de son passage au Ciné Club de France 3, peut-être la fin, et cela m'avait intrigué (difficile en effet de rattacher le film à un genre, c'est sa force). |
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