Voici peut-être l’ancêtre de ce qu’on pourrait appeler le « wheel-man movie », un sous genre du film noir où le personnage principal est un chauffeur au service des truands et dont les avatars les plus connus seraient The driver de Walter Hill et Drive de Nicolas Winding Refn.
Dans le film de Richard Fleischer, le conducteur Harry, joué par l’excellent George C. Scott, a pour tâche de convoyer un jeune tueur en cavale. Entre les deux hommes, la fiancée du second récupérée en chemin, et cette question : qui aura la fille à la fin ?
Au niveau de la forme, c’est assez classique, Fleischer en bon artisan ne transcende pas les lois du genre et Point Blank de Boorman (un temps pressenti pour réaliser le film avant que le projet ne soit repris par Huston qui abandonnera le tournage au profit de Fleischer), sorti quelques années plus tôt, est dans mon souvenir plus moderne.
Petite originalité tout de même, l’action du film noir est ici transposée dans les paysages ensoleillés et arides du Portugal et de l’Espagne, avec à la photo le chef opérateur de Bergman, Sven Nykvist dont c’était la première expérience hollywoodienne.
Peut-être parce je viens de relire Tendre est la nuit et que je suis encore sous influence, j’ai pensé à Fitzgerald en voyant le film. Non pas au niveau des univers radicalement différents, mais en raison de la mélancolie du personnage principal, de la fêlure qu’on sent poindre en lui, malgré ou plutôt à cause de laquelle il accepte sa nouvelle mission, sa « ligne de fuite » à lui, au cours de laquelle il accomplit ce qu’il sait faire de mieux : conduire.
Harry, c’est une espèce de Carlito, celui du chef d’œuvre de De Palma revu aussi récemment, qui serait allé au bout de son rêve : rompre avec son passé de gangster, s’exiler et refaire sa vie, avec femme et enfant, au soleil près de la mer. Harry a traversé l’image publicitaire qu’on voit au début et à la fin de Carlito’s way* pour se rendre finalement compte qu’il ne s’agissait que d’un cliché : la vie a balayé le rêve. Le film peut commencer et Harry tenter à nouveau sa chance.
Pour s’aider, il a sa disposition une BMW 503 cabriolet de 1957. Elle ne paye pas de mine mais entre les mains de Harry, elle fait la différence : cette petite allemande aura notamment la peau de la très british Jaguar. C’est évidemment le 4ème personnage du film, même si on peut se demander si elle et Harry ne font pas qu’un finalement, un peu comme dans Christine, le côté maléfique en moins : un plan à la fin le suggère.
Au-delà des courses poursuites inhérentes au genre et qui ne déçoivent pas, le cœur du film reste quand même les interactions entre le trio de base, presque un ménage à trois. Les rapports entre Harry et la fille sont les plus riches, évoluant entre complicité et duplicité, on en finit pas de se poser cette question : veut-elle son bien ou sa perte ? femme fatale ou pas ? Une chose est sûre : leur relation dans le film les a tellement rapprochés que les deux acteurs se sont mariés après le tournage et sont restés ensemble jusqu’à la mort de George C. Scott.
Pour mettre en musique ce film, le réalisateur a fait appel à Jerry Goldsmith qui a composé une BO impeccable dont le thème joué au Cymbalum ressemble au vieux chauffeur : un condensé de tristesse et d’élégance, à écouter ci-dessous.
* Voir ce qu’en dit Latic dans le topique consacré au film.