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Marriage Story (Noah Baumbach, 2019)
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Auteur:  Vieux-Gontrand [ 08 Jan 2020, 00:01 ]
Sujet du message:  Marriage Story (Noah Baumbach, 2019)

Charlie et Nicole sont un couple d'artistes new-yorkais, au début de la quarantaine. Il est un metteur en scène off-broadway reconnu, elle est son actrice principale. Leur coopération artistique se passe bien, mais leur mariage et leurs sentiments se délitent. Ils décident de se séparer, restant au début en relativement bons termes. Nicole repart chez sa mère et sa soeur à Los Angeles pour relancer sa carrière dans les séries, avec leur enfant d'une dizaine d'années, Henry, qui est déboussolé par la séparation. Les questions liées à la garde de l'enfant entre deux villes deviennent de plus en plus litigieuses (d'autant qu'elles se superposent plus ou moins consciemment avec les choix de carrière de chacun des deux parents) et les incitent à prendre chacun un avocat, déclenchant un engrenage, où chantages affectifs et coups de sang irréfléchis exprimés par avocats ou parents interposés, ainsi que les conseils faussement désintéressés des collègues s'accumulent comme les couches d'un vénéneux Big Mac...
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Prolongement-réactualisation à l'ère Netflix du très bon ( disons que le film m'avait beaucoup parlé...) the Squid and the Whale (que vous connaissez peut-être sous le titre français "les Berckman se séparent") sorti il y a déjà une douzaine d'années. Le film n'est pas mal, mais touche moins (car il est plus mécanique) que son prédecesseur. The Squid avait une dimension bergmanienne, mettant en avant l'humaine monstruosité et la mégalomanie à la fois torve et aboulique du père. Ici le film lorgne plus sur Woody Allen et humanise le personnage du père (comprenez : tend à l'excuser et à l'affadir, mais en montrant cela comme une intériorisation de la norme sociale - le même mécanisme me semblait plus justement cerné dans Boyhood, laissait jouer une durée naturaliste qui est aussi une forme de lissage pulsionnel, plus progressive). Pourtant la situation reste exactement la même, le traumatisme de l'enfant (onaniste et dirigée contre le langage en même temps que la société via la dyslexie et le retard scolaire volontaire) est vécu de la même manière. Sans doute cette insistance sur ce qui a été définitivement cassé chez un enfant qui a intériorisé l'immaturité et la violence des parents est issue de l'enfance réelle de Baumbach : il faudrait en somme que la gentillesse de la mère se confonde avec un destin pour que la blessure de l'enfant soit annulée. Mais c'est bien-sûr impossible : quelque part la violence du père est donc nécessaire. Ce que Jeff Daniels faisait du fait de sa folie il y a douze ans, Adam Driver le fait ici par une sorte de scrupule civique, mais avec les mêmes effets visibles.
Ici la dénonciation de la folie patriarcale du père (à l'époque du Squid) est transférée en une charge contre les avocats-rapaces spécialisés dans l'expoitation financières des haines privées. On sent une critique plus générale de l'esprit sous-jacent de l'époque et du voyeurisme des réseaux sociaux, une dénonciation moraliste ("soft") d'une vie où les conflits privés sont devenus la texture de la vie sociale, que celle-ci n'a plus pour fonction d'évaluer et d'arbitrer. Le film radicalise cette critique et verse alors une dimension masochiste, qui transparaît dans le fait de ridiculiser le personnage de Scarlet Johansson qui choisit des rôles alimentaires à la télé, quand Adam Driver avec ses mises en scène d'Odon von Orvath (le "concurrent" mort précocement de Brecht, assommé par un chêne sur les Champs Elysées juste avant la Deuxième ou Seconde Guerre Mondiale, donc plus élitiste et politiquement pur) est plutôt portraituré comme l'intellectuel défait mais intègre, humain et exigeant, contraint à la saloperie par le Zeitgeist de notre époque de la même manière qu'il est forcé à l'autorité par son statut de père, assumant et regrettant sa violence dans un même mouvement.

Du coup l'humanisme du film réside dans le fait de séparer complètement la violences liée aux pulsions et aux affects (Jeff Daniels en figure de Chronos, père lucide et abusif il y a 12 ans ) de celle, plus actuelle, codifiée et entretenue par le droit (qui devient, à force d'exhibitionnisme une sorte de média, rivale avec le théâtre et la littérature - la partie la plus cruelle mais aussi la plus humouristique du film est celle qui intègre les psychologues dans ce cirque), tout en en montrant l'égale intensité, et l'égal impact destructeur sur les sentiments et relations intimes.

Le film n'est pas sans justesse, mais par rapport à The Squid..., il possède un côté "Dossiers de l'écran", tel qu'on le voyait à la télé publique dans les années 80 du siècle passé. On pourrait imaginer une diffusion télé à 21 heure suivie par un débat sur le thème "Divorce : liberté salutaire où triomphe de l'individu-roi ?" ou "Tous justiciables, tous victimes ?" où victimes-consituées-en-association-d'une-personne et avocats finiraient par s'engueuler, le spectateur pouvant se reconnaître passivement, successivement dans tous les protagonistes. Dans le film, quand Driver et Johansson s'engueulent, on dirait qu'ils rejouent un talk-show de Dechavanne, sachant où aller trop loin, vidangeant directement l'insulte dans une réconcilliation qui n'a plus de motif, mais forme le contenu du spectacle qu'ils se font à eux-même. Finalement ce genre de débat n'existe plus et le film finit par créer une sorte de nostalgie pour ce passé, d'où peut-être le passage à Netflix pour répéter ce qui a déjà été montré il y a dix ans en salle et le discours un peu retors du film sur la télé. Quelle meilleure définition de la télévision que la nostalgie envers ce qui était le plus platement explicatif et sentimental, filmé comme une chose en train d'agoniser ?

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